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Quelle lumière dans notre obscurité ?

 Les premiers qui rendirent visite à l’enfant Jésus étaient des mages. Des mages venus d’Orient. Ces mages, que les évangiles apocryphes et la légende ont promu rois, étaient en réalité des prêtres venus de Perse et des contrées voisines. Ils représentaient l’élite intellectuelle du Moyen Orient ancien, et sans doute aussi la religion de Zoroastre, en vigueur dans ces pays. Lectures : Es 60, 1-6 ; Ps 8 ; Mat 2, 1-12

Matthieu l’évangéliste reprend un scénario connu de la littérature de l’époque : un enfant, appelé à devenir un grand roi – en l’occurrence le messie d’Israël, reçoit la visite de notables étrangers qui viennent lui offrir des présents.

C’est l’obscurité qui domine.

Nous avons tous retenu la scène, depuis notre tendre enfance, de ces mages magnifiquement vêtus, guidés par un astre brillant de tous ses feux, et qui viennent s’agenouiller devant l’enfant lui-même baigné de lumière. Les beaux cantiques de Noël résonnent encore à nos oreilles. Tout est beau, lumineux et paisible. Dans les jours qui viennent nous rangerons la crèche avec les enfants, et les petits santons retrouveront leurs boites enveloppés dans les papiers de soie.
Ce qui est resté dans l’imagerie populaire n’est hélas qu’une partie de la réalité. Le message de l’Évangile a été escamoté. La réalité, c’est que le peuple d’Israël était dans l’obscurité. Le récit des mages, pris hors de leur contexte, donnent une fausse idée de la réalité. Il faudrait lire la suite : des innocents sont massacrés par le roi Hérode, ce roi cruel qui ne supporte pas l’existence d’un rival potentiel. Ce qui domine hélas dans le tableau de la naissance et de la petite enfance de Jésus, ce n’est pas la lumière, mais l’obscurité. Une lumière, certes, mais fragile, et que les puissants cherchent à étouffer.
L’évangéliste Matthieu reprend un récit enchanteur et lumineux de la littérature de son époque, pour le placer dans le contexte d’un peuple désenchanté et sombre. Un peuple qui était las de subir coup sur coup les régimes oppressants des Grecs, puis des Romains, et, dans la nostalgie d’un passé lointain, attendaient qu’un messie se lève en leur sein pour restaurer le trône de David. Un peuple figé dans sa spiritualité par un code de lois rabbiniques, que les pharisiens avaient peu à peu transformés en carcan.
Mais voilà que se lève précisément le messie qu’ils attendaient. Quelle réaction ont-ils, ceux qui l’attendaient ?
Curieusement, la nouvelle de sa naissance ne provoque que l’indifférence ou l’hostilité.
Indifférence des juifs de Jérusalem, car personne ne se lèvera pour aller voir l’enfant à Bethléem. Ce n’était pourtant pas bien loin. 10Km au Sud de Jérusalem. Les intellectuels – scribes et pharisiens, font juste l’effort de consulter les Ecritures et retrouver les prophéties anciennes. Mais ils ne bougent pas. Ils restent figés dans leur sagesse. A quoi cela sert-il d’aller voir un enfant ? Il n’y a rien à apprendre d’un enfant de toute manière. On peut apprendre quelque chose des livres, pas d’un enfant.
Indifférence. Hostilité aussi, de la part des autorités : Hérode et son entourage, voient clairement la menace. Comment la dynastie au pouvoir peut-elle accepter qu’une famille inconnue puisse les supplanter ?
Indifférence, Hostilité. Seuls trois étrangers ayant parcouru, non pas 10 Km, mais plus de 500 Km, sont venus voir l’enfant.

C’est donc bien sur fond d’obscurité que la lumière de l’enfant a brillé, c’est dans un ciel sans lune ni étoile que l’astre a brillé.
Comme nous l’avons lu dans Esaïe :

Lève-toi, brille : ta lumière arrive,
La gloire du Seigneur se lève sur toi.
Certes, les ténèbres couvrent la terre
Et une obscurité épaisse recouvre les peuples.

Chaque siècle a son obscurité

Les peuples de l’Orient aussi étaient dans l’obscurité à l’époque de Jésus. La religion de Zoroastre croyait que tout était gouverné par un combat entre les forces du mal et les forces du bien, dans les cieux, sur la terre et jusque dans le cœur de l’homme. Religion dualiste. Mais ils n’étaient pas assurés, semble-t-il que les forces du bien puisse l’emporter sur les forces du mal. La religion des mages était dans une impasse. Peut-être les mages voyaient-ils dans l’astre qui s’est levé, et dans le petit enfant de Bethléem qui est né, l’espoir de sortir de cette impasse ? Je le crois.

