1

Pour une mondialisation à visage humain

Mondialisation, globalisation, … des mots qui font naître des sentiments forts divers et contradictoires: d’un côté, l’interdépendance croissante et généralisée favorise le partage du savoir et la communication entre les êtres humains, …..d’un autre côté, l’interdépendance accroît la vulnérabilité (crises financières) et la concentration du pouvoir incite aux abus. Les atteintes à l’environnement et la consommation effrénée des ressources naturelles n’ont pas fini de charrier leur lot de catastrophes.

Sur le plan du vécu personnel, notre société est de plus en plus basée sur une dictature de la performance. Le spectre de la délocalisation fait de l’homme, qui, autrefois, avait peur de la mort, un être qui, aujourd’hui, a peur de la vie. La Bible a, ici encore, un message percutant et d’une actualité brûlante, à faire retentir: Dieu, Lui, nous aime par pure grâce. C’est gratuitement qu’Il nous offre la possibilité de vivre une vie autre, une vie où ce qui compte n’est pas dans le visible, le palpable et le chiffrable.

Un globe uniforme ou solidaire ?

Une autre réalité à double tranchant, née de la mondialisation, est que le globe est devenu un seul village, une seule histoire. Cette uniformisation est en même temps un privilège, dès lors qu’elle offre ouverture et richesse d’approches variées, et une prison, lorsqu’elle aboutit au constat sinistre qu’il n’y a plus d’ailleurs, plus d’alternative. Lorsque les activités économi-ques des différents pays sont basées sur un modèle de développement unique qui ne tient aucunement compte de leurs niveaux d’évolution respectifs, la mondialisation perd son humanité.

En tant que disciple du Christ, nous sommes invités à vivre dans le monde sans être du monde (Jn. 15/19, 17/16). C’est un grand défi qui nous est lancé: tout en étant solidaires du monde dans lequel nous vivons et que nous avons reçu en héritage, comment dire et vivre une distance qui soit féconde, qui soit un témoignage? Ici encore, le message biblique nous apporte sa bouffée d’oxygène, en nous lançant le défi de vivre d’un ailleurs dans le moment et l’espace présent.

La parabole du riche et de Lazare.

La parabole du riche anonyme et de Lazare (Lc. 16/29-31) est d’une profondeur inouïe. J’en relève deux éléments pour nous aider dans la recherche des moyens pour lutter contre les conséquences déshumanisantes de la mondialisation néolibérale.

Le mendiant, lui, a gardé son nom: Lazare. Pourquoi? Tout simplement parce qu’il ne peut pas vivre sans les autres, et qu’il le sait, même si les autres croient pouvoir vivre sans lui. Notre histoire, la vraie, et notre nom, c’est avec les autres qu’ils se vivent, se tissent, se nouent et se déroulent. Lazare est contraint de faire une place aux autres, d’attendre quelque chose des autres. Et ainsi il garde son nom.Il est une différence éclatante, entre les deux protagonistes de l’histoire. Le pauvre a un nom, contrairement au riche. Ce détail n’est pas fortuit; ce n’est pas pour rien que Jésus a refusé un nom à ce riche, sans doute bien plus connu que Lazare. Si Jésus prive ainsi le riche de son nom, c’est parce qu’il s’en est lui-même privé. Le nom est le résumé et le symbole de notre histoire… donc, en se privant d’une vraie histoire, notre riche a perdu son nom.

Un second détail mérite d’être retenu. Lazare gît à la porte du riche. Jésus n’a pas pris deux personnages types, abstraits: le Riche et le Pauvre. Il a mis en scène deux hommes liés par l’histoire et la géographie. Et de ces deux hommes, il en est un qui est couché au travers de la route de l’autre. En travers de sa vie.
Mais le riche ne s’en est jamais rendu compte. Il n’a jamais su voir Lazare qui était la chance de sa vie, sa chance de recouvrer un nom et d’avoir une histoire. Il n’a jamais su rencontrer Lazare.

Dans un monde globalisé, dominé par les intérêts économiques, l’individu court le risque de se voir dégradé au seul statut de facteur économique. Pour ne pas en arriver à une chosification de l’être humain, nous devons réapprendre à regarder l’autre, à le découvrir tel qu’il est, avec ses forces et ses faiblesses. Nous devons ouvrir les yeux pour découvrir qui est le Lazare couché à notre porte et que nous enjambons, jour après jour, sans le voir.

