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La Bible épicée

La Bible épicée  (Auteur: Frédéric Gangloff)

Depuis la très haute antiquité, les épices ont toujours été recherchées ardemment. La moindre d’entre elles était capable de transformer une pitance ordinaire en un catalogue de saveurs méconnues. Les plus humbles plats deviennent une explosion de goûts et de sens mettant les papilles en émoi. Car les épices ou aromates désignent communément les parties séchées de plantes diverses : bourgeons, fruits, racines, graines ou gousses.

De plus en plus de recherches scientifiques tendent à démontrer que certaines épices et plantes auraient des effets antioxydants sur le corps et pourraient peut-être éviter certains problèmes cardiovasculaires ou cancéreux. Ainsi, les épices seraient bénéfiques pour le moral, la santé, la beauté, l’intelligence, l’imagination, voire la libido ? Pour l’humain de la Bible, les épices ont prioritairement une fonction gustative pour agrémenter un régime alimentaire assez sommaire et tributaire des saisons, de la terre et de l’agriculture, mais pas uniquement…Nous vous convions à un petit tour sur le marché des épices haut en couleurs et en sensations « hot »…

Le commerce des épices : de quoi mettre des « épices » dans les épinards…

Étant donné les conditions d’hygiène aléatoires du monde antique, les épices et surtout les parfums, étaient utilisés également comme cosmétiques. On les trouve dans les différentes huiles parfumées, les baumes, les poudres sensées protéger la peau du soleil et du dessèchement. Ils entraient dans la composition des médicaments et jouaient un rôle vital dans les rituels religieux. Les plantes aromatiques très variées étaient broyées et mélangées à d’autres substances et servaient de libations ou étaient brûlées sur les autels dans des coupes à encens.
Très rapidement, les épices et aromates font l’objet d’un important commerce international. Les échos bibliques associent cette course aux épices aux Madianites, une peuplade vivant dans le sud du Néguev, ou aux Ismaélites, les ancêtres bibliques des peuplades caravanières. La route des épices transitait depuis la Somalie en Afrique orientale et le sud de l’Arabie vers les ports de la Méditerranée et charriait des marchandises précieuses. Certaines épices rares provenaient même d’Extrême-Orient, mais leur parcours exact jusqu’au Proche-Orient reste incertain jusqu’à ce jour. Toutefois, la Palestine n’a guère profité de la prospérité occasionnée par ces voies caravanières, si ce n’est le royaume de Juda à partir du 7ème s av. JC, contrôlant provisoirement l’axe traversant le nord du Néguev jusqu’à Gaza. Ce commerce s’est considérablement développé à l’époque hellénistique et plusieurs puissances caravanières en ont tiré des bénéfices importants, notamment les Nabatéens et les Palmyréens. L’usage des épices dans la nourriture des peuples de la Bible est courant, mais leur importance s’étend vers tous les domaines, tant cosmétiques que médicaux, cultuels et érotiques…

Séduire un homme passe par l’estomac, mais pas que par là…

Il n’est peut-être pas anodin de débuter par une touche de romantisme et d’érotisme. La Bible sait, certes, être un livre poétique, pleine de couleurs, de récits épiques, mais aussi de goûts et d’odeurs qui mettent nos sens en éveil lorsque nous prenons la peine de l’ouvrir. Le Cantique des Cantiques est en pôle position dans ce domaine. A côté des images issues de la flore et de la faune palestinienne, sont mentionnés certains épices qui auraient des vertus aphrodisiaques :

Safran

Cette épice était connue depuis des siècles pour être un ingrédient essentiel des divers aphrodisiaques, élixirs et autres philtres d’amour. Homère cite le safran comme le nid douillet des amours charnels entre Zeus et Rhéa. Pline l’Ancien le déclarait : « apte à exciter l’amour… » On le considérait comme capable de retarder les effets du vieillissement. Aujourd’hui encore, certains phytothérapeutes le recommandent en cas d’impuissance pour les hommes et de frigidité pour les femmes.

