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Suivre Jésus

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A plusieurs reprises dans les évangiles, Jésus appelle des personnes qui désormais le suivront dans sa mission. Ils sont nommés « disciples ».Rapidement, ceux-ci deviendront apôtres, c’est-à-dire qu’ils seront “envoyés“, pour annoncer une bonne nouvelle de libération.De tels événements, l’appel et l’envoi, provoquent assurément des ruptures dans la vie de ceux qui y répondent favorablement.

Suivre Jésus c’est rompre. Mais de quelles ruptures s’agit-il ?

L’immédiateté et l’inconditionnalité de la suivance

A plusieurs reprises dans les évangiles, Jésus appelle des personnes qui désormais le suivront dans sa mission. Ils sont nommés « disciples », mot qui traduit le grec akoluthês, et qui a donné en français acolyte signifiant littéralement « celui qui suit /sert ». Rapidement, ceux-ci deviendront apôtres, c’est-à-dire qu’ils seront “envoyés“, en grec apostolos, pour annoncer une bonne nouvelle de libération. De tels événements, l’appel et l’envoi, provoquent assurément des ruptures dans la vie de ceux qui y répondent favorablement. Suivre Jésus c’est rompre. Mais de quelles ruptures s’agit-il ? C’est la question à laquelle introduit cette note, à partir d’un bref passage de l’évangile de Marc (le premier évangile, rédigé vers 70 ap. JC).

Marc 2,13-15

(13) … Il (Jésus) sortit de nouveau du côté de la mer ;  toute la foule venait à lui, et il les instruisait.

(14)    En passant, il vit Lévi, fils d’Alphée, assis au bureau des taxes.  Il lui dit : «Suis-moi.»  Celui-ci se leva et le suivit.

(15)   Il arriva qu’il était à table dans sa maison, beaucoup de collecteurs des taxes
et de pécheurs avaient pris place avec Jésus et ses disciples,
car ils étaient nombreux à le suivre. …

(… suit alors une controverse déclenchée par les scribes et les pharisiens à propos de la commensalité de Jésus avec les pécheurs)

L’introduction du passage au verset 13 est classique chez Marc : Jésus y passe sans cesse d’un lieu à un autre comme s’il y avait urgence ; des foules convergent vers lui avec leurs espoirs, souvent de guérison ; il les enseigne ou les guérit, et il repart ; ne pas s’arrêter. Le récit d’appel du verset 14 est le plus court de l’évangile, il est réduit au minimum : Jésus est en chemin ; il voit un homme dont le nom et l’activité sont donnés ; il l’appelle, l’homme se lève et  le suit. L’accent est mis sur l’immédiateté et l’inconditionnalité de la suivance de celui qui est appelé par Jésus.  Ce récit d’appel est plus bref que celui de l’appel des quatre premiers disciples au chapitre précédent (1,16-20), lesquels laissent pourtant immédiatement sur place leurs filets, leurs bateaux et leurs pères pour suivre Jésus. Ce récit est aussi beaucoup plus bref que le récit d’appel d’Elisée par Elie en 1 Rois 19,19-21 et qui semble être le modèle auquel se réfèrent les récits d’appel du Nouveau Testament. Bref, cela pour dire que dans son extrême brièveté, le récit d’appel de Lévi porte à son maximum l’expression de la radicalité de l’appel de Jésus : “Il lui dit : «Suis-moi». Celui-ci se leva et le suivit.” L’homme appelé, Lévi, fils d’Alphée, n’est mentionné nulle part ailleurs dans le Nouveau Testament, pas même dans la liste des Douze donnée par Marc en 3,16-19 ! A la suite de Matthieu 9,9, la tradition l’identifie au disciple Matthieu. Mais ce pourrait tout aussi bien être un disciple en dehors du cercle restreint des Douze, ou même un personnage exemplaire dans lequel le lecteur est invité à se reconnaître. Les évangiles de Matthieu et Luc, qui reprennent celui de Marc, présentent en tout cas Lévi/Matthieu comme un fonctionnaire du service des impôts. Comme les précédents disciples appelés, c’est donc quelqu’un qui a un métier, une situation plutôt stable, sa vie est vraisemblablement confortable sans être opulente. Son métier n’est pas bien vu par les Juifs opposés à l’occupation romaine, mais tous ne l’étaient pas et cela n’empêche pas Lévi d’avoir de nombreuses relations et une vie sociale développée. Il fait « table ouverte » chez lui. Ses convives sont des gens de son milieu. Ils sont décrits d’un point de vue juif et critique (« collecteurs de taxes et pécheurs ») préparant ainsi la controverse qui suit aux versets 16-17 sur la communauté de table avec des gens réputés impurs et infréquentables.

