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Les sentiments de Dieu

Le Dieu de l’Ancien Testament est présenté sous les traits d’un être humain. Non seulement il a des bras, des yeux, une bouche, des oreilles mais en plus il a une âme ! Eh oui, Dieu n’entend pas seulement, il souffre, non seulement il soutient de ses bras mais en plus il aime ; non seulement il regarde mais en plus il jalouse ou bien il rit. Frédéric Gangloff nous permet une rencontre divine parfois bien surprenante ! Le Dieu de l’Ancien Testament est loin d’être un concept philosophique. La mentalité sémite est très concrète et décrit Dieu sous les traits d’un être humain (homme et femme). Cela a tellement embarrassé les traducteurs grecs de l’Ancien Testament qu’ils ont tenté de supprimer ces anthropomorphismes. Mais dire de Dieu qu’il a des bras, des mains, une bouche ; qu’il parle, sent, mange, puni, aime… C’est un langage qui implique bien plus que de simples images. Le philosophe juif A. Herschel va même jusqu’à déclarer que : « La Bible est moins une théologie de l’homme qu’une anthropologie pour Dieu ».

  • Le corps reflet de l’âme ?

Comme dans la Bible les organes humains sont les sièges des sentiments, l’on prête aussi à Dieu quelques éléments corporels et des émotions qui y sont liées.
Parcours des plus marquantes :
– Ainsi le Nefesh  (gorge, bouche, moteur de vie) attribué à Yhwh évoque ses émotions, sa colère, son dégoût, amour, ou libre désir.
– Le Rouah (souffle, vent, tempête). C’est la force vivifiante venant de Dieu et transmise à l’être humain.
– Le Leb (centre conscient, siège de la raison). Le cœur de Dieu est l’organe de sa volonté ; c’est là qu’il formule ses projets.
Le Rehem (Le sein, la matrice, siège de la compassion). Ce sont des « tripes » divines que surgissent la miséricorde et la tendresse.
Dam (Le sang). Siège de la force vitale et physique. Il appartient à Yhwh. C’est pour cela que lors des sacrifices, la consommation de sang est interdite. C’est un moyen d’expiation. L’expression même de la vie.
Yad (la main et le bras). Symbole de force, virilité, et puissance ; il matérialise l’intervention divine dans l’histoire humaine.

  • Colère et violence vont de pair avec patience !

Parmi les pages de la Bible qui paraissent les plus choquantes, il y a celles où l’on voit Dieu se mettre en colère. Déjà, l’antique sagesse égyptienne condamnait l’homme impulsif. Les Proverbes déclarent: : « L’homme prompt à la colère fait des sottises » (14,17) ou en 25, 24 : « Il vaut mieux vivre au coin d’un toit que partager sa maison avec une femme querelleuse ».  Dans la Bible hébraïque, la colère est exprimée à l’aide du verbe anaph, « plisser le nez de colère », qui a toujours Dieu pour sujet (14 occurrences), mais surtout à l’aide du substantif aph, dont le sens premier est « narine » ou « nez ». Ici encore, deux tiers des emplois (183 fois sur 278) concernent Dieu. On dira que « son nez s’enflamme ». L’image correspond à notre expression populaire : “La moutarde lui monte au nez”. Pour parler de sa patience, la Bible mentionne que Dieu est èrèk ’ap (payim), littéralement « long de nez ».
La colère de Dieu s’exerce le plus souvent contre Israël  qui a été infidèle. La violence de la colère divine traduit l’ampleur de sa désillusion ! La grande majorité des textes parlent aussi de colère divine lorsque l’honneur du frère est bafoué : c’est le spectacle de l’injustice ou de la brutalité humaine. En tout cas, nous sommes aux antipodes de l’idée d’un Dieu impassible, indifférent à nos existences humaines. Les rédacteurs bibliques ont attribué à Dieu une capacité de ressentir au-delà de toute limite : Esaïe 30, 27-28 : « Brûlante est sa colère, lourde, écrasante. Ses lèvres sont gonflées de fureur. Sa langue, un feu dévorant. Son souffle, un torrent qui déborde. Il monte jusqu’à la gorge… » En parallèle à cela, d’autres textes disent que Dieu prend patience et qu’il pardonne : « Yhwh, Dieu de tendresse et de faveur gratuite, lent à la colère, riche en grâce et en fidélité, qui garde sa grâce à des milliers, tolère faute, transgression et péché… » (Ex 34,6-7).

