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Les quatre catéchèses

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Image Les bouleversements de la fin du 20ème siècle

Le catéchisme désigne traditionnellement l’essentiel de ce qu’une Eglise annonce. Il résume les éléments essentiels de la foi et se présente comme une sorte de carte d’identité d’une Eglise, comme un ensemble concis et pratique proposé à tous. C’est une démocratisation de la pensée théologique. Jusqu’au milieu du 20e siècle il suffisait d’énoncer les points de doctrine lors des séances de catéchisme et de demander aux catéchumènes de les apprendre. L’Eglise avait alors rempli sa mission de formation des fidèles. Or trois changements fondamentaux ont rendu le modèle inopérant.

 

Vulgariser et enseigner : deux activités différentes

Tout d’abord, la démocratisation des connaissances, la vulgarisation, ne passe plus par des rencontres, qu’il s’agisse de groupes d’élèves, de salles de conférences ou d’assemblée cultuelles. La pensée est diffusée en grande quantité par les médias. Elle atteint les gens chez eux, sans qu’ils aient à se déplacer. L’essentiel de ce que pensent les jeunes, comme les moins jeunes, étant acquis par l’intermédiaire des médias, c’est par cette voie que les Eglises peuvent communiquer les notions catéchétiques et l’écrit demeure un média efficace.

Le deuxième bouleversement est d’ordre pédagogique. L’apprenant n’est plus considéré comme une tête vide qu’il suffit de remplir avec des connaissances bien conçues et clairement énoncées. L’être humain, quelque soit son âge, aborde un cursus de formation avec des idées, des a prioris, sur le sujet. Apprendre, c’est remettre en cause son opinion de départ pour s’en forger une, plus évoluée. Le pédagogue met les élèves devant des obstacles qu’ils doivent surmonter pour dépasser leurs anciennes représentations du sujet étudié. Le pédagogue doit proposer une suite d’activité aux enseignés.

De nos jours, si des personnes se déplacent, ce n’est pas pour être mis en présence d’un ensemble de connaissances. Elles peuvent les acquérir plus aisément à la maison, par exemple en lisant une bonne revue. Si les gens se rassemblent, c’est pour faire des choses qu’ils ne réaliseraient pas chez eux. Il s’agit de leur proposer des activités. C’est pourquoi le mot « catéchèse » recouvre aujourd’hui deux réalités différentes : la vulgarisation qui se caractérise par la clarté des exposés, et la pédagogie qui se caractérise par les activités proposées. L’auteur d’un livre de vulgarisation doit se demander « qu’est-ce que je vais leur dire ? ». Le pédagogue doit se dire « qu’est-ce que je vais leur demander de faire ? ».

Croire et connaître : les deux faces du religieux

Le troisième bouleversement concerne l’approche du religieux. Depuis un siècle la connaissance des religions s’est émancipée de la tutelle des communautés croyantes. Les religions sont étudiées comme les autres phénomènes humains. La pédagogie religieuse participant à cette évolution a désormais deux faces clairement identifiables : l’une de connaissance de la religion (la mienne et celle des autres) l’autre de construction d’une opinion sur les choses ultimes. Aucune de ces deux faces n’est superflue. Certes, la religion est une affaire d’opinion avant d’être un objet de connaissances. Mais, pas plus qu’il n’est possible d’aimer la lecture sans apprendre à lire, il n’est envisageable d’avoir une opinion sur quelque chose d’inconnu. La catéchèse (dans sa réalité pédagogique) est divisée en deux entités distinctes :
une formation à la connaissance de sa religion et de celle des autres
un travail d’élaboration d’une pensée personnelle sur la dimension spirituelle de l’existence.

L’école est par définition, le lieu où les connaissances sont développées. La face culturelle de la catéchèse trouve donc en principe, tout naturellement sa place à l’école publique. Or toutes les écoles publiques d’Europe, à l’exception de la plus grande partie de la {tip France::Seuls les départements du Rhin et de la Moselle ont sur le point une situation comparable aux autres pays européens.}France{/tip} et du canton suisse de Genève, offrent aux enfants un enseignement religieux. Malheureusement le cours de religion se limite parfois à de la catéchèse traditionnelle : une confession présente, à ses propres enfants, l’essentiel de la foi ; la religion se coupe alors, des autres domaines de la connaissance. Inversement l’émancipation du religieux a parfois aboutit à la tendance inverse : l’enseignement religieux y devient une étude comparée des religions sans hiérarchie aucune ; la religion se coupe alors de la vie religieuse des élèves et participe à la rupture déjà importante entre l’école et la vie.