Comment suivre Jésus ?

  Comment suivre Jésus ? Le verset 15 pose plusieurs questions au lecteur.  Tout d’abord au début de ce verset, “Il arriva qu’il était à table dans sa maison” :

–  “Il arriva que”, est-ce tout de suite après l’appel, ou un autre jour ?

– “il était à table”, il s’agit soit de Jésus, soit de Lévi, qui sont de toute façon à la même table.

– “dans sa maison”, il semble bien d’après le contexte qu’il s’agisse de la maison de Lévi, mais alors, Lévi qui s’est levé immédiatement pour suivre Jésus au verset précédent est encore dans sa maison pour présider un repas avec de ses anciens et ses nouveaux amis ? Et rien ne nous dit qu’il s’agisse de « pot de départ » !

D’ailleurs, comme nous l’avons vu, en Marc, Lévi n’apparaît plus dans l’évangile parmi ceux qui suivent Jésus sur le chemin.     Et pourtant, l’évangéliste emploie de nouveau ce verbe ‘suivre’ pour clore sa phrase : “car ils étaient nombreux à le suivre”.

Ce verbe fait écho au verset précédent (v.14), mais il semble qu’il ne soit plus utilisé dans son  sens technique de la suivance immédiate et inconditionnelle du disciple (voir en Marc 1,18 ; 8,34 ; 9,38 ; 10,21.28). Au verset 15 en effet, ceux qui suivent Jésus, ne sont plus des gens qui quittent tout, mais de nombreuses personnes de milieux très divers qui accompagnent Jésus pour un bout de chemin. Et puis, il y a Lévi, qui bien qu’il se soit levé pour suivre Jésus au verset précédent se retrouve maintenant attablé en maître de maison prêt à recevoir Jésus et ses disciples, et les nombreuses autres personnes qui le suivaient. Ce faisant, l’évangéliste Marc élargit la notion de suivance : il est aussi possible de suivre Jésus sans que cela signifie nécessairement l’itinérance, ni la rupture d’avec son milieu d’origine ; on peut suivre Jésus, chez soi, dans sa vie de tous les jours, parmi les siens, sans devenir un prédicateur missionnaire.

Que fait Lévi pour suivre Jésus ? L’évangile n’en dit pas grand chose, seulement que par son hospitalité, Lévi permet à ceux, qui comme les douze ont reçu un appel plus radical (voir Marc 6,7-9), de faire une pose sur le chemin éreintant de leur mission itinérante. Lévi permet à Jésus, à ses disciples, et aux nombreux autres qui le suivent de différentes façons, de faire une pause, de partager un repas. Lévi permet à tous ces gens de se rencontrer et de rencontrer Jésus à sa table hors des cadres conventionnels qui séparent les gens selon leur « respectabilité », leur milieu, leur origine ethnique, leur religion, …

Il y a de multiples façons d’être disciple, et les plus radicales ne sont pas toujours celles qu’on croit ! Mais dans tous les cas il s’agit de se mettre à disposition de celui qui nous appelle.

Crédit :Patrice Rolin