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De roc en Pierre – Notes bibliques 2 A et B

 

illustrations_Nicole_bateau repereLUC 5/1-11 : Une pêche prodigieusement réussie !

faisons un retour en arrière pour trouver Pierre au moment où commence son aventure avec Jésus. Jésus lui demande un service, puis entraîne le pêcheur dans une pêche absurde, mais prodigieusement réussie, qui n’est qu’une invitation à une pêche plus étonnante encore : celle qui rassemble les hommes dans le Royaume de Dieu.

Jésus enseigne la foule

Un jour

Les datations chez Luc, comme ailleurs dans le Nouveau Testament, sont imprécises. Les hommes de l’antiquité en général n’avaient pas à l’égard du temps les mêmes exigences de précision, leur vie se déroulant plus lentement. Le jour dont il s’agit ici est simplement souligné comme un jour du ministère de Jésus, déjà entamé à Nazareth, et poursuivi à Capharnaüm (ou « Capernaüm », selon les transcriptions). Pour Luc en effet l’appel des disciples a été précédé d’une période de prédication au travers de laquelle Jésus s’est fait connaître.

Chez Marc (1/16-20) et Matthieu (4/18-22), cette vocation des premiers disciples est le premier épisode public du ministère de Jésus qui soit raconté en détail, ce qui fait de la réponse des disciples quelque chose d’étonnant. Ces deux évangiles soulignent de cette manière la force de la parole de Jésus : il appelle, on le suit.

La présentation de Luc met en valeur la préparation des disciples qui vont suivre Jésus, particulièrement celle de Simon (Luc 4/38-39). Ils ont déjà reconnu en lui une personne extraordinaire.

La foule se serrait contre lui

Cette indication confirme la remarque précédente : Pierre et ses compagnons ont ici affaire à un homme déjà célèbre. Il faut noter aussi que c’est un des traits communs aux évangiles de nous montrer Jésus entouré d’une foule enthousiaste et parfois gênante (Matthieu 4/25 ; 5/1 ; 7/28 ; 8/1 ; 12/23 ; 13/2 … Marc 2/4-13 ; 3/20 ; 5/20 ; 10/1 … Luc 4/42 ; 6/19 ; 7/9 etc. …) Dans les villages de Galilée, éloignés de Jérusalem, souvent méprisés par les élites religieuses, les pratiques religieuses n’étaient pas, de loin, observées par tout le monde. Mais Jésus leur apporte une parole nouvelle qui leur fait relever la tête et fait surgir une espérance.

Lac de Génésareth

Luc seul appelle « lac » ce que les autres évangiles appellent « mer ». Sans doute parce qu’il est capable de comparer avec la Méditerranée. Ce qui n’empêche pas Luc de donner à ce lac : la même valeur symbolique que les autres évangiles donnent à la mer : c’est un lieu instable, dangereux, un lieu de mort (8/22-25). Aux yeux des hommes de la terre qu’étaient les habitants de Palestine, l’élément marin était l’élément hostile du Chaos primitif que Dieu avait dû refouler pour créer un espace de vie (Genèse 1/6-7 ; Job 38/8-11). Le Lac de Génésareth, connu pour ses coups de vent violents et imprévisibles ne manque pas à cette réputation

… qui appartenait à Simon

Nous apprenons ici que (Pierre) Simon était une sorte de patron-pêcheur qui exerçait sur la mer de Galilée un métier dangereux et méprisé par les gens de la terre, les paysans. Métier difficile aussi, car le pêcheur n’est jamais sûr de prendre quelque chose.

… de la barque, il enseignait les foules

Jésus a donc emprunté la barque de Simon pour les besoins de son enseignement. Elle lui permet un peu de recul par rapport à la foule, et il profite d’un effet d’acoustique qui lui permet de se faire entendre de ceux qui sont installés sur le rivage, un peu à la manière des théâtres grecs et romains. Par ailleurs Luc suggère que Pierre et ses compagnons entendent cet enseignement donné à la foule et font ainsi mieux connaissance avec Jésus.

 

 

 

 La surprise !

Jetez vos filets

Après avoir usé de la barque de Simon pour son enseignement, Jésus se mêle d’y donner des ordres. De la part de quelqu’un qui les connaît à peine, cela peut bien paraître abusif à ces pêcheurs de Galilée qui ont quelque peu perdu leur temps déjà pour lui rendre service.

Maître

Luc emploie ici (et en 8/24-45 ; 9/33-49 ; 17/13) un mot grec dont il est seul à se servir dans le Nouveau Testament et qui désigne un « précepteur' », un « professeur ». Même s’il traduit ainsi le terme « rabbi » des juifs, il ne met pas trop de respect dans la bouche de Pierre qui prend plutôt ses distances : « toi, tu enseignes -et même bien-, mais la pêche, c’est notre affaire à nous. »

… toute la nuit sans rien prendre

La pêche de nuit est en effet plus efficace. Et l’équipe de Simon a peiné une nuit durant sans résultats. Maintenant, ils sont fatigués, et ne comptent plus rien prendre. La suggestion de Jésus n’a donc rien pour soulever l’enthousiasme. Elle ressemble plutôt à une curiosité d’intellectuel qui aimerait avoir une fois été à la pêche.

Sur ta parole

Dans ce cadre là, il ne faut pas trop voir dans ces mots une expression de confiance. Simon semble, au contraire, dire à Jésus : « écoute, tu n’y connais rien, nous allons faire tout le travail de jeter le filet, de le tirer, au risque de l’accrocher et de le déchirer, et après, il faudra encore le sécher… tout cela pour rien… Mais si cela peut te faire plaisir, allons-y ».

