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Le livre de Ruth

Ruth la Moabite,son nom vous est sûrement familier. Mais la connaissez-vous vraiment? Voici quelques éléments d’explication pour mieux comprendre ce livre et donc mieux le raconter aux enfants

Généralités :
L’auteur situe l’action a temps des Juges (entre 1100 avant Jésus-Christ et 1010)  mais le livre a été écrit beaucoup plus tard, probablement vers 350 avant Jésus-Christ.
Le livre de Ruth fait entrer une étrangère, une Moabite, dans une famille juive, famille dont est issu le roi David qui, après l’exil, concentre toute l’espérance messianique d’Israël. Pourtant le livre est rédigé à une époque où les prophètes Esdras et Néhémie luttent contre les mariages entre Israélites et étrangères (les moabites en particulier) pour préserver la spécificité d’Israël : ce livre est le témoin d’un courant de pensée « universaliste » qui fait d’Israël, du peuple élu, le témoin et l’annonciateur du salut pour le monde entier. On trouve trace de ce courant de pensée dans l’Ancien Testament (par exemple Jonas) : l’Evangile de Matthieu qui cite Ruth dans la généalogie de Jésus-Christ en est l’héritier.

Ruth 1/1-5 : Introduction au récit
Le point de départ de l’intrigue est la famine en Juda, notamment dans le village de Bethléem d’où est originaire Elimélek et sa famille. C’est paradoxal puisque Bethléem signifie littéralement « maison du pain ».
Elimélek et sa famille s’installe au pays de Moab (champs ou campagne selon les traductions) qui est un plateau fertile à l’est de la Mer Morte. D’après Genèse 19/37, les habitants sont apparentés aux Israélites, mais ils sont très critiqués (Deutéronome 23/4-6, Nombres 22/1-6, Nombres 25/1-5).
Elimélek a l’initiative du voyage. C’est une famille plutôt restreinte pour l’époque qui se déplace à l’initiative du père de famille, conformément aux usages de ce temps-là.
Elimélék signifie « mon Dieu est roi » : on peut s’attendre à ce qu’il ait le rôle du bon israélite. Pourtant, dans la logique de l’AT, quitter Israël pour Moab ressemble à un manque de confiance en Dieu. L’auteur ne juge pas, mais dans la logique de l’Ancien Testament où une mort précoce est souvent une sanction, la mort d’Elimélek pourrait bien être la conséquence de son choix.
Dans le livre, les noms des personnages sont riches de sens : Noémie signifie « grâcieuse » ou « favorisée de Dieu » ; Mahlôn signifie « langueur » et Kilyôn signifie « consomption ». On s’attend d’entrée à ce que le deux fils d’Elimélek meurent jeunes.
La bonne nouvelle du double mariage des fils de Noémie est encadrée par des décès : Elimélek d’abord, puis Mahlôn et Kilyôn qui meurent sans descendance alors qu’ils ont été mariés dix ans environ.
La mort des deux fils ne semble pas liée à leur mariage avec des Moabites pourtant présenté par ailleurs comme répréhensible mais au fait de « demeurer là », de prolonger la faute du père.
Ce passage se conclut par « cette femme resta sans ses deux enfants ni son mari » :
–    Les deux belles-filles ne sont pas citées comme parentes de Noémie, elle semble seule au monde.
–    Noémie comprend cette situation comme un châtiment divin (cf. 1/13 et 20-21).
–    Pourtant, Noémie a deux belles-filles, Orpa ce qui signifie « celle qui tourne le dos » et Ruth, ce qui signifie « celle qui aime ». Leurs prénoms annoncent leur choix.

