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Naître !

Naitre est un conte de Noël pas comme les autres. Il grince un peu côté cœur parce qu’il nous ouvre à la réalité dure des femmes et des hommes. Une série de portraits, autant de confessions de vie, évoquées par « ce soir là », et qui peuvent être accompagnés d’une projection d’images : des portraits, des paysages, des couleurs. Une joie qui jaillit au milieu de la désespérance, une nouvelle naissance !

Présentation du conte à plusieurs voix, avec projection d’image en cohérence avec le texte

Mon nom est Patrick, j’ai quarante huit ans. Cette nuit là, je m’en souviendrai toujours. Il faisait froid, j’avais la tête en feu, je ne pouvais plus dormir. Je savais bien qu’il fallait que quelque chose arrive. Je voulais que quelque chose m’arrive. Je ne me sentais pas la force de faire ce que lentement je pensais juste. Trop humiliant, trop difficile. Je me sentais seul.

 

 

 

 

Moi c’est Betty. En réalité je m’appelle Elisabeth, mais depuis toujours personne ne prend la peine de prononcer mon nom. Pour ma famille, je suis Betty. Et ma famille, parlons en. C’est la galère. J’ai 15 ans dans dix jours et ce soir là, je me suis demandé si je n’allais pas tous les planter là. Ils ne comprennent rien. Ils ne font que rire, se moquer. Puis de toute façon, ce soir, comme tous les soirs, ils sont scotchés devant la télé.

Depuis que j’ai pris ma décision, j’aime les nuits noires, je crains les pleines lunes. Pour mon projet, pas de projecteur, mais des gens discrets. Depuis qu’ils ont massacré mon frère, ma sœur et mon père à la machette, je ne pense plus qu’à fuir. Ici c’est l’enfer. Ma mère pleure, me supplie, mais je ne crois plus à rien dans mon pays. Corruption, terreur, misère, je veux faire mon chemin sur cette terre.

 

Mon nom est Samuel, je suis jeune, j’habite au Rwanda. Voilà vingt fois que je rallume la lumière, que j’appelle maman pour lui dire que j’ai soif, que j’ai entendu un chien aboyer. Ça ne me sort pas de la tête, je n’aurais pas dû, c’est sûr, je n’aurais pas dû.

 

 

 

 

 

Mais maintenant je fais quoi ? Je vais à la police et je dis « Bonjour Monsieur le gendarme, je m’appelle Thomas et j’ai 8 ans. » ?

 

 

 

 

Je me sens prête. Si c’était pour cette nuit, ce serait beau… Je crois bien qu’il va neiger. J’attendrai la dernière ronde de nuit et puis… je patienterai.
J’oubliais : mon nom est Marguerite, j’ai 95 ans.

 

 

 

Patrick a 48 ans et voilà 6 mois qu’il a quitté sa femme et ses enfants pour une autre.
Betty, adolescente, se sent perdue chez elle, incomprise, elle ne partage pas les mêmes valeurs que sa famille de sang.
Samuel a connu le pire, il rêve d’un ailleurs, où à chaque bruit, on ne craint pas pour sa peau.
Thomas est un petit garçon bien élevé qui se rend compte qu’il a fait une bêtise.
Et Marguerite est une vieille dame hospitalisée depuis deux mois.

Ce conte de Noël a ceci d’exceptionnel qu’il nous prêtera pour un instant les yeux de Dieu. Ce qui se joue partout dans le monde, chez des milliards de gens, au-dedans, nous pourrons ce soir le voir et l’entendre. Dieu, ce soir, nous prête son regard.
Et ça c’est sûr, c’est déjà Noël.

La nuit de Noël est bien entamée, les bûches découpées finissent en crème sur les plats oubliés.
La nappe est tachée, la poubelle déborde de papier.

Marguerite voit l’étoile, là, dehors, par la fenêtre et dit oui.
Elle ferme les yeux et offre au monde son dernier sourire. Elle part confiante avec une prière.
Elle a pu tout lâcher, elle est prête à tomber. Elle sait que cette lumière dehors est le pont vers la lumière du Dieu qui l’attend.
À 5h34, Marguerite est décédée.

Thomas s’est endormi, enfin. Après avoir mouillé de larmes son bel oreiller, il a rêvé que maman l’emmenait s’expliquer chez son copain et que tout s’arrangeait. L’étoile qui brille l’avait encouragé d’un bref clin d’œil. « T’inquiète pas, tout ira bien. Tu es un garçon bien, demain tu trouveras les bons mots et les bons gestes pour te réconcilier. »

Samuel a disparu dans la nuit d’Afrique. Au petit matin, il n’est déjà plus dans son pays. Il a mal. Partout. Au cœur, au corps. Il a peur. Il a faim. Il accroche son espoir à cette étoile. « Seigneur, ne m’abandonne pas ! » Il croit l’entendre lui promettre de marcher à ses cotés. Samuel a choisi de d’écrire et non de subir son histoire. Tout est possible désormais.

Betty a fait un pas. Alors que les autres la narguaient, elle a poussé la porte pour se rendre au culte à l’appel des cloches. Elle sait qu’ils ne comprennent pas, que nombreux sont ceux qui ne comprennent pas qu’on puisse aller à l’église, prendre le temps de prier, trouver important de réfléchir à ce qui compte. « Mais c’est décidé, j’ai quitté l’enfance, je dois m’affranchir du regard des autres. » L’étoile l’a guidée pour qu’elle trouve sa voie. Betty croit qu’en écoutant le message du Christ, le monde peut changer. Elle croit en Dieu et cherche à faire découvrir aux autres qu’une autre manière de vivre est possible ; plus profonde, plus vraie.

Patrick a décroché son téléphone, il est blême. Les doigts se souviennent du numéro familier. À l’autre bout, une voix de femme. Sa femme. Patrick doit mobiliser tout son courage pour dire « Allo, c’est Patrick, je peux venir…, je peux rentrer ? »
Un silence… et puis, c’est comme si l’étoile qui l’a sauvé du pire cette nuit, surgissait dans l’appareil, le silence qui précède le mot magique qui fait tout basculer, un mot étouffé par des sanglots, c’est sa femme qui répond « oui ».

Patrick, Betty, Samuel, Thomas et Marguerite ont vécu Noël.
Ils ont, cette nuit là, rencontré Dieu dans une étoile.
Pour eux, un nouveau monde s’est ouvert.
L’étoile les a menés plus haut, plus loin, plus vrai qu’eux-mêmes.
Cette nuit, ils ont tous accepté de naître une nouvelle fois.
Rien n’est joué, au contraire, tout commence, tout reste à vivre.
Voyez comme Dieu travaille dans le secret, en profondeur et sans fracas.
Sa lumière peut tout changer, quand je la laisse entrer.

Joyeux Noël !