Cannelle (aussi Cinnamome)

Il s’agit très certainement d’une variété de cannelle-cassis, qui poussait en Chine. C’est une épice très couteuse et précieuse. On la fabriquait avec l’écorce de l’arbre. Le roi David, pour ne pas laisser insensible les dames, se faisait oindre « d’une huile d’allégresse et parfumait ses vêtements de myrrhe, d’aloès et de cannelle ». Cet ingrédient joue un rôle prépondérant dans le bain que pris Bethsabée et la séduction qu’elle exerça sur le roi. Les prophètes Ezéchiel et Jérémie protestèrent contre l’utilisation abusive de ce produit qui incitait au péché de chair. Le Cantique des Cantiques, profondément influencé par les chants d’amour de l’Égypte ancienne, la décrit « elle » inondant ses vêtements de parfum et portant des sachets de poudre et de graines aromatiques, chargés de rehausser le désir de « lui ». Avant d’être présentée au roi des Perses, l’Esther de la Bible, s’est pliée à des rites de purification et de préparation aux « feux de l’amour »: six mois de massages et d’onctions à l’huile de myrrhe, puis six mois de fumigations au styrax, au safran, au nard, à l’oliban et à la cinnamome.

Câpres

La réputation aphrodisiaque de la câpre est très antique. C’est le livre de l’Ecclésiaste, dans son portrait de la vieillesse au chapitre 12, 5, qui fait mention de ce verset curieux : « …que le fruit du câprier éclate… » et que l’homme « âgé » s’en va vers la mort car plus aucun remède ne saurait lui redonner sa vigueur d’antan. D’où l’adage antique : « Quand la câpre n’agit plus, l’homme doit renoncer à l’amour ».

Fenouil

Il aurait la réputation d’avoir des vertus aphrodisiaques. Dans le Nouveau Testament, il est cité dans une liste de produits énumérés par Jésus lorsqu’il tance « vertement » les pharisiens, leur reprochant de payer la dîme sur les choses les plus insignifiantes, mais en négligeant les points essentiels de la Loi.

Coriandre

C’est une plante commune qui pousse dans tout le bassin méditerranéen et qui possède de petits fruits. Une fois séchés, ils dégagent une odeur très forte et agréable. Epice avec une puissante saveur aromatique, elle est employée en parfumerie, en médecine et pour relever les plats. Elle participe à l’élaboration de toutes sortes de vins aromatisés qui laissent supposer des effets secondaires aphrodisiaques.

A usage cosmétique et médical

Henné

Dans le Cantique des Cantiques, « Henné » est traduit également par « camphre ». C’est une plante odoriférante, qui, à l’époque romaine, serait même cultivée en Palestine, dans la contrée d’Ashqelon. Il s’agit d’un arbre menu dont les fleurs, au parfum suave, poussent en grappes. Le procédé consiste à broyer les racines, les mélanger avec les feuilles, et dissoudre le tout dans l’eau afin d’obtenir une sorte de pigment ocre ou orangé. Célèbre dans l’Orient, cette préparation faisait office de parfum ou de teinture pour les cheveux jusqu’à aujourd’hui, mais aussi les ongles, les dents…Elle était utilisée à des fins thérapeutiques pour soulager les maladies et infections urinaires. Les égyptiens recouvraient les momies avec ce produit.

ID 1288 vase khol

Récipient à khol en verre  (époque romaine)

Baume

C’est le terme générique qui désigne toutes sortes de parfums. Des auteurs antiques précisent néanmoins qu’il s’agit d’une résine aromatique extraite d’un arbre poussant en Arabie. On vante partout son parfum merveilleux. Les fouilles archéologiques, menées près de la mer morte, établissent l’existence d’un centre de production d’huile de baume, remontant au 7ème siècle av. J.C et qui aurait probablement était réactivé quelque temps sous le mandat néo-babylonien. Le baume est l’un des ingrédients primordiaux dans l’industrie cosmétique et pharmaceutique. Rare et onéreux, il s’inscrit dans toute une gamme de produits raffinés que Juda était en position de fournir à des clients fortunés. L’accès au marché mésopotamien devait représenter une opportunité à saisir et la possibilité de l’enrichissement d’une petite élite qui contrôlait ces différents centres d’industrie de luxe. La production de baume va connaître un essor considérable durant la période Perse et deviendra célèbre dans tout le bassin méditerranéen à l’époque Romaine.

