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Pas artiste, mais créateur ?

Créer, être créateur, est-ce seulement possible pour ces enfants à qui tout manque ? Quand il n’y a ni parole, ni capacité de se mouvoir et que l’intelligence est déficitaire, la question se pose à tout catéchète face au public. Créer, être créateur ?

Tous ceux qui comme moi ont eu l’occasion d’animer des séances de catéchèse avec des enfants handicapés mentaux savent à quel point les objets, la peinture, la musique, l’architecture même du lieu de la catéchèse sont non seulement importants mais indispensables.

Mais qu’est-ce que l’art ? Moi, je ne le sais pas très bien. Le Petit Robert me dit que « l’art est l’ensemble des activités humaines créatrices visant  à l’expression d’un idéal esthétique. L’art n’a pas d’autre but que lui-même. Il ne vise pas l’utile mais le beau ».

Créé par Dieu à son image, tu peux être créateur. Voilà presque un acte de foi. Tu es créateur, c’est une parole adressée à cet enfant qui se plonge entièrement dans la matière qu’on lui a mise à disposition pour lui permettre d’intégrer une part du message biblique.

Cette peinture, cette musique, ces graines, cette mosaïque… Il n’est pas intéressé d’abord par l’œuvre qui va sortir de ses mains. Il se donne simplement, entièrement dans le moment présent de tout son corps et de toute son âme. Et c’est là qu’il est créateur. C’est là que je vois qu’il est beau.

Cet enfant qui peint ne produit pas une œuvre d’art ou tout au moins, il n’a pas conscience de le faire. Mais il laisse une marque. Il a été créé le septième jour. A l’image de Dieu. Comme moi. Dieu l’a regardé et il a vu qu’il était beau.
L’art ne vise pas l’utile mais le beau. Mais qu’est-ce que le beau ? Moi je ne sais pas très bien.

Le Petit Robert me dit encore que le beau « C’est ce qui me fait  éprouvé une émotion esthétique, qui fait naître un sentiment d’admiration ou de satisfaction ».

Je les regardais faire et je voyais qu’ils étaient beaux. Je pense à ces compositions florales, à ces empreintes laissées sur une croix de bois, à ces cailloux marqués d’un signe, même à ce chant atonal fait de cris et de silences. Quelquefois c’était comme une révélation. La révélation de Dieu présent en eux. Leur beauté se cherche, se laisse trouver au-delà des apparences disgracieuses, au-delà des critères esthétiques en vigueur. Elle est vraie. Elle est art.

Leur est-il donné de voir que c’est beau ? Je ne sais pas très bien. J’ai vu l’effet sur eux de fresques murales agressives ou au contraire apaisantes. Je les ai vus réagir à la grande musique de façon très atypique parfois : chacun en fonction de son propre patrimoine culturel.

Contempler, c’est se mettre en position de recevoir, de se laisser imprégner. C’est faire silence en soi pour se laisser interpeller par quelque chose d’extérieur. Ce n’est pas parce que quelqu’un ne peut pas restituer ce qu’il ressent qu’il ne ressent rien.

 L’art est un grand mot, réservé peut-être aux grands de ce monde. Les plus petits d’entre nos frères sont concernés. Ils sont sensibles et peuvent nous sensibiliser pour que nous louions la création là, où peut-être, nous ne l’avions pas soupçonnée.

Martine Leonhart
PointKT N° 34
Avril, mai, juin 2001