  • Colère et jugement

Le drame de l’an 587, (destruction du Temple et des remparts de Jérusalem, fin de la monarchie davidique, déportation des élites…) est présenté comme la punition que Yhwh a finie par infliger à son peuple coupable (voir 2 R 24,3). On prend cependant grand soin de montrer que Yhwh n’a puni qu’après avoir tout tenté pour éviter d’en arriver là : la sanction relève de la justice, et non d’une violence perpétrée sous le coup d’une émotion aveugle. La colère divine démontre l’intensité des sentiments de Yhwh à l’égard des siens. Dieu laisse exceptionnellement libre cours à sa colère destructrice dans les actes, sinon lorsqu’il s’agit de combattre des symboles du Mal ou de la violence elle-même.

  • « Je suis un Dieu Jaloux ! »

Interdit de l’adoration d’autres divinités (exclusivisme)
La jalousie est liée au premier commandement du décalogue. Yhwh réclame un amour exclusif ; il ne saurait tolérer des « amants » à ses côtés. Sa jalousie se prolonge jusque dans la punition et dans son attachement. Il veut à tout prix le bonheur et le bien de son peuple, mais il est contraint de le châtier lorsque sa sainteté est remise en question.

Interdit de l’image (aniconisme ou droit à l’image)

La jalousie de Yhwh est aussi mise en relation avec le second commandement qui ne concerne certes pas les représentations des autres divinités, mais l’interdit de ses propres représentations. Le fait de représenter, localiser, permet-il d’avoir prise sur lui ? Il y a dans les textes une insistance sur le dialogue/parole et l’écoute au détriment de la représentation plastique de Yhwh.

Jalousie de l’époux bafoué et déshonoré (Ezéchiel 16-23)

Cela concerne Israël et Juda, symbolisés par deux villes, qui ont délaissé le mari bienfaiteur de leur jeunesse pour courir après leurs amants. Yhwh, dans le rôle du mari trompé, énonce les conséquences de l’adultère. Cela rejoint les thèmes de l’élection et de l’alliance.

Jalousie à l’égard des nations

Il ne s’agit plus du peuple, mais des ennemis d’Israël. La jalousie de Dieu se retourne contre les nations et venge de fait Israël. Yhwh laisse éclater sa colère à cause de la profanation de sa sainteté par l’arrogance des nations ou parce qu’il doit sauver l’honneur de son nom.

– Jalousie à l’égard des ennemis de Yhwh

Cela s’adresse à des individus ou contre tous ceux qui symbolisent le mal. C’est la thématique bien connue du « Jour de Yhwh », jour de vengeance, de jugement, et paradoxalement, de salut pour ceux qui seront restés fidèles.

  • Souffrance et douleur

–    Yhwh souffre intérieurement de l’idolâtrie ou de la conduite immorale des individus ou de son peuple.
–    Yhwh souffre de déception amoureuse, de trahison conjugale, de l’infidélité à son égard.
–    Yhwh souffre de la méchanceté des humains à l’égard d’autres. Il entend leurs cris et n’hésite pas à intervenir en faveur des opprimés.
Mais si la souffrance l’atteint, elle n’arrive toutefois jamais à le briser alors que les humains sont souvent laminés, dominés, écrasés, démunis face à elle.

  • Humour et ironie divine ?

Dieu a-t-il le sens de l’humour ? La question paraît incongrue et pourtant dans certains passages cela semble le cas. Quelques extraits :
–    Dans Genèse 2, avant de créer une aide/partenaire pour l’homme, Dieu fait défiler devant lui les animaux. Pourquoi ?
–    La femme provient d’une côte de l’homme, lui-même formé de poussière…
–    Dieu est un jardinier, prenant le frais le soir dans son jardin. Il est même couturier à ses heures…
–    Dans les Psaumes, Dieu se moque des puissants et des monstres qui hantent l’imaginaire collectif,
–    A travers Isaac, Dieu se rit de Sara, qui avait déjà rit de Dieu… « Rira bien qui rira le dernier »
–    Dieu se rit de Jonas qui ne trouve pas cela très drôle…