Kalamos

C’est un ingrédient un peu mystérieux qui composait le baume. Il s’agit d’une épice onéreuse, importée de très loin et commercialisée par les Tyriens. On l’identifie actuellement avec une plante indienne dont le nom latin évoque bien la puissance de son arôme : Kalamos aromaticus. Certaines sources tardives en repèrent même, à l’état sauvage, dans la haute vallée du Jourdain.

Myrrhe

L’un des parfums les plus cités dans la Bible. Cet épice entrait dans la préparation de l’huile sacrée royale conçue pour oindre les monarques. C’est dans cette perspective qu’elle est citée comme l’un des présents des mages à l’enfant Jésus. Mais c’est dans le domaine cosmétique qu’elle rencontra un vif succès, car très prisée par les dames. Elle est extraite par incision de l’écorce d’un arbuste qui pousse en Afrique tropicale et en Arabie. Elle se trouvait à l’état liquide et solide, mélangée à de la gomme ; ce qui permettait de l’économiser tout en la vendant au prix fort.

Nard

Parfum au très fort potentiel aromatique et qui était recherché par les femmes. C’est un extrait de plusieurs plantes qui poussaient sur les contreforts du Népal et dans les hautes montagnes de l’Himalaya. Il a pu parvenir jusqu’au bassin méditerranéen via les circuits de distribution transitant par l’Inde et la Perse. Le nom sanskrit résume à lui-seul le produit : nadala –odoriférant-. C’est une marchandise extrêmement coûteuse atteignant des sommes astronomiques. C’est, du moins, l’avis partagé par les disciples de Jésus devant le « gaspillage » opérée par cette inconnue qui déversa l’intégralité de son précieux flacon sur les pieds de Jésus. Là encore, la fonction séductrice et érotique du nard est loin d’être négligeable…

A usage cultuel

Aloès

C’est un parfum qui provient d’une résine d’arbre, originaire du nord de l’Inde et de Malaisie. Très vite, il a été utilisé dans les cérémonies religieuses en guise de libations ou comme brûle-parfums.

Encens

Elément indispensable pour les parfums consumés au Temple. Il s’est maintenu depuis des millénaires jusqu’à nos jours. Il se présente sous la forme de gomme-résine extraite d’arbustes poussant en Ethiopie, Somalie et en Arabie du sud. Son prix « élevé » l’a « élevé » au rang de trésor, stocké dans une pièce spéciale qui lui était destinée au Temple. Mélangé à du vin, il faisait office d’anesthésiant et on le faisait boire aux condamnés à des supplices cruels comme la croix.

ID-1288 cuillère à encens

Cuillère à encens (1200-800 av. J.C)

Galbanum

Gomme résineuse entrant dans la fabrication du parfum brûlé dans le Tabernacle et surtout le Temple. Polyvalent, et à l’instar de beaucoup d’épices citées ici, le galbanum servait aussi d’épice culinaire et de remède médical.

Onyx

Encore un ingrédient qui entre dans la composition du parfum à brûler. On le surnomme « ongle odorant ». Il provient de l’opercule qui ferme la coquille de certains mollusques présents dans la mer rouge. Cet élément, une fois brûlé, dégage une odeur très forte et pénétrante…

A usage culinaire

Moutarde

La fameuse graine issue des plus petites de toutes les semences du monde et qui devient, une fois semée, la plus grande des plantes potagères. On ignore si la moutarde servait d’aliment, de légume ou de condiment ? Toujours est-il qu’elle est connue à Rome et dans la Grèce Antique. Elle était censée exalter le dynamisme des gens à tempérament froid.