Ruth 1/6-18 : le retour de Noémie et le choix de Ruth
Le décès de ses enfants provoque chez Noémie un sursaut : elle décide de partir. Le singulier du verbe montre que c’est elle qui a l’initiative, les belles filles suivent.
Détail important : Noémie a  appris que l’abondance était revenue à Bethléem. Son départ n’est donc pas seulement motivé par la volonté de fuir le malheur mais aussi par l’envie de retourner là où règne l’abondance.
Noémie essaie de renvoyer ses belles-filles : son argumentation est basée sur la coutume du lévirat. Le lévirat est une ancienne coutume du droit familial israélite selon laquelle lorsqu’un homme meurt sans descendance, le plus proche parent doit épouser la veuve et le premier enfant de cette union est considéré comme l’enfant du défunt. Cette coutume avait plusieurs finalités :
–    elle permettait à la veuve de rester lier à son nouveau clan et donc de bénéficier de sa protection,
–    elle maintenait la stabilité du patrimoine familial,
–    elle assurait la continuité de la descendance masculine.
L’argument de Noémie est qu’elle est trop vieille pour avoir des fils et que même si c’était le cas, ses belles files seraient trop âgées lorsque ses fils auraient l’âge de les épouser.
Son souci est ne pas condamner ses belles-filles à un long veuvage, elle leur souhaite d’ailleurs d’emblée de trouver un mari et une situation stable. Mais l’essentiel de son discours met en avant ce qui la préoccupe : ne plus avoir de fils et ne pas avoir d’espoir d’en avoir un autre, Noémie est en plein désarroi, enfermée dans sa souffrance. Elle omet complètement de parler de la possibilité qu’elle ait encore des parents à Bethléem susceptibles d’être lévire : elle est plus centrée sur le manque, sur l’absence de fils (que la présence des belles-filles rappelle…) et l’impossibilité d’en avoir d’autres que sur l’avenir de ses belles-filles.
Ses belles-filles réagissent différemment : Orpa va se conformer au contenu des paroles de Noémie et rentrer dans sa famille ; Ruth, elle, entend le sens profond derrière les mots et suit sa belle-mère. Sa grande détermination vient à bout de l’indécision de Noémie.
L’auteur ne juge pas ni Orpa, ni Ruth : leurs choix différents sont présentés, de façon neutre, comme deux possibilités.

Ruth 1/19-22 : l’arrivée à Bethléem
Ruth et Noémie arrivent « au début de la moisson de l’orge », c’est-à-dire en avril – mai.
Leur arrivée est très remarquée (notamment celle de Ruth).
Dans les paroles de Noémie, on voit son désarroi : Toutes ses paroles sont centrées sur le malheur qui la frappe : veuvage et mort de ses fils et elle comprend son malheur comme une punition divine. Il faut être prudent cependant : c’est le point de vue de Noémie, pas celui de l’auteur ! Elle se décrit comme seule au monde sans faire aucune allusion à la présence de Ruth. Noémie est sans espérance, pourtant le vide n’est pas complet puisque Ruth est là, mais Noémie ne voit dans cette présence ni soutien ni de promesses d’avenir : elle se trompe !