Et nous aujourd’hui, n’avons-nous pas l’impression d’être dans une impasse ? Chaque siècle a son obscurité. Notre société dite moderne ne connaît-elle pas une certaine obscurité sur le plan moral ? Par exemple dans le domaine des droits de l’homme ?
Le 20ème siècle avec ses 2 guerres mondiales fut de loin le plus meurtrier de tous les siècles qu’a connu l’histoire. Quel sera le 21ème siècle ? L’esclavage a-t-il vraiment disparu ? Le recours à la torture continue dans certains pays. Les enfants maltraités et les femmes opprimées se comptent par millions. La montée des fanatismes religieux, dans une partie de l’Islam et dans une partie de l’Hindouisme, n’est-il pas pour une part la résultante de notre incapacité, à l’échelle mondiale, de réduire les inégalités entre les pays riches et les pays pauvres ?
Mais arrêtons-là la liste de tout ce qui assombrit notre 21ème siècle. On pourrait aussi, sans aller chercher à l’étranger, regarder ce qui se passe en France chez les jeunes. Car nous détenons le triste record en Europe du nombre de suicides de jeunes. La France aussi a ses obscurités.

Regarder aussi ce qui brille

Mais il faudrait aussi parler de ce qui brille dans l’obscurité. Quelles sont les étoiles qui se lèvent dans le ciel un peu sombre de notre 21ème siècle ? Ce n’est pas facile de répondre à cette question. D’abord, les media ne nous y aident pas ; ce sont les accidents, les conflits et les préparatifs de guerre que le petit écran nous montre en priorité. Mais les étoiles, où sont-elles ? Ce sont les hommes et les femmes qui par leur courage et leur détermination nous donnent l’espérance d’un monde de paix et de respect des droits de chaque être humain. Vous avez sûrement des noms en tête, et j’en ai aussi, des noms connus comme les prix Nobel de la Paix, ou des moins connus. Il y a aussi les nombreux artisans de paix qui oeuvrent en silence, des hommes et des femmes ordinaires dont l’histoire ne retiendra sans doute jamais les noms.

Aller voir l’enfant

Car ce qui brille dans notre obscurité et qu’il faut aller voir, ce n’est pas nécessairement ce dont parle – si peu au demeurant, les media. Certes, les Sœurs Emmanuel, les Nelson Mandela et autres grands témoins de la paix éclairent notre humanité, nous tirent du désespoir, mais il faut aussi aller voir l’inconnu, le petit, le fragile qui est à notre porte.
Prenons exemple sur les mages. Ils n’ont pas été voir un prix Nobel de la Paix. Cela peut surprendre, d’ailleurs. Certes, ils sont d’abord allés au Palais du roi Hérode, mais ils n’y ont pas trouvé ce qu’ils cherchaient. Notons au passage, j’ouvre une parenthèse, que l’étoile qu’ils avaient vue se lever en Orient ne brillait pas au-dessus du palais à Jérusalem. Elle s’est mise à briller, nous dit l’Evangile, lorsqu’ils sont repartis vers Bethléeem.
Ces mages, donc, ont fait tout ce chemin pour aller voir un illustre inconnu, un petit, un fragile. Ils sont allés voir un enfant. Ce qu’ils cherchaient et qu’ils ont trouvé, pour sortir de leur impasse métaphysique, pour éclairer leur obscurité, c’était l’enfant.
Je crois qu’il faut retenir le sens profond, le mystère même, de cette scène des mages qui contemplent et adorent un petit enfant. Peut-être nous aussi, pour éclairer nos vies parfois assombries par le cynisme environnant, avons-nous besoin de contempler le petit enfant.

Je ne dis pas qu’il faut mettre le petit enfant sur un piédestal, ou prendre au pied de la lettre le dicton populaire qui dit que la vérité sort de la bouche des enfants. Non, mais la figure de l’enfant peut nous éclairer, de façon que nous ne soupçonnons pas. Je crois qu’il y a une proximité mystérieuse entre Dieu et les petits enfants. Cette idée, d’ailleurs, est profondément biblique.

Le psalmiste s’écrie : Eternel, notre Seigneur, que ton nom est magnifique sur toute la terre
Ta majesté s’élève au-dessus des cieux
Et il ajoute de façon surprenante :
Par la bouche des enfants et des nourrissons, Tu as fondé ta gloire, à cause de tes adversaires,
Pour imposer silence à l’ennemi et au vindicatif.