Miel

Un texte en Ezéchiel 27,17 cite le miel comme l’un des fleurons de l’industrie exportatrice judéenne. Peu d’études traitent de la fabrication et du commerce de ce dernier, mais nous savons par les textes de l’Ancien Testament, qu’il était le symbole de la prospérité en Palestine. Il était surtout fabriqué dans les régions montagneuses et sa qualité était connu et appréciée. Comme nous savons par ailleurs que le miel était rare en Mésopotamie et qu’il était un produit indispensable qui entrait dans le processus de fabrication des parfums et des produits cosmétiques, tout comme les augments, il était d’autant plus recherché et constituait un produit de luxe. En l’absence de sucre, il est le principal édulcorant. Il devait aussi exister à l’état naturel : en plein champ, dans une crevasse, dans la carcasse d’un lion… Selon certains savants, le miel de la Bible ne serait qu’un sirop produit à partir de dattes ou de fruits du caroubier.

Cumin

Son nom provient des langues sémitiques (kammon) et c’est une ombellifère répandue en Palestine. Épice commune dans l’alimentation frugale et peu variée de l’époque, elle est citée par Jésus dans sa diatribe à l’encontre des Pharisiens. Ces derniers s’acquittant consciencieusement de la dîme sur les plantes les plus usuelles et perdant de vue où sont les vrais besoins.

Menthe

Cité avec le cumin dans le même reproche, elle était très répandue en Palestine comme condiment et en parfumerie. A noter que Pline estimait qu’elle était aphrodisiaque pour les hommes et néfaste pour la conception, une fois appliquée sur les parties génitales de la femme. Une légende chrétienne considère la menthe comme une plante stérile que la Vierge, se cachant sous du blé pour échapper aux soldats d’Hérode, maudit, parce que celle-ci dénonça sa présence -heureusement trop bas pour être entendue-. La Vierge lui dit:  » Tu es menthe et tu mentiras toujours ; tu fleuriras, mais tu n’auras pas de graines. « 

Sel

C’est le minéral indispensable dans le Levant. Son usage remonte à l’âge du Bronze ancien (2500 av JC). Il donnait un goût aux aliments bien fades et on le consommait dans de grandes quantités. Il était vital dans le processus sacrificiel. Il avait aussi une haute symbolique et était consommé lors de la conclusion d’une alliance entre deux parties. Des qualités médicinales lui étaient attribuées comme le fait de frotter de sel les nouveau-nés ou pour assainir des eaux insalubres. Il est devenu l’élément majeur du commerce international. On pouvait l’extraire naturellement dans toute la région au sud de la Mer Morte ou à travers des marais salants. Il ne servait pas uniquement à assaisonner la nourriture mais également à faciliter le tannage des peaux et surtout la conservation de viande et de poissons. A l’époque romaine, la salaison du poisson du lac de Galilée était très appréciée et exportée dans tout l’empire. On se souviendra, bien sûr, des paroles de Jésus :  « Vous êtes le sel de la terre… ».

Une foi(s) n’est pas coutume, l’on constate que la Bible n’est pas un livre de recettes de cuisine. Il y a certainement bien d’autres épices communes utilisées dans la préparation des plats, et la vinification, qui ne sont pas citées. Par contre, les épices jouent un rôle fondamental dans la rencontre : rencontre avec soi-même et entretien de son propre corps, rencontre avec Dieu où la bonne odeur du corps va supplanter la bonne odeur du sacrifice, rencontre avec l’autre dans un certain corps à corps…Il suffit d’ajouter un soupçon d’épice pour que l’ambiance se réchauffe et que les sens s’échauffent…Une Bonne Nouvelle en cette période de glaciation relationnelle !

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Bol à cosmétiques (Samarie IXe siècle av J.C)

Crédit : Frédéric Gangloff (UEPAL) , Point KT