Excusez-moi, je n’ai pas le temps !
Tout va vite, très vite, trop vite ! Nous sommes « happés » par une spirale sans fin. Où est le temps ? Pourquoi sommes-nous si nombreux à courir après le temps ou à répéter à longueur de semaines : « Je n’ai pas le temps ! » ?
« Excusez-moi, je n’ai pas le temps ! »
Tout va vite, très vite, trop vite ! Nous sommes « happés » par une spirale sans fin. Où est le temps ? Pourquoi sommes-nous si nombreux à courir après le temps ? Pourquoi sommes-nous si nombreux à répéter à longueur de semaines : « Je n’ai pas le temps ! » ? au point de le remplir à ras bord, comme si nous luttions contre la peur du vide.
Pour une gestion efficace du temps
Le manque de temps est devenu un mal de notre siècle au point que, depuis quelques années, des stages de formation sont organisés pour une gestion efficace du temps, pour apprendre à identifier ses priorités.
Par ailleurs, nous vivons dans une société où l’on subit beaucoup d’inégalités et de décalages de rythmes. Les Parisiens connaissent bien ce que recouvre cette expression : métro, boulot, dodo… et savez-vous qu’il existe, dans plusieurs villes de France et d’Europe un Bureau des temps dont les objectifs, à Paris en particulier, sont les suivants : améliorer les conditions de travail et concilier la vie professionnelle et familiale. Une expérience assez remarquable montre comment la modification des horaires de travail des agents d’entretien chargés du nettoyage des bureaux des collectivités locales passage d’un horaire émietté (avant 7 h du matin, après 20 h) à un horaire continu (9 h à 16 h) a profondément modifié le statut de ce personnel, d’une part sa reconnaissance, sa respectabilité par rapport aux autres personnels des entreprises, et d’autre part leurs conditions de vie familiale (pouvoir vivre avec son mari, avec ses enfants, pouvoir les amener et les ramener de l’école, veiller à leur travail scolaire et les y aider si nécessaire). Dans cet exemple, on essaie d’adapter les rythmes au lieu de les subir afin d’améliorer leur praticabilité. Finalement, on ne recherche pas comment trouver la même longueur d’onde entre les êtres, mais des rythmes qui finissent par permettre leur interaction et qui leur permettent de vivre ensemble.
Pourtant du temps libre, nous en avons gagné !
Et pourtant du temps libre, nous en avons gagné considérablement. Aujourd’hui en effet, le travail représente dans notre temps de vie seulement 12 % ! De plus, notre espérance de vie s’accroît régulièrement. De 1900 à 2000, l’espérance de vie en France (moyenne hommes et femmes) est passée de 40 à 78 ans. L’espérance de vie moyenne a donc presque doublé en un siècle seulement. Mais le temps n’est pas le même pour tous, nous allons le voir.
Subjectivité du temps ! Temps « psychologique »
Le scientifique, le physicien spécialiste du temps, dira attention, ne nous trompons pas : ce sont nos rythmes de vies qui posent un problème. Le temps, lui, s’écoule toujours de la même manière. Il est indifférent à nos emplois du temps. Quand on dit le temps s’accélère. Non ! Ce qui s’accélère c’est le rythme de nos productions, de nos échanges, de nos déplacements. Le temps n’a pas de vitesse : c’est cette chose qui avance de 24 h toutes les 24 h (sur notre planète !). Mais il y a une confusion qui tient à ce que nous identifions le temps à ce qui se passe dans le temps.
• Si les activités temporelles sont plus rapides, on dit que le temps s’accélère, ce qui est totalement faux : le temps est indépendant de nos emplois du temps.
• Il n’y a pas d’accélération du temps aujourd’hui : c’est nous qui accélérons.
• Bien que pour un individu, le temps subjectif (tel qu’il le ressent) change beaucoup avec l’âge. Un an pour un petit enfant, c’est extrêmement long. Pour quelqu’un qui a 70 ans, c’est l’expérience du psalmiste au Ps 90, 9 : « Nous voyons nos années s’évanouir comme un son. Les jours de nos années s’élèvent à soixante-dix ans, Et, pour les plus robustes, à quatre-vingts ans ; et l’orgueil qu’ils en tirent n’est que peine et misère, car il passe vite, et nous nous envolons. »
• Le temps ne nous paraît plus le même si on attend quelqu’un qui tarde à venir, ou si l’on n’attend personne. Il y a l’impatience de l’attente, il y a la souffrance de l’attente.
– Pour Emmanuel Kant (Critique de la raison pure (1781), traduction A. Tremesaygues et B. Pacaud, Éd. PUF, collection Quadrige, 4e éd., 1993, p. 63) : Le temps est une ”forme a priori de la sensibilité” et non pas un attribut des choses en soi. Comme saint Augustin, il pense que le temps n’existe pas indépendamment de nous qui le percevons. « Le temps n’est pas une réalité absolue mais une intuition intérieure… Et, précisément parce que cette intuition intérieure ne fournit aucune figure, nous cherchons à suppléer à ce défaut par des analogies et nous représentons la suite du temps par une ligne qui se prolonge à l’infini… »
Triompher du temps / maître du temps
Ce qui frappe actuellement, c’est le fait qu’on cherche à posséder le temps, à triompher du temps, surtout dans les milieux professionnels où l’on est très actifs. On demande beaucoup aux salariés qui sont ainsi soumis à une performance très grande. Et effectivement, il y a une sorte de jouissance éprouvée par les gens lorsqu’ils arrivent à triompher du temps.