Une spiritualité de résistance. Pour nous inscrire dans une spiritualité de résistance, nous devons aussi garder à l’esprit que notre vie comme notre terre ne nous appartient pas. C’est Dieu qui en est le propriétaire, nous n’en sommes que les gérants. Nous aurons, un jour, des comptes à rendre sur la manière dont nous aurons géré les dons reçus du Père céleste. L’économie correspond aux efforts déployés pour assurer une bonne intendance sur cette Terre-maison de Dieu, et donc une bonne gestion et une répartition équitable des ressources limitées qu’elle offre.La terre n’est pas une planète mise à la libre disposition de l’être humain et dont il peut faire ce qu’il veut. Dans la perspective biblique, c’est clairement la maison de Dieu (oikos) dans laquelle l’humain est accueilli, mais sans qu’elle lui appartienne.
Cette notion de maison de Dieu nous invite à travailler comme de bons intendants, de bons gestionnaires de la terre. Le terme oikos a donné, en français, le préfixe éco ou œco. L’étymologie nous introduit dans trois aspects fondamentaux, qui découlent du fait de voir la terre comme maison de Dieu:

  • L’écologie représente la volonté de ménager les ressources naturelles, la diversité des espèces et de respecter ainsi la beauté de cet habitat commun.
  • L’œcuménisme, c’est la cohabitation pacifique et constructive des enfants du Père, au sein de cette maison commune qu’est la Terre.

Dès que l’économie, l’écologie et l’œcuménisme sont mis au service du globe comme maison de Dieu, la mondialisation peut prendre alors un visage humain.

Pour entrer dans ce mouvement, nous devons être lucides sur le mouvement général de notre société et oser nous démarquer sur certains points:

  • L’individualisme prend, dans tous les domaines, le pas sur la vie en communauté… NON, notre bien-être ne peut pas exister au prix de la souffrance des autres! Nous devons montrer, par nos attitudes, que nous savons qu’étant fils et filles de Dieu, nous sommes du même coup frères et sœurs des humains, et donc solidaires de leur sort.
  • La religion est reléguée au rang d’affaire privée… NON, notre foi peut et doit être un levier pour rappeler, à tous les niveaux, que l’homme a été créé à l’image de Dieu et qu’il est appelé à œuvrer en son nom.
  • L’importance exacerbée mise sur l’instant présent, au mépris du passé et de l’avenir… NON, nous savons d’où nous venons et, pen-sant à l’avenir, nous posons des actes qui ne relèvent pas simple-ment de la satisfaction d’un besoin présent.

« Ne pas faire le mal, et surtout… »

Le contre-pied par excellence du réflexe humain qui induit les effets per-vers de la mondialisation est condensé dans la règle d’or que Jésus rap-pelle dans l’Évangile (Lc. 6/31): tout ce que vous voulez que les hommes fassent pour vous, faites-le de même pour eux. Jésus nous invite non pas seulement à ne pas faire le mal, mais encore à faire du bien.

Le réflexe humain est plutôt de dire: Moi! Je n’ai pas volé, je n’ai pas tué! Et c’est déjà très bien! Si tous les hommes pouvaient se tenir ne fusse qu’à cette règle, le monde aurait déjà un visage plus humain. Mais l’exigence de Jésus est plus forte encore: il ne se contente pas de nous dire ne faites pas le mal, il nous dit: faites le bien.

La question n’est donc plus que ne dois-je pas faire?
La question devient: que dois-je faire?
Concrètement, la question qui doit me pousser dans mon agir de chaque jour, devient: comment puis-je mieux aimer et aider mon prochain. Comment puis-je poser des gestes concrets pour sauvegarder la terre-maison de Dieu? Et ce qui est beau, c’est que Jésus ne reste pas au niveau de la théorie… il entre dans le concret. Il est très précis. Par exemple: dans le 8ème commandement du décalogue, que Jésus rappelle ici, Dieu me défend de voler. Jésus m’aide à prendre conscience qu’il ne s’agit pas uniquement de m’abstenir de dérober. Ne pas voler, dans la perspective active que Jésus me présente ici, signifie aussi, quelque chose de positif. Ne pas voler, c’est aussi renoncer à toute avarice et à tout gaspillage des dons reçus de Dieu. Ne pas voler c’est rechercher, autant qu’il est en mon pouvoir, ce qui est utile à mon prochain, agir envers lui comme je voudrais qu’il agisse envers moi et travailler fidèlement afin de pouvoir secourir ceux qui manquent du nécessaire.

Nous ne sommes pas habitués à voir la réalité comme Jésus la voit. Et pourtant… Quelle richesse de pouvoir vivre en pensant, non à ce que nous ne pouvons pas faire, mais bien à toutes les opportunités positives. Oppor-tunités de dire des mots et de poser des actes qui nous font aller de l’avant et mieux aimer ceux que notre Père placent sur notre route.

Rien n’est anodin: chaque acte porte à conséquences ! Chacun et chacune est donc en mesure, par ses choix et ses attitudes, de réactiver sa faculté de regard et de contribuer à mettre en place une mondialisation à visage humain.