Comment dire ?
Depuis sa création en 1876 la Fondation Sonnenhof propose des cultes aux enfants handicapés mentaux qu’elle accueille. La forme des cultes a été remise en cause, mais jamais leur principe.Comment transmettre quelque chose de l’ordre de la foi aux enfants les plus handicapés ? Que transmettre à des enfants trop dépendants ?
Accueil de tous !
II se trouve que les plus handicapés étaient exclus de ces cultes parce qu’ils étaient trop dépendants en tout, mais surtout pour comprendre.
C’est à cette « exclusion » que nous avons réagi. Nous avons considéré qu’ils avaient droit à une vie spirituelle.
Comment allions-nous transmettre quelque chose de l’ordre de la foi ?
La question du comment était première. Elle allait nous amener très rapidement à nous interroger sur le quoi.
Une transmission par le savoir était vouée à l’échec, en raison de leur déficience même, de leur incapacité à répondre, à renvoyer en terme de connaissances…
Nous avons choisi les célébrations. Nous voulions la fête. Nous voulions vivre la joie. Nous voulions nous retrouver dans un endroit identifié (la chapelle de l’établissement). Nous marquions ainsi notre souci de nous présenter devant Dieu. Tous acceptés pareillement malgré nos différences criantes.
Nous préparions ces célébrations en équipe. Nous étions tous dans d’autres fonctions auprès des enfants. Nous construisions à l’aide de parcours (ceux de la S.E.D. parfois). Nous éprouvions des trames qui existaient ailleurs et nous nous les appropriions. Il nous importait de marquer ainsi notre appartenance à une communauté plus large que la nôtre si spécifique.
Toutes ces approches passent par l’écrit, l’image. Et pour les personnes dont je parle, même l’audiovisuel ne peut être décodé. Il fallait d’autres voies d’accès. La musique nous a été précieuse. Et le rythme. Tous les rythmes : celui du cœur qui bat, celui de la célébration qui se déroule, celui de l’année liturgique, celui des saisons qui nous situent dans le temps.
On nous avait sensibilisé au symbolique. Et petit à petit, nous avons découvert dans les textes qui nous étaient proposés, combien l’histoire de Jésus était faite de choses concrètes. Des objets, des substances, des lieux, des positions du corps. Nous avons été attentifs à cela quand nous redécouvriions ces textes. Et nous cherchions dans les déplacements, dans les objets mis en scène, que l’on pouvait toucher ensemble, sentir ensemble, transformer ensemble, que l’on peut presque toujours recevoir ou donner, démonter ou construire.
Nous cherchions comment transmettre le message pour qu’il parle à un enfant polyhandicapé du XXe siècle, dans cette chapelle du Sonnenhof.
Les enfants acteurs des textes bibliques !
Nous avons joué des textes pour que les enfants deviennent acteurs, sentent qu’ils ont un rôle propre dans la création.
Je pense à la présentation des enfants à Jésus. Comment la route était barrée par les bien-pensants et puis l’accueil. Les enfants n’avaient rien demandé. On les amenait à lui… et il leur a fait une promesse « le royaume des cieux est pour ceux qui leur ressemblent ». Avions-nous transmis ou transgressé ? II n’est pas nécessaire de leur ressembler pour accéder au Royaume de Dieu, mais cette parole vaut pour eux, comme pour les autres, parce qu’ils sont des enfants.
Je pense à l’aveugle au bord du chemin. Un jour nous avons osé choisir aussi des textes de guérison. Les personnes handicapées ne sont pas malades. On l’oublie encore trop souvent. Leur handicap est une condition de vie. Mais Jésus s’approche et demande à cet homme resté au bord du chemin « et toi que veux-tu que je te fasse ? »
Là où les catéchètes, les bien-portants culpabilisent de ne pas pouvoir guérir, Jésus s’approche et donne la parole. Nous avons prié ce jour-là pour être capable d’entendre la réponse de chacun. La révolte de l’un et l’acceptation de l’autre, le non ou le oui, et parfois l’indifférence. Ce jour-là, pendant le culte, quelqu’un s’est approché de chaque participant et lui a demandé « et toi ? Que veux-tu que je te fasse ? »
Je pense aussi au texte où Jésus lave les pieds de ses disciples. Un texte a priori facile à jouer, où le maître devient le serviteur. Le fait de laver les pieds aux enfants nous paru être un contresens, car jamais ils n’auraient une chance de se laver les pieds sans aide. Jamais ils ne pourraient, eux, laver les pieds de quelqu’un. Ils seront tributaires, toute leur vie, d’une aide, sans aucune possibilité de s’y soustraire. Nous sommes restés avec cette interrogation. Au-delà de l’histoire biblique, comment faire en sorte de leur permettre de devenir le maître et le serviteur, en faisant autre chose que nous laver les pieds ?
Ces quelques exemples parmi d’autres pour dire que le comment n’est qu’un moyen pour accéder au sens et peut ouvrir nos yeux sur une compréhension élargie de textes souvent très connus.
« De quel droit est-ce que je suis celui qui transmet ?… Je ne suis pas mieux que les autres. » Cette question revenait comme une rengaine dans notre groupe de catéchètes occasionnels. La réponse est que nous sommes un relais. Nous avons à faire en sorte que cet autre-là, qui nous est confié, puisse devenir aussi un relais. Qu’il ne soit pas juste une impasse où la parole s’arrête, mais qu’elle se continue à travers lui. Nous avons illustré cela presque à chaque fois, en faisant passer de main en main la lumière, des fleurs, des aliments et bien d’autres choses encore puisées dans le quotidien.
Quand vous aurez l’occasion d’accueillir dans vos groupes paroissiaux l’un de ces enfants-là, n’ayez pas peur parce qu’il ne comprend pas. Pensez à ces jeux de relais, lors d’une prière ou d’une animation. Cela l’inclura, vous donnera l’occasion de le nommer ou de le faire appeler par son nom. Le reste vous sera donné de surcroît. Des idées nouvelles naîtront de cette présence. N’ayez pas peur.
Avril-mai-juin 2002