Ruth 2/1-17 : Rencontre entre Ruth et Booz
Booz est un parent d’Elimélek, donc concerné par le lévirat. C’est un « notable fortuné » : il est respecté et possède suffisamment pour subvenir à ses besoins et à ceux de sa famille.
Ruth va glaner, c’est-à-dire ramasser ce que les moissonneurs laissent sur le champ. Laisser cette part aux pauvres était une tradition très ancienne. Elle ne peut pas faire autre chose : les terres de Noémie sont forcément en friches, Bethléem est un village rural où il n’y a rien en dehors des travaux des champs.
Booz remarque tout de suite Ruth : il ne la connaît pas et Ruth est peut-être habillée différemment des Israélites. L’intérêt immédiat de Booz laisse à penser qu’elle devait être jolie. Il s’enquiert de son identité : « A qui est cette jeune femme ? » La question laisse apparaître la logique de l’époque selon laquelle une femme appartient à un mari ou à une famille. C’est peut-être une manière de demander si Ruth est libre…
La réponse du chef des moissonneurs déborde largement la question (signe de son intérêt pour Ruth ?) : il dit d’où elle vient (Moab) et la situe par rapport à Noémie ; il la présente comme une femme courageuse et travailleuse.
Booz entame un dialogue avec Ruth :
–    Il la prend sous sa protection : il lui permet l’accès à l’eau puisée par les domestiques alors que sa seule obligation morale était de la laisser glaner. Il interdit aux moissonneurs de la toucher.
–    Ruth exprime sa reconnaissance.
–    Réponse de Booz : il connaît déjà toute son histoire, appelle la bénédiction divine sur Ruth : pour lui, ce qu’elle a fait la rend digne d’Abraham et du peuple d’Israël. Il espère donc que Dieu agira avec elle, comme avec Abraham : en lui donnant un fils.
–    Réponse de Ruth : elle exprime à nouveau sa reconnaissance pour les paroles de Booz qui lui donnent une place, la reconnaissent comme une personne à part entière. « tu as parlé au cœur » : le cœur ne désigne pas le lieu des sentiments mais le centre de la personne où se situe l’intelligence en particulier.  « je ne serai pas comme une de tes servantes » : Ruth affirme qu’elle est moins qu’une servante (sa position est plus misérable que celle d’une servante qui est protégée par le clan qu’elle sert) et en même temps elle sera bien plus, puisqu’elle deviendra l’épouse de Booz.
Booz fait preuve de générosité puisqu’il invite Ruth à manger  et donne l’ordre à ses moissonneurs de ne pas toucher Ruth et de lui laisser volontairement des épis en plus : en faisant cela, il dépasse largement ses obligations de charité envers une veuve.
Ruth 2/18-23 : Ruth et Noémie
Ruth rapporte le fruit de sa journée : ce qu’elle a glané et les restes du repas de midi. La générosité dont Ruth a fait l’objet pique la curiosité de Noémie : elle interroge Ruth.
Dès que le nom de Booz est prononcé, Noémie reprend espoir : pour elle, Dieu est à l’œuvre à travers Booz. Noémie précise que Booz est un de ceux qui peuvent exercer le lévirat. Sa générosité et sa proximité familiale le font apparaître comme un bon époux potentiel.
Ruth répète à sa belle-mère les paroles bienveillantes de Booz et Noémie insiste pour que Ruth n’aille pas glaner ailleurs : on sent qu’elle a un objectif, marier Ruth et Booz.
Ruth glane pendant la moisson de l’orge, puis du blé (environ 3 semaines plus tard), mais rien ne se passe : aucun lévire potentiel ne se manifeste. Dès lors, Noémie doit prendre les choses en main si elle veut débloquer la situation.

Ruth 3 : Le plan de Noémie et son exécution
Noémie présente ses objectifs : faire le bonheur de Ruth (c’est-à-dire lui trouver un bon mari) et le sien (avoir une descendance).
Elle donne des instructions très détaillées à Ruth : il s’agit de séduire Booz et de susciter son désir.
Dans le récit est utilisé du vocabulaire suggestif : « coucher », « connaître » (au sens biblique du terme), les pieds (qui désignent par euphémisme le sexe masculin) : tous ces éléments font penser que, pour Noémie, Ruth doit séduire Booz et l’amener à avoir une relation sexuelle. Pour cela, elle cherche à rendre Ruth désirable et à mettre Booz dans une situation telle qu’il ne pourra résister aux charmes de Ruth. Ruth doit agir sans être vue et profiter de la fatigue de Booz et de l’état de bien-être provoqué par le repas.
Noémie agit dans l’ombre : pourquoi ne va-t-elle pas trouver directement son parent pour discuter du mariage ?
L’espace public est le domaine des hommes où les femmes n’ont pas droit à la parole : leur seul mode d’action est d’amener les hommes à agir dans leur sens en utilisant les armes à leur disposition (la séduction !).

Ruth obéit, mais à sa façon :
–    le texte ne dit pas si elle s’est lavée et parfumée,
–     elle se couche près de Booz alors qu’il dort déjà (pas au moment où il se couche),
–    lorsque Booz la découvre près de lui dans la nuit, elle ne cherche pas à le séduire mais précise le sens de sa démarche : elle demande à Booz de l’épouser (c’est le sens d’étendre son aile).
Donc Ruth noue le dialogue plutôt que de lui forcer la main.
Booz répond à Ruth en faisant part de toute l’estime qu’il a pour elle et il se fait l’écho de l’estime des habitants de Bethléem. Il l’invite à prolonger leur moment d’intimité (somme toute chaste pour nous, mais osé pour l’époque) avec la promesse de faire en sorte de l’épouser si l’autre lévire potentiel ne le fait pas.
Booz remet à Ruth de l’orge : c’est le gage de sa volonté d’arranger les choses au profit des femmes.