… une grande quantité de poisson

C’est la surprise totale, qui récompense bien sûr l’équipage de ces efforts mais qui oblige aussi à regarder d’un autre œil le « professeur ».

Leurs filets se déchiraient

Ce trait souligne d’abord la quantité de poisson prise dans les filets. Mais elle indique aussi que Simon et ses compagnons ne sont pas encore prêts à faire face aux situations dans lesquelles Jésus va les placer (en Jean 21/11 au contraire, il sera précisé que les filets ne rompent pas).

Une pêche plus étonnante encore !

Seigneur

Ce titre donné à Jésus marque le changement par rapport au « maître » du v. 5. Même si ce peut être un terme de politesse devant une personne importante, il faut ici penser à plus : Seigneur, c’est le mot par lequel les Juifs appellent Dieu depuis que, par respect, ils ne prononcent plus son nom, révélé à Moïse (Exode 3/13-15). Simon prend donc conscience d’une présence de Dieu auprès de lui.

… éloigne-toi de moi car je suis un pécheur

Et le pécheur ne peut paraître devant Dieu sans mourir. Simon parle ici comme le prophète Esaïe mis en présence de Dieu dans le temple (Esaïe 6/5).

Le pêcheur de Galilée sait qu’il est bien loin d’être en règle avec les multiples prescriptions de la loi de Dieu dans l’Ancien Testament compliquées par les interprétations des scribes !

Sois sans crainte

A la crainte de l’homme étonné, émerveillé mais inquiet de la proximité de Dieu, celui-ci répond par une parole rassurante (Genèse 15/1 ; 21/27 ; 26 ; 24 ; Daniel 10/12 ; Luc 1/30 ; Marc 16,6). Luc a donc donné à cet épisode de la vie de Jésus le caractère d’une manifestation de Dieu devant quelques hommes. Car c’est bien de cela qu’il s’agit. Mais cela ne signifie pas que pour Simon, Jacques, et Jean, cette présence de Dieu en Jésus ait été immédiatement évidente.

… ce sont des hommes que tu auras à capturer

Jésus exprime ici la mission qu’il entend confier à Simon : à partir de son métier initial de pêcheur, devenir celui qui rassemble les hommes autour de Jésus, dans le Royaume. Le miracle de la pêche ne fait qu’illustrer cette mission et lui donner tout son sens : de même que, avec Jésus, il a pu tirer du lac menaçant et avare des quantités énormes de poisson, de même il va, avec Jésus, arracher à la mort les hommes qu’il amènera au Christ.

Laissant tout, ils le suivirent

Contrairement aux récits de vocation de Matthieu et de Marc, le récit de Luc ne contient pas expressément d’appel de Jésus à le suivre. Mais Jésus leur a offert une possibilité de vivre, alors ils abandonnent tout ce qui assurait jusqu’ici leur existence, leur famille et leur bateau, leur filet et le lac, et même le produit de cette pêche extraordinaire !

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Contrairement à Marc et Matthieu, Luc a donc choisi de présenter la rencontre décisive de Simon avec Jésus comme une théophanie, une manifestation de la présence de Dieu. Il cherche à montrer ainsi que ce qui a mis en route Simon, Jacques, Jean et les autres n’a rien à voir avec l’engouement de quelques exaltés pour un gourou quelconque. Ils quittent tout parce que la parole de Dieu est à l’œuvre, et qu’elle est prodigieusement efficace.

Dès ce moment là aussi, l’avenir de Pierre est fixé dans le plan de Dieu : il sera pêcheur d’hommes, il participera au salut de ceux qu’il pourra enserrer dans les filets de l’évangile pour les arracher au pouvoir de la mort et leur apporter la vie.

Tout cela, Luc le dit à la lumière de la résurrection de Jésus, et avec sa connaissance des événements qui vont en découler. Il tient à dire que les disciples n’ont pas suivi Jésus par hasard, mais qu’ils sont entrés dans le déroulement du plan de Dieu pour sauver les hommes.

Mais Luc ne prétend pas pour autant que Simon ait accédé du premier coup à la pleine conscience de la divinité de Jésus, ni à la plénitude de sa foi. Pour cela, le futur apôtre a encore de la route à faire. Ainsi, l’évangéliste a pris soin d’indiquer que Simon connaissait déjà Jésus. Or, les guérisons mentionnées en Luc 4/38-41 n’avaient pas entraîné Simon à suivre Jésus. Ce n’est donc pas la pêche qui le décide. Si extraordinaire soit-elle, elle ne pouvait passer que pour un coup de chance aux yeux de ceux qui n’auraient eu, pour Jésus, aucune sympathie.

En 4/16-30 Luc a présenté le rejet de Jésus à Nazareth, où ce refus de l’accueillir empêche tout miracle. Ici, c’est l’accueil de Simon qui reçoit une réponse, car malgré ses réserves, il se met à la disposition de Jésus, il prête sa barque pour faciliter l’enseignement, il accepte de faire encore un lancer de filet.

D’ailleurs, tout aurait pu s’en tenir là : en récompense de ses services, Simon aurait fait une belle pêche, et puis aurait disparu de l’histoire, comme d’autres bénéficiaires de miracles. Si les choses ont tourné autrement pour Simon, Jacques, Jean, et quelques autres c’est qu’un lien différent s’est établi entre eux et Jésus. Un lien qui tient plus de l’admiration, de la sympathie et de l’amitié que de la foi. Celle-ci, nous le verrons, met du temps à s’établir.

Pour l’instant, ces premiers disciples ont envie de tout quitter pour rester avec Jésus, et tout part de là. Et l’évangéliste ne le cache pas, même s’il veut aussi indiquer dés maintenant où cette sympathie pour Jésus va conduire ces pêcheurs de Galilée.

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