Les enfants doivent développer leurs connaissances du fait religieux dans un esprit d’ouverture et acquérir les repères essentiels de leur foi. Le religieux est actuellement diffusé de façon tout à fait erratique dans les médias et c’est à travers eux que l’enfant acquiert ses idées sur les questions spirituelles. L’enfant doit donc trouver un lieu pour organiser ses connaissances religieuses. Si la diffusion par les médias est, de loin, dominante en quantité, c’est à l’école de développer la qualité. Par ailleurs, là où  le média se consomme individuellement, le groupe permet de s’initier à la différence religieuse. L’école n’est cependant pas en France actuellement prête à remplir cette tâche. D’abord pour des raisons idéologiques puisque bon nombre d’enseignants estiment que la religion véhicule des valeurs opposées à celles du système éducatif. Les religions seraient en quelque sorte le contraire de l’esprit scientifique qu’il faut développer chez l’enfant.

Or l’évolution des sciences religieuses montre qu’il n’en est rien. Les pays scandinaves, l’Angleterre, le Benelux, l’Allemagne, la Suisse et l’Autriche développent actuellement des modèles tout à fait éclairants. Le protestantisme pourrait se mobiliser davantage pour faire connaître à la société française ces évolutions. Il rendrait un énorme service à un pays où les questions religieuses restent relativement bloquées. Il se rendrait également service à lui-même. Si l’aspect « connaissances » de la catéchèse était pris en charge par l’école, les Eglises n’auraient plus à investir autant d’énergie dans ce domaine. Des visées catéchétiques courantes dans le protestantisme, telles : « permettre à chacun de comprendre la Bible comme un livre ayant joué un grand rôle dans l’histoire du protestantisme » relèvent du culturel et devraient être traitées dans le cadre de l’école.

Les Eglises auraient alors la possibilité de se consacrer aux questions de foi qui relèvent de l’opinion et des comportements. Le jeu et la fiction deviennent alors des instruments privilégiés de la catéchèse paroissiale. Débarrassées du souci cognitif, les Eglises pourraient rassembler les enfants et les adolescents pour vivre des expériences les uns avec les autres et avec l’Autre. La visée première de la catéchèse deviendrait alors des célébrations où les jeunes sont actifs. Non des cultes, centrés sur la dimension cérébrale de la foi, mais des liturgies mobilisant les cinq sens de la personne humaine. L’objectif des rassemblements catéchétiques ne serait pas de permettre à chacun de « découvrir les multiples sens d’un texte biblique » (objectifs semblables à ceux d’un cours de littérature) mais « offrir à Dieu la joie de vivre ensemble ». Cela oblige à repenser l’ensemble de notre théologie du culte, lieu où les gens se rassemblent, donc lieu qui n’est guère propice à la diffusion des connaissances.

La catéchèse familiale

Ces lignes décrivent la partition nécessaire de la catéchèse traditionnelle : la vulgarisation, de nos jours véhiculée par les médias, l’enseignement religieux qui devrait trouver toute sa place à l’école, les rencontres paroissiales, démarchent de foi. Il pourrait en exister une quatrième : la catéchèse familiale. Qu’acquiert-on en famille ? D’abord un patrimoine culturel. Les enfants héritent de leurs parents une culture qui leur est transmise souvent inconsciemment. Le niveau de vocabulaire d’un enfant par exemple, dépend de celui des parents. Il en est de même pour le religieux et des parents qui sont en contact avec une paroisse familiarisent l’enfant au phénomène religieux. Mais qui dit « catéchisme » parle « de foi raisonnée ». Pour que la catéchèse familiale soit une réalité, elle doit dépasser la transmission inconsciente d’un patrimoine. Or pour que des parents soient à même d’accomplir cette tâche, il leur faut des outils adaptés. Retour donc sur le terrain des médias, ici Internet devrait avoir une carte majeure à jouer. Mais sans se faire trop d’illusions. Actuellement les opinions se forgent à partir des médias, des chats Internet, de la cour de récréation pour les plus petit et du café du coin pour les adolescents.

© Claude Demissy, Eglises Protestantes d’Alsace et de Lorraine, 2000.