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L’émerveillement, une chance pour les adultes

Art_Emerveillement_webUne étape indispensable à la découverte d’un texte biblique par les enfants

Propos autour de la mise en place d’un temps d’échange avec les enfants dans la méthode Godly Play©, après la découverte d’un texte biblique : ce temps est appelé « temps d’émerveillement »*.

  • « Emerveiller » du latin « mirabilia » : choses étonnantes, admirables.
  • Aristote: « L’étonnement est le commencement de la philosophie : l’aptitude à tenir pour énigmatique ce qui semble aller de soi. »

Personne ne niera qu’en ce sens, les enfants sont maîtres en émerveillement** et en questionnement: il semble même qu’un des critères pour « quitter l’enfance » et entrer avec brio dans l’adolescence soit de porter sur le monde un regard le plus désabusé possible.

Prendre conscience de cette extraordinaire faculté de l’enfance revient donc à amorcer une bombe à retardement en présentant aux enfants un texte biblique : l’adulte qui se lance dans un récit peut rapidement se trouver en position délicate face à des enfants pour lesquels rien « ne va de soi ». Ils exigeront des réponses à des questions que l’adulte ne soupçonnait pas. Et ceci avec d’autant plus de sérieux et de ténacité (une autre faculté de l’enfance que certains perdent plus vite que d’autres) qu’ils seront authentiquement touchés par le texte.

Comment réagir face à ce phénomène pour le moins déstabilisant ?

Dressons pour sourire un petit « bestiaire » caricatural…

  • La politique  de la girafe : l’adulte se met « au-dessus » de l’enfant, de manière à ce que les questions qui lui sont posées ne l’atteignent pas : il portera un regard condescendant sur ce qui est dit. Sans apporter de réponses, il suit son chemin, permettant aux uns et aux autres de glaner quelques graines de son savoir
  • La politique de la tortue : conscient de s’exposer à de possibles questions embarrassantes, l’adulte se pelotonne dans sa carapace, démontrant ainsi aux enfants qu’ils touchent juste, puisque l’adulte est déstabilisé et réagit en se « défendant »
  • La politique de l’ours : il répond du tac au tac aux questions avec ses réponses déjà préparées : c’est une « réponse-attaque »
  • La politique du caméléon : face aux enfants, l’adulte se transforme et cherche à les imiter dans leur questionnement

Bien entendu, cette liste est réductrice et de surcroît non–exhaustive. Et il est probable qu’aucun d’entre nous ne se reconnaît exclusivement dans l’un ou l’autre de ces comportements animaliers.

Il y a néanmoins un vrai défi à chercher comment suivre- et non pas imiter- les enfants dans leur attitude d’émerveillement et de questionnement.

Les enfants ont un regard neuf sur les histoires de la Bible, regard que nous ne sommes capables d’adopter qu’au prix de très grands efforts d’analyse ; ou grâce à l’aide opportune d’autrui : une prédication particulièrement pertinente ou une remarque d’un non- croyant, par exemple.

Ce regard neuf est une véritable chance pour nous ! L’enfant acquiert à une rapidité fulgurante la capacité de se conformer, d’adopter l’attitude ou la réponse juste le plus souvent par souci de plaire à l’adulte qui lui fait face. Il accepte avec le même enthousiasme de bousculer ses certitudes somme toutes assez neuves, surtout si cette remise en question est faite par un de ses pairs…alors,

… Quelle attitude adopter avec les enfants face au texte biblique ?

On parlera plutôt de mener l’émerveillement plutôt que de l’amener : le texte biblique est une telle source d’étonnement qu’il n’est pas besoin de pousser les enfants pour que les questions surgissent.

Les enfants, naturellement, cherchent à s’approprier l’histoire, à initier un mouvement qui pourrait se traduire par : « En quoi cette histoire me concerne? Comment puis-je comprendre à travers mon expérience ce qui est dit ? Comment mon expérience va-t-elle s’enrichir de ce qui est décrit ? »

Les histoires bibliques sont complexes, elles mettent en mots nos mouvements fondamentaux intérieurs -ceci  indépendamment de l’époque, du contexte historique ou culturel : elles permettent ainsi à l’enfant de créer des liens avec sa vie personnelle, de la faire sienne.

Donner à l’enfant l’habitude d’interagir avec l’histoire lui permet de développer sa capacité de réflexion, d’analyse, de mise en abîme de sa propre histoire.

Les enfants ne savent pas faire autrement que de s’impliquer de manière très personnelle. Il est important que l’adulte se prépare avec une grande discipline pour mener l’échange avec les enfants.

  • Une condition préalable nécessaire est d’avoir pris le temps de faire résonner en soi les questions qui découlent du texte.
  • L’adulte va adopter une position de retrait, indissociable du respect lié à cet échange.

Il est difficile de résister à la tentation d’apporter ses propres réponses, ses propres réflexions : les enfants réclament des affirmations, aimeraient que l’adulte soit tout-puissant et les apaise, en particulier lorsqu’il s’agit de questions existentielles.

Accepter de faire silence, c’est permettre aux enfants de trouver en eux ce qu’ils cherchent, cela équivaut à leur dire : « Vous avez les compétences pour trouver vos propres réponses, celles qui sont porteuses de sens pour vous. Nous sommes tous des chercheurs de Dieu. »

Apprendre à dire simplement : « Cette question est vraiment difficile, je n’ai pas la réponse » nécessite une très grande maîtrise de soi. Cela s’exerce.

Lorsque l’on développe ce type de discussion avec les enfants, on crée un espace de recherche, sécurisé et sécurisant, comme cela se pratique dans la philosophie pour les enfants. Chacun sera autorisé à émettre des hypothèses, évoquer ses doutes, parler de son expérience.

L’échange se fait entre pairs : le plus souvent, les enfants se répondent les uns aux autres, argumentent entre eux. L’adulte est là pour veiller à ce que les règles de l’échange soient maintenues : le respect, l’écoute, la distribution de la parole.

Il est extrêmement enrichissant d’observer et de participer à de tels échanges : comme dit plus haut, l’adulte apprend des enfants, exerce sa capacité d’émerveillement sur un texte qui ne lui parle peut-être plus à force d’être lu et entendu.

« Ce qui étonne nous arrête et ébranle l’âme tout entière », dit encore Aristote : quelle meilleure définition pourrions-nous donner de l’émerveillement ? Comment ne pas souhaiter que les enfants en fassent l’expérience en découvrant les textes bibliques ? Comment ne pas s’émerveiller ( !) de les voir se découvrir penseurs, découvreurs, aventuriers de la parole ? En leur accordant notre confiance nous les préparons à grandir. Dans tous les sens du terme. Au final, que ferons-nous d’autre que de prendre au sérieux ce que Jésus dit : « En vérité, je vous le déclare, si vous ne changez et ne devenez comme les enfants, non, vous n’entrerez pas dans le Royaume des cieux. »

Florence Auvergne-Abric


*Cette démarche du « temps d’émerveillement » fait partie intégrante de la méthode Godly Play©. Ce temps vient à la suite du récit biblique : un certain nombre de questions préétablies sont posées aux enfants, questions qui commencent toutes par : « Je me demande », en anglais : « I wonder ». Cette introduction sous-entend que l’adulte- animateur se pose la question à lui-même en la posant aux participants. Voir « Godly Play© »

**Le mot anglais « wonder » est une chance pour les anglo-saxons : il peut être traduit en fonction de son contexte par merveille, étonnement, miracle ou demande.

Crédit: Florence Auvergne-Abric