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Sur quoi fondez-vous votre vie ?

Lao Tseu, le sage chinois, fondateur du taoïsme, racontait cette histoire : il était une fois un homme, Tsi, qui était très avide d’or. Tsi s’est habillé dès l’aube, il a mis sa casquette et s’est rendu au marché. Il s’est dirigé vers l’étalage du changeur et soudain… a pris l’or et s’est enfui.Peu après, un policier l’arrête et lui demande: «Comment as-tu pu voler cet or, alors que tu étais entouré de tous côtés ?» Et Tsi répond : «Pendant que je prenais l’or, je ne voyais pas les gens, je ne voyais que l’or». L’or exerce une telle fascination sur Tsi qu’il va jusqu’à occulter la présence d’autrui et lui permettre l’audace du vol.

  • Quel dieu vous donnez-vous ?

L’or exerce une telle fascination sur Tsi qu’il va jusqu’à occulter la présence d’autrui et lui permettre l’audace du vol. L’or s’est à ce point infiltré entre lui et les autres qu’il est parvenu à les cacher à sa vue. Dans ce récit, en fin de compte, l’or n’est certainement pas un objet, ni une matière ; il est le véritable sujet de l’histoire, fournissant du travail au changeur, alimentant les échanges et captant, comme on l’a vu, le désir de Tsi.

En hébreu, l’argent se dit «késéph» ; ce mot provient d’une racine qui veut dire : désirer, languir après quelque chose. Cela prouve que très tôt un lien a été reconnu entre l’argent et le monde de désir qui nous habite.
A la lecture du Nouveau Testament une surprise surgit : lorsque Jésus parle de l’argent, il le personnifie. Plus encore il en fait un dieu. «Nul ne peut servir deux maîtres: ou bien il haïra l’un et aimera l’autre, ou bien il s’attachera à l’un et méprisera l’autre. Vous ne pouvez servir Dieu et Mamon» (Mt 6, 24).
Faire de l’argent un dieu, lui donner un nom – Mamon – n’est pas un simple procédé oratoire pour illustrer la puissance de la richesse. Jésus veut signifier par là que l’argent n’est pas un objet que l’homme demeurerait libre de s’approprier ou non ; il peut à tout moment devenir un dieu auquel on sacrifie sa vie. Pour l’Évangile, notre rapport à l’argent ne constitue donc pas premièrement une question d’ordre moral, mais une question d’ordre spirituel.
L’Évangile ne nous interpelle pas d’abord sur la manière dont nous utilisons notre argent. Quand il parle des biens, il nous interroge sur le fondement même de notre existence : sur quoi fondez-vous votre vie ? Quel dieu vous donnez-vous ?
L’Évangile démasque, dans l’argent, une puissance spirituelle et nous fait ainsi savoir que l’attitude adoptée à son égard décide du sens de notre vie.
  • Liberté rendue possible

Le comportement de Zachée, dans Luc 19, 1-10, illustre de manière frappante la liberté évangélique à l’égard des biens. Cette liberté, rendue possible par la présence de Jésus et par son interpellation, consiste en une inversion de la fonction de l’argent. Celui-ci n’est plus considéré comme une puissance détentrice de garanties et de sécurité, mais comme un instrument destiné à tisser des relations de vie et d’amitié. Cet acte par lequel l’argent se trouve frustré du pouvoir dont on l’avait investi, dépossédé de sa présentation à offrir une garantie contre la mort – cet acte peut être nommé : c’est la profanation de l’argent.

 L’argent est profané lorsqu’il est réduit à son rôle d’instrument matériel, fait pour l’échange et la vie. Le chrétien est invité à profaner Mamon. II est invité à désacraliser l’argent en introduisant, dans une société dominée par Mamon, la sphère du don et de la gratuité. Par le don qui est, d’une manière ou d’une autre, une dépossession partielle de notre avoir, nous profanons l’argent, ce qui veut dire que nous le désacralisons. En effet, en donnant de notre argent, nous montrons qu’il est possible de nous dessaisir d’une partie de nos biens, en ne leur accordant pas une valeur absolue.
  • Pas pour Dieu, pour les autres

Dieu étant le seul propriétaire légitime de tout ce que nous avons, nous ne possédons rien en principe. Tout nous est prêté. Nous ne pouvons plus être possédés parce que nous possédons. Et Dieu attend de nous que nous l’administrions comme des gérants à son service. II est donc clair que Dieu n’a que faire de nos dons. Mais il entend que nous lui en fassions l’offrande en faveur des autres, des plus démunis de nos prochains.

C’est pourquoi il importe d’inclure l’acte de l’offrande dans la liturgie du culte dominical, en la faisant précéder d’un préambule qui en oriente l’esprit. Pour bien montrer qu’il ne s’agit pas d’une simple collecte mais d’une offrande.

Le don est l’expression d’une vie de partage, et non un moment privilégié. Le don est une manière de vivre et non un acte exceptionnel. II est solidarité avec les projets d’autrui, II est réflexion et intervention dans le cheminement de la communauté. Le don est le signe du partage de la foi, de l’amour et de l’espoir,

 

Hédouane ES-Sbanti Pointkt n° 14 – avril, mai, juin 1996