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Le mage aux mains vides

LE MAGE AUX MAINS VIDES

Il y avait, dans un pays d’Orient, loin, loin, du côté où le soleil se lève, un homme riche, sage et savant. Tout le monde l’appelait « le mage ».
Un soir, en regardant le ciel il vit briller une étoile nouvelle. « Elle annonce sûrement la naissance d’un grand roi ! » se dit-il.

Le lendemain, en prenant son petit déjeuner, il réfléchissait : « Je vais aller voir ce roi. Mais, que pourrai-je lui apporter ?…Pour que son étoile soit si belle il est sûrement plus riche et plus puissant que moi…Et si je lui apportais du pain ? Tout le monde me dit que c’est le meilleur du monde…
Il appela ses serviteurs.
–    Toi, le cuisinier, fais-moi le meilleur et le plus gros pain que tu puisses faire !
–    Toi, brosses mon manteau le plus chaud, je voyagerai de nuit surtout.
–    Toi, selle mon plus beau cheval !
–    Oui, maître, mais où veux-tu aller ?
–    Vers le couchant, là où j’ai vu l’étoile se lever…
–    C’est un rude chemin pour un cheval, permets-moi un conseil : prends ton âne, il est plus robuste, même s’il est plus lent….
–    Tu as raison, va tout préparer !

Au soir le mage se mit en route et son âne le porta, infatigable, en direction de l’étoile qui brillait à nouveau du côté du couchant. Le mage voyagea longtemps, se reposant surtout le jour et attendant le soir avec impatience pour que l’étoile lui indique la bonne direction.

    Un jour, au détour du chemin, il entendit pleurer. Il s’arrêta et vit une femme, pauvrement vêtue, et ses enfants en larmes.
–    Femme, pourquoi tes enfants pleurent-ils ?
–    Ils ont froid, Seigneur, et je n’ai rien d’autre à leur mettre, rien pour les abriter…
–    En marchant à côté de mon âne au lieu de me laisser porter je n’aurai pas froid ! Tiens enveloppe tes enfants dans mon manteau, ainsi ils n’auront plus froid !
Et il reprit sa route.

    Le lendemain soir l’étoile se leva et, plein de joie il la suivit. Mais bientôt il s’arrêta : à nouveau quelqu’un pleurait au bord de la route.
–    Qui pleure ? Et pourquoi ?
–    Mes enfants ont faim, dit une voix de femme, depuis longtemps ils n’ont rien mangé que quelques baies sauvages…
–    Un grand roi a sûrement un bon cuisinier et du bon pain et celui-ci n’est plus très frais, dit-il en fouillant dans son sac, et puis, je pourrai offrir mon âne au roi ! Tiens, femme, partage ce pain avec tes enfants !

Au matin, pour laisser reposer un peu son âne, il s’arrêta sous un arbre, au bord d’un champ à moitié labouré. Un paysan arriva et resta là, regardant le champ sans bouger…
–    Pourquoi restes-tu là à regarder ? Ne veux-tu pas finir ton travail ?
–    J’aimerais bien ! Mais mon vieil âne est mort cette nuit. Je n’ai pas d’argent pour en acheter un autre. Mes voisins sont aussi pauvres que moi et n’ont pas fini leur propre travail. Ils ne peuvent pas m’aider… et le temps des semailles est proche…
–    Mon âne est solide ! Ce champ doit être labouré ! Un grand roi a sûrement aussi une grande écurie et beaucoup de bêtes. Moi, je ne dois pas être loin de mon but : l’étoile me semblait toute proche cette nuit… Prends cet âne et mets-toi au travail !

Le mage reprit sa route, lentement. Vers le soir il arriva près d’un petit village. Il s’adossa au mur d’une vieille étable pour se reposer. Il regarda le ciel et trouva son étoile juste au-dessus de lui. Puis il baissa la tête et regarda ses mains.
« Mes mains sont vides, je n’ai plus rien à offrir au roi… je ne peux pas me présenter comme çà devant lui ! … Et pourtant j’aimerais tant le voir, même de loin… Mais ce n’est sûrement pas ici que je vais le trouver : il n’y a aucun palais, pas même une tente de riche nomade… et l’étoile qui est si près…je ne comprends pas… »

Ce jour là Joseph avait livré des poutres à son cousin et avait aidé à la construction d’une nouvelle maison. En rentrant il se réjouissait de retrouver Marie et son fils. Il vit un homme assis sous un arbre au bord du chemin, vêtu d’une belle tunique mais sans bagages, sans provisions, sans même un manteau ! Il lui dit : « Entre, voyageur, ne reste pas dehors dans le froid ; nous sommes pauvres mais ce que nous avons nous le partagerons de bon cœur et tu pourras te faire un lit dans un coin ! »
À l’intérieur il faisait bon. Une jeune femme le regarda en souriant et, mettant un doigt sur ses lèvres, lui montra un enfant endormi. Le mage s’approcha sans faire de bruit et se mit à genoux pour mieux voir l’enfant…

Derrière lui la porte s’ouvrit doucement. Une femme se glissa à l’intérieur et dit, tout bas : « Marie, je sais que tu dois partir avec l’enfant ; les nuits sont froides, prends ce manteau qu’un étranger m’a donné quand mes enfants avaient froid ! « Marie prit le manteau et le posa près de l’enfant. »

À nouveau la porte s’ouvrit doucement. Une autre femme entra en disant : « Marie, je sais que tu dois partir avec l’enfant et votre route sera longue. Prends ce pain. Un étranger me l’a donné quand mes enfants avaient faim, mais il en reste un grand morceau et vous en aurez besoin ! » Et Marie posa le pain sur le manteau.

Encore une fois la porte s’ouvrit. Cette fois un homme entra et s’adressa à Joseph : « Joseph, vous devez voyager vite et Marie est fatiguée et doit s’occuper de l’enfant. Je t’ai amené un âne, le tien est vieux et fatigué. Quand mon vieil âne est mort un étranger m’a donné le sien pour que je puisse labourer mon champ. Cet âne est grand et fort, il portera facilement Marie et l’enfant ! »

Le mage s’était retourné, tout étonné. Ses yeux se posèrent à nouveau sur l’enfant endormi et celui-ci ouvrit les siens, regarda le mage en souriant et le mage crut entendre une petite voix lui dire doucement : « Tu vois, tu m’as trouvé et tu m’as tout donné ! »