Un certain nombre de personnes interrogées à ce sujet disent : « Lorsque je viens à bout de toutes les urgences de mon existence qui me tombent dessus dès le matin, quand je suis encore en pyjama et que je triomphe de tout ça, j’éprouve une jouissance extraordinaire, je me sens maître du temps ». Au point qu’ayant réussi à faire face à ce manque de temps, quelqu’un d’autre va jusqu’à dire : « Je ne me sens pas tout à fait maître de l’univers, mais tout juste !«
Le bonheur est dans le pré… cours-y vite, cours-y vite…
Vous connaissez le poème de Paul Fort : Le bonheur est dans le pré. Cours-y vite. Il va filer. Le bonheur est dans le pré, cours-y vite, cours-y vite… Il me manque quelque chose pour être heureux, et c’est si j’ai cette chose que je le serai. Alors je vais gorger mon emploi du temps de contraintes pour que cette chose soit accessible… Le résultat, contrairement à ce qu’on pourrait penser, ce n’est pas qu’on soit de plus en plus enfermé dans le présent, mais qu’on soit de moins en moins présent au présent.
Pascal (Les Pensées de Pascal, Fragment Sel. 80 – Liasse Vanité) le disait déjà au XVIIe siècle : « Nous ne nous tenons jamais au temps présent. Nous anticipons l’avenir comme trop lent à venir, comme pour hâter son cours, ou nous rappelons le passé pour l’arrêter comme trop prompt, si imprudents que nous errons dans des temps qui ne sont point nôtres, et ne pensons point au seul qui nous appartient, et si vains que nous songeons à ceux qui ne sont rien, et échappons sans réflexion le seul qui subsiste. C’est que le présent d’ordinaire nous blesse. Nous le cachons à notre vue parce qu’il nous afflige, et s’il nous est agréable nous regrettons de le voir échapper. Nous tâchons de le soutenir par l’avenir, et pensons à disposer les choses qui ne sont pas en notre puissance pour un temps où nous n’avons aucune assurance d’arriver. »

Il les trouvera toutes occupées au passé ou à l’avenir. Nous ne pensons presque pas au présent, et si nous y pensons ce n’est que pour en prendre la lumière pour disposer de l’avenir. Le présent n’est jamais notre fin. Le passé et le présent sont nos moyens ; le seul avenir est notre fin. Ainsi, nous ne vivons jamais, mais nous espérons de vivre et, nous disposant toujours à être heureux, il est inévitable que nous ne le soyons jamais. Ce phénomène est sans doute être lié à notre condition humaine.
Nous ne tolérons pas l’attente, l’ennui, l’inertie, nous essayons de les éviter par des stratagèmes qui mettent en jeu la vitesse, l’occupation, l’interaction, etc. Cette tension entre le présent et le court terme, c’est ce qui nous démène, nous stresse, nous rend nerveux et finalement malheureux. Pourquoi ?
La logique économico-sociale, ses dangers et ses enjeux
Ces questions de temps sont un véritable enjeu pour nos sociétés. Elles méritent qu’on s’y arrête pour en prendre conscience et définir les dangers, les enjeux et, si possible, les remèdes.
De plus, on a le sentiment que si le temps de travail s’intensifie, le temps de loisir s’intensifie lui aussi. En fait, le problème c’est qu’on est dans une société de la performance. On doit être performant professionnellement, on doit l’être dans la vie amoureuse, avec ses amis, avec ses enfants. On doit leur apprendre des tas de choses. La notion de performance est complètement déterminante.
Finalement on est dans une société où ce ne sont pas les riches qui sont gagnants, mais les rapides.
Le facteur temps est devenu source d’inégalité, de grande inégalité. Il y a ceux qui sont obligés d’aller vite, tout le temps, et de plus en plus vite pour gagner la course. Et il y a aussi ceux qui sont lents ou obligés de l’être.
Alain Houziaux, pasteur de l’Eglise réformée de France, disait lors d’un culte dominical radiodiffusé : Nous avons le droit de jouir de la vie sans avoir besoin de nous trouver une justification ou une raison de vivre. La vie, c’est une grâce à laquelle nous avons droit, sans raison, sans que nous ayons à produire ni des justificatifs, ni des diplômes de vertu, ni des brevets prouvant que nous sommes d' »utilité publique » et indispensables aux autres.
Y a-t-il des remèdes ? Qu’est-ce que la sagesse des Ecritures peut apporter à ces questions du temps qui, nous le voyons, constituent un véritable enjeu de société ?