3/16-18 : conversation entre Ruth et Noémie
Noémie accueille Ruth par une question « Qu’es-tu devenue ? » (« Qui es-tu ? ») : Noémie espère que Ruth a changé d’identité, c’est-à-dire qu’elle est devenue une future mère ou au moins la fiancée de Booz. Ruth rapporte à Noémie les événements de la nuit qui annoncent un dénouement heureux pour elle et pour Ruth.

Ruth 4/1-12 : Booz acquiert légalement la part de terrain et le droit d’épouser Ruth
Booz se rend à la porte du village, lieu du tribunal populaire.
Il retient le plus proche parent d’Elimélek et dix anciens à titre de témoins officiels : Booz fait les choses dans les règles, il respecte les usages afin d’éviter toute contestation ultérieure.
Booz est honnête mais habile :
–    Il ne cache pas qu’il est intéressé par le rachat du champ, même s’il se dit prêt à respecter la priorité de l’autre.
–    Il présente d’abord ce qui semble être une bonne affaire (acquérir un champ en respectant la loi et en se montrant généreux), puis la nécessité d’épouser Ruth pour donner une descendance à son défunt mari.
Mais à cause de cela l’affaire n’est pas si bonne. En effet, s’il épouse Ruth :
– il aura payé un champ que le fils de Ruth lui réclamera un jour en tant que fils de Malhôn, alors que s’il ne fait rien, il en héritera à la mort de Noémie ;
– ce mariage risque de disperser ses biens propres en augmentant le nombre de ses descendants et l’oblige à épouser une Moabite.
Il laisse sa place à Booz. Il donne sa sandale à Booz : c’est le signe qui accompagne le changement de propriétaire. Booz prend le peuple et les anciens à témoin : on devine sa joie d’épouser Ruth.

Ruth 4/13-21 : Naissance d’Obed
Ruth devient l’épouse de Booz. Noémie « prend » l’enfant : c’est un geste d’adoption qui semble exclure totalement les parents,  mais cela ne signifie pas qu’elle emmène l’enfant hors de la maison de ses parents, pour la bonne et simple raison qu’ils vivaient probablement tous sous le même toit. De plus la généalogie qui suit fait d’Obed le fils de Booz (donc de Ruth) et pas d’Elimélek (donc de Noémie).
C’est un « Happy end » : les vœux de Noémie pour elle-même et pour Ruth sont exaucés, les vœux de Booz pour Ruth aussi. L’union entre Booz et Ruth naît d’une manipulation mais est finalement fondé sur la justice et le respect mutuel : ce qui aurait pu être mal est transformé en bien. Le juste (Booz) honore ses parents décédés, la jeune veuve trouve son repos, Noémie obtient le fils qu’elle espérait et la maison d’Israël et de Juda gagne un « servant » (Obed) qui engendrera le roi-messie. A travers Booz, les dons de Dieu arrivent jusqu’au deux veuves : après leur avoir donné à manger, Booz, en prenant Ruth pour femme, permet à Dieu de lui donner un enfant, début d’une maison (c’est-à-dire d’une famille).

Le Livre de Ruth fait entrer une étrangère dans la généalogie de David et dans la généalogie du Messie à venir : cela met en évidence l’universalisme et le messianisme de ce récit. L’Evangile de Matthieu cite Ruth dans la généalogie de Jésus avec seulement trois autres femmes : Rahab, Tamar et Bethsabée. L’objectif est aussi universaliste : depuis toujours, Dieu veut offrir son amour à tous les humains, c’est révélé et accompli en Jésus-Christ.

Crédit : Claire de Lattre-Duchet (UEPAL) Point KT