Les sentiments de Jésus
Le lecteur moderne aimerait souvent percer l’intimité de Jésus. Quels sont les sentiments qui l’animent ? Quelles sont les pensées qui l’habitent ? Les évangiles sont très réservés à ce sujet. Ils font plutôt passer la prédication de la Bonne Nouvelle avant ses réactions personnelles. Ainsi, il faut rester très prudent lorsqu’on essaye de pénétrer la psychologie de Jésus. Il n’en demeure pas moins que certaines allusions à ses traits de caractère en sont d’autant plus précieuses.
Quelques éléments pour parler des sentiments de Jésus.
- Un « provocateur » qui propose de changer le monde ?
Jésus, dès le début, constitue son cercle intime de douze disciples et les envoie symboliquement en mission. Il se présente comme un prophète de la fin des temps. Cette fin des temps n’évoque pas une quelconque destruction mais la mise en place d’un nouvel ordre des choses. Par des actions publiques « scandaleuses » et des paroles « choquantes », Jésus entend anticiper et mettre en route ce que Dieu accomplirait totalement lors de sa venue. Ces actes prophétiques sont symboliques. Jésus parlait en paraboles et en énigmes afin de provoquer les gens et qu’ils changent la perception qu’ils avaient d’eux-mêmes et des autres. Pardon, remise de dettes générales, générosité totale, cela n’a rien d’un programme politique ; c’est le régime du royaume. En tant que prophète des temps derniers, Jésus annonçait et symbolisait un ordre social et économique totalement différent, dont Dieu allait être celui qui le parachèverait. On peut comprendre dès lors que les autorités de l’époque ne voyaient là surtout qu’un prophète galiléen populaire qui haranguait les foules en leur proposant un monde meilleur.
- Un célibataire « bon vivant » qui annonce le royaume de Dieu
Le célibat de Jésus n’est pas complètement inconnu pour le judaïsme de cette époque, mais cela se rapporte tantôt aux esséniens tantôt aux ascètes. Certaines paroles suggèrent que son célibat est un acte symbolique, comme le prophète Jérémie, ce qui indique que Jésus se consacre totalement à la cause du royaume de Dieu dont la venue bouleverse les règles habituelles de la société. En tout cas, un célibataire qui appelle d’autres hommes à laisser leur famille pour le suivre a dû choquer pas mal de juifs pieux, surtout que Jésus est considéré comme « un glouton, un ivrogne, un ami des collecteurs de taxes et des pécheurs ». Ce Jésus célibataire mais bon vivant, accompagné d’hommes mariés et de surcroît, de femmes (mariées ?), devait paraître bien scandaleux. A la différence des mouvements plus solitaires et austères de son époque, Jésus place son ministère sous le signe de la joie et de la fête. On a du mal à imaginer un Jésus qui n’ait pas ri ou exprimer sa joie lors de ses innombrables repas ; chacun étant une anticipation du banquet final du royaume à venir.
- Les « coups de gueule » de Jésus
Certains textes racontent comment Jésus reprend durement les démons et les tourmentés en leur interdisant de révéler sa messianité. Jésus veut-il se démarquer de l’attente populaire qui s’attache à ce titre ? Il se considère non comme un libérateur ou un héros mais davantage comme le serviteur souffrant marchant vers la mort. C’est aussi dans ce contexte qu’il faut comprendre la dure parole qu’il adresse à Pierre : « Retire-toi de moi, Satan ! » et la distance par rapport à Marie qui veut le forcer à faire un miracle : « Qui a-t-il entre toi et moi femme ? ». On pensera aussi à l’ironie cinglante face à ses détracteurs et à la fin de non-recevoir qu’il adresse aux autorités religieuses. Jésus se fâche aussi contre les villes pécheresses qui refusent l’Evangile et se lamentent sur le sort funeste de Jérusalem, tueuse de prophètes.
- La colère de Jésus (un acte prophétique symbolique)
Dans les évangiles, on assiste à une colère mémorable de Jésus : c’est le célèbre passage des « vendeurs chassés du Temple ». Cette colère est aussi une illustration “théologique” du zèle divin. En effet, si Jésus s’en prend aux marchands et aux changeurs, ce n’est pas parce qu’il en veut aux personnes qui exercent ces métiers : par un acte symbolique, il espère purifier un temple (lieu de prières) dénaturé et devenu le lieu où la faveur divine se monnaye. De plus, il dénonce ce Temple comme le lieu du particularisme et de l’exclusion, alors qu’il devait être « maison de prière pour toutes les nations ». Le lieu de la présence de YHWH, qui offre à tous son amour gratuit, est devenu symbole d’un système religieux marqué par le donnant-donnant et par l’exclusion des impurs : c’est cette double perversion qui suscite la colère de Jésus. « Sainte » colère qui le mènera vers la mort…
- Jésus, figure de compassion, d’amour et de pitié
Jésus est souvent décrit comme plein de compassion et de pitié à l’encontre des rejetés et des pauvres. Son attitude renvoie à la compassion et à la sollicitude divine pour les pécheurs illustrées par beaucoup de paraboles. Son souci des malades et de la nourriture, autant spirituelle que matérielle, correspond à la vision des évangiles plutôt qu’à un trait particulier de son caractère. Il n’en reste pas moins que Jean évoque le « disciple que Jésus aimait », l’affection particulière de Jésus pour Lazare et ses deux sœurs, ainsi que sa profonde émotion lors du décès de Lazare et devant la douleur de Marie. Un autre détail uniquement dans Marc évoque, lors du dialogue avec l’homme riche, la sincérité de ce dernier. A tel point que Jésus en fut ému, qu’il le regarda et qu’il « se prit à l’aimer… » En outre, à travers ses multiples rencontres, Jésus est souvent étonné, voire agréablement surpris, par la foi de ses interlocuteurs.
- Jésus face à la souffrance et à l’angoisse
Le récit le plus important est l’épisode de la veillée au jardin de Gethsémané. C’est là, selon Marc, que Jésus commence à être tourmenté par la peur et l’angoisse jusqu’à en être triste à mourir. On retrouve les émotions agitant l’homme Jésus face à la mort menaçante. Le dernier cri sur la croix avant de rendre l’âme : « Seigneur, Seigneur, pourquoi m’as-tu abandonné ? » peut aussi évoquer cette solitude et ce sentiment de rejet et de doute par rapport à sa mission. On trouve ici l’attestation de l’humanité du Christ dont les faiblesses, les doutes et les interrogations ont cependant fini par céder le pas à l’obéissance à Dieu.
Crédit : Point KT