La violence pour chacun de nous
Avec son expérience de directeur de foyers de jeunes, puis de directeur d’un centre de formation professionnelle pour personnes handicapées et en partant de sa pratique de catéchète, Denis Mangado nous propose de réfléchir à ce qu’est cette violence dont nous parlons (violence dans la famille, dans la rue, dans l’école, entre groupes ethniques ou dits nationaux…). Il propose quatre hypothèses pour discuter, échanger.
- Hypothèse 1 : La personne, l’être humain est défini, structuré fondamentalement par la violence
En effet, on peut dire que tous les aspects de la réalité humaine sont, de manière déterminante, associés à la violence (rappel étymologique : violence vient de vis (latin) : violence, force, vigueur, puissance, mais vis caractérise aussi l’essence d’un être – vis peut également représenter la quantité, la foule…).
La Bible s’ouvre par le livre de la Genèse. Dès les premières lignes on entend que Dieu intervient en séparant, tranchant dans le chaos. Violence… Il crée l’homme et lui ordonne de dominer, de soumettre. Il le crée à son image… moule qui laisse sans doute peu de marge à l’individu, à l’humanité (que d’effort doit-elle faire pour habiter cette image !). Violence…
Il pose un interdit à l’homme (violence !)… que, bien sûr, celui-ci transgresse. Alors, la réponse, le châtiment, est féroce ! Violence absolue : la femme enfantera dans la peine (terreur d’être) et l’homme se nourrira du sol dans la peine.
Caïn tue Abel. Meurtre de violence brute, pure, sans causes… sauf à parler d’un caprice de Dieu. Caïn, à la suite de son exil, bâtit une ville (qui se trouve alors placée sous le signe de Caïn le criminel).
Plus loin on lit le déluge… et Babel : à la violence paranoïaque des hommes répond la violence de Dieu qui, par la multiplication des groupes, accroît l’incompréhension des hommes entre eux. Et l’histoire suit. Dans la Bible et ailleurs. Histoire d’extermination, de massacres, de génocides, de terrorisme. Oui, la violence structure l’être humain, dès sa naissance, et ses organisations. Il vaut mieux le savoir.
- Hypothèse 2 : La fonction essentielle ou fondamentale de l’éducation est de traiter la violence, de traiter avec la violence
Le système éducatif a, en effet, deux fonctions :
– Une fonction technique : il s’agit de transmettre des connaissances, de faire faire des apprentissages considérés comme nécessaires par la société. Il y a là une forme de violence intellectuelle, les efforts exigés du sujet (attention, mémoire, raisonnement compétences…) ;
– Une fonction culturelle : il s’agit de donner au sujet les modèles de comportements, de sensibilité, de compréhension afin de le socialiser, de faciliter une insertion et une intégration dans la société.
Violence aussi qui consiste à contraindre la pluralité désordonnée du sujet vers un statut social de personne « normale ! », norme unifiée. Le système éducatif a aussi pour fonction d’intégrer la personne dans l’humanité en privilégiant le savoir, la croissance. Actuellement, l’ensemble des systèmes est organisé « autour de » : compétition, sélection, discrimination, exclusion, échec…
Quel énorme travail doit faire l’adolescent qui, à l’articulation de la violence individuelle et de la violence sociale, se trouve confronté aux interrogations de l’existence (sexualité, rationalité, travail) !
- Hypothèse 3 : À la logique du rapport de force, il faut substituer la logique du handicap
La violence est toujours violence de l’autre ! L’autre qui existe contre moi, qui est contre moi. L’autre, étrange, étranger, cherche à m’identifier. La société exige de chacun une forme d’identité qu’elle détermine elle-même : origine, métier, apparence, argent citoyenneté, racine culture, etc. Les rapports de force s’installent ! Là, il faut savoir que, quel que soit l’autre, je suis son handicap ! Je dois alors m’efforcer de ne pas induire l’autre en tentation. À la logique de la conquête, de la division, de la manipulation, de l’invasion culturelle, nous devons opposer la logique de la coopération, de l’union, de l’organisation, de la synthèse culturelle.
- Hypothèse 4 : C’est dans la falsification du langage que gît la violence la plus fondamentale. C’est par le refus du mensonge que l’on peut lutter contre la violence
Il doit résister à toute falsification du langage (falsification des contrats, mépris pour la parole engagée, promesse non tenue, calomnies, suspicions, ragots, etc.). L’impératif éthique qui en résulte est celui du refus du mensonge. Le mensonge, en effet, tue la parole. Cet impératif s’accompagne d’un second : celui du refus de la violence qui tue ! Le « Tu ne tueras point » met chacun en demeure de reconnaître en l’autre quelqu’un sur qui il n’a pas de droit. À partir de ses deux refus, liés, on peut anticiper un avenir possible pour chacun.
Crédit : Point KT