Aux yeux de Dieu, le vindicatif et le puissant ne font pas le poids devant le petit enfant.
La gloire de Dieu repose sur le petit, le fragile, le vulnérable.

Il y a une proximité entre Dieu et le petit enfant, pas seulement du petit Jésus, bien sur, mais de n’importe quel petit enfant. Disons plus précisément qu’il y a une proximité entre le Royaume de Dieu et le petit enfant. Jésus lui-même l’a rappelé à plusieurs reprises. Dans Matthieu au chapitre 19 :
Les gens lui amenèrent des enfants, afin qu’il leur impose les mains et prie pour eux. Mais les disciples le rabrouèrent. Alors Jésus dit : « laissez faire les enfants, ne les empêchez pas de venir à moi ; car le Royaume des Cieux est pour ceux qui sont comme eux. »

Voilà pour la Bible, et ce n’est pas exhaustif.

Vous connaissez la belle chanson d’Yves Duteil :  » prendre un enfant par la main  »

(si j’avais du talent, je vous l’aurais chanté) :

Prendre un enfant par la main
Pour l’amener vers demain
Pour lui donner la confiance en son pas
Prendre un enfant pour un roi
Prendre un enfant dans ses bras
Et pour la première fois
Sécher ses larmes en étouffant de joie
Prendre un enfant dans ses bras.

Prendre un enfant par le cœur
Pour soulager ses malheurs
Tout doucement sans parler, sans pudeur,
Prendre un enfant sur son cœur.
Prendre un enfant dans ses bras
Mais pour la première fois,
Verser des larmes en étouffant sa joie
Prendre un enfant contre soi.

Prendre un enfant par la main
Et lui chanter des refrains
Pour qu’il s’endorme à la tombée du jour,
Prendre un enfant par l’amour
Prendre un enfant comme il vient
Et consoler ses chagrins
Vivre sa vie des années, puis soudain,
Prendre un enfant par la main
En regardant tout au bout du chemin,
Prendre un enfant pour le sien.

Je me demande si Yves Duteil, qui avait certainement un cœur d’enfant, en plus d’avoir du talent, ne s’était pas inspiré de l’évangile de Matthieu :

Prendre un enfant pour un roi
Et pour la première fois
Verser des larmes en étouffant sa joie,

La figure de l’enfant

Parlons aussi de la joie. Qu’est-ce que les mages sont allés voir chez l’enfant et qui leur a donné une telle joie ? On pourrait croire que leur joie venait de l’astre qui s’était levé et s’était arrêté comme ils l’avaient prédit. La joie du savant en quelque sorte, qui voit sa théorie confirmée par l’expérience. Je crois qu’il n’y a pas que cela. C’est la joie aussi de se trouver proche de Dieu en voyant le petit enfant, une joie qui vient d’ailleurs, une joie qu’on ne commande pas.
Et je vous demande, qu’est-ce que nous enseigne la vue d’un petit enfant ? Est-ce l’innocence qui nous frappe chez lui ? une innocence que nous aspirons à retrouver, pour échapper, ne serait-ce qu’un instant, au sentiment diffus de culpabilité et de cynisme qui imprègne le monde des adultes ?
N’ est-ce pas plutôt la figure de la promesse qui se dresse derrière le petit enfant ? Le champ des possibles est plus grand chez l’enfant que chez l’adulte. Derrière l’enfant de Bethléem se dresse la promesse de sortir du siècle obscur que connaissait les mages dans leur religion bloquée. oui, c’est cela. La promesse aussi de sortir de la situation bloquée que connaissait les Juifs, sur le plan religieux et politique.
Et aujourd’hui, pour nous qui nous disons Chrétiens, la figure de l’enfant, c’est la promesse d’un avenir meilleur avec Dieu, pour notre monde et pour chacun d’entre nous individuellement. Croire en cette promesse, malgré les conflits, les haines et les préparatifs de guerre que nous voyons sur le petit écran, c’est avoir de l’espérance. Espérer contre toute espérance, dirait Saint Paul.
En contemplant un petit enfant, nous pouvons comme les mages ressentir la joie, car c’est l’espérance que nous recevons dans notre cœur.
Il nous est impossible hélas, de voir le monde avec les yeux d’un enfant, car nous avons perdu l’innocence. Mais avec les yeux de la foi, nous pouvons comme lui, voir le monde avec espérance. C’est-à-dire en croyant fermement que Dieu est capable de nous sortir des impasses, qu’il est capable d’allumer une lumière dans nos obscurités, et de nous donner un demain quand l’aujourd’hui est sombre. En reprenant les belles paroles d’Yves Duteil : Prendre un enfant par la main …