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Le bon samaritain compatissant

Introduction : Qu’est-ce qui est essentiel ? Dans l’Evangile, Jésus interroge le légiste : Comment lis-tu toi-même et comment agis-tu ? C’est si difficile de se décentrer et de ne plus voir le monde graviter autour de soi ! La question n’est plus qui, mais comment aimer l’autre ! Et la Loi n’est jamais simple. Elle est toujours un conflit. Il faut se décider… Dans l’urgence ! Il y a en nous cette tension, cette scission, comme deux êtres qui se font face, mais qui représentent la façade et l’intérieur de l’humain. Mais la façade n’est jamais tout à fait artificielle ni en trompe-l’œil et l’intérieur n’est jamais tout à fait authentique ni profond !
Nous avons choisi de vous raconter la parabole de l’évangile sous les formes d’une pièce… de monnaie, tombant tantôt sur le côté pile tantôt sur le côté face… Quelquefois il est impossible de trancher ! Je vous présente Mister Pile et Mister Face ! Nous nous sommes demandé ce que le Samaritain de notre histoire aurait fait, si au lieu d’arriver après, il était tombé au cœur de l’attaque ! Dans l’événement et le direct, la foi peut aussi être une décision d’urgence… Les événements relatés sont, bien sûr, adaptables à l’actualité du moment…

Mister Pile et Mister Face : Un chœur parlé sur la tranche ?

Mister Pile : Ce matin, j’ai pas trop envie de parler Homard, champagne, peinture dorée et palais ministériel – d’autant qu’on nous écoute – mais d’un fait « divers » qui me pose question. Tu te rappelles cette Carola Rackete, la capitaine allemande du navire humanitaire Sea-Watch 3 ?

Mister Face : Ah oui ! C’est une sacrée bombe qui porte bien son nom – Rackete – Quel sacré bout de femme ! Elle en des…

Mister Pile : Oui bon… On se calme… Quel macho ! Rends-toi compte qu’elle a déclaré que si c’était à refaire, elle le referait !

Mister Face : Tu veux dire qu’elle accosterait encore une fois de force sur l’île de Lampedusa malgré le refus des autorités et qu’elle débarquerait les migrants qu’elle avait secourus ? J’espère bien !

Mister Pile : Mais bon ! Elle a tout de même enfreint la loi et menacé la sécurité nationale. Imagine tous ces terroristes en puissance qui déferlent sur nos côtes ! Si chacun se met à désobéir où allons-nous ?

Mister Face : Tu ne crois pas qu’il y avait urgence ? Malte, la France, l’Allemagne n’en n’ont pas voulu ! Elle était au cœur d’une décision de vie ou de mort ! Elle voulait amener à terre des personnes épuisées et désespérées !

Mister Pile : Mais nous ne sommes pas responsables de leur vie ! Nous ne pouvons pas accueillir toute la misère du monde ! C’est à eux de trouver les solutions ! Comprends-moi bien, j’suis pas raciste moi ! J’ai rien contre eux !

Mister Face : Mais tu penses vraiment qu’ils ont le choix ? Si tu avais une once d’espoir encore chez toi, tu quitterais tout, toi ? Pourquoi criminaliser dans l’opinion publique ces gens et faire de cette solidarité citoyenne un acte puni par la loi ?

Mister Pile : Enfin, tout de même ! Mettre en danger la vie de quatre policiers lors de l’accostage, ignorer les ordres de la marine… C’est surtout se rendre complice de passeurs et en encourager d’autres à faire de même ! Il y a un moment où il faut obéir et non plus désobéir !

Mister face : C’est sûr que c’est plus confortable de détourner les yeux, de passer à côté, de laisser faire les gardes côtes libyens. Et d’ailleurs, lorsque les navires de sauvetage ne sont pas là, il n’y a pas moins de traversées, mais plus de morts ! Tu arrives encore à manger du poisson de Méditerranée ?

Mister Pile : Là t’es vache tout de même ! Me culpabiliser à ce point ! T’exagères ! Je suis chrétien ! Je ne suis l’ennemi de personne ! Je ne vote pas pour les… Enfin, tu vois… Je donne régulièrement de mon temps et un gros chèque à l’Eglise en fin d’année. Je signe toutes les pétitions humanitaires parce que j’aime tout le monde !

Mister Face : On connaît ! C’est comme ceux qui se disent « open » et qui sont les plus refermés ! Tu ne peux pas aimer tout le monde. Aimer c’est du cas par cas ! C’est une personne précise et non une idée ! C’est n’importe qui, mais une fois ton proche, il te deviendra unique ! Le reste ça soulage ta mauvaise conscience ! C’est de la guimauve, mais ce n’est pas l’amour du prochain !

Mister Pile : Mais qui est mon prochain ? La Bible n’en donne aucune définition !

Mister face : A mon avis, Jésus profite de ce « cas » pour montrer que le prêtre et le pasteur ne sont pas les mieux placés pour te faire découvrir le prochain !

Mister Pile : Ils sont peut-être un peu dans leur tour d’ivoire ? Pas vraiment sur le terrain ? Pas trop intéressés par ce que leurs paroissiens vivent ? C’est pas, non plus, leur dureté de cœur qui les fait prendre un détour pour laisser mourir le blessé de la vie, c’est aussi la radicalité de la Bible elle-même !

Nous changeons tous deux de perspective et de place…

Mister face : Tiens, je n’y avais jamais songé ! Cela expliquerait bien des choses. Si tu places l’obéissance des lois de Dieu au-dessus de l’amour de ton prochain ; il vaut mieux laisser crever quelqu’un à demi mort si la Bible te l’ordonne que de le sauver !

Mister Pile : Souvent, sous prétexte de jouer au « bon » Samaritain, on refuse de se salir les mains. On attend que ça se passe pour ramasser les morts et les blessés. Quand il n’y a plus de risques, on se permet de faire la leçon aux autres. Mais imagine-toi dans le feu de l’action ! Tu n’as que quelques secondes pour décider d’intervenir ou non ?

Mister face : Tous ceux qui sont sur le terrain, aux prises avec des décisions lourdes, tiraillés entre les lois et leur désir de secourir jusqu’au péril de leur vie, doivent se décider. Je ne voudrais pas être à leur place ! Je m’en veux de les juger un peu trop rapidement ! Pour accomplir son devoir, il faut aussi savoir ne pas s’arrêter ! Mais c’est dur ce que tu dis là !

Mister Pile : C’est pas le pire ! Parce que le choix du Samaritain par Jésus, c’est pire qu’une injure ! C’est comme si… Tiens pense à la personne que tu détestes le plus, t’as juste envie de cracher par terre rien qu’à son souvenir et…

Mister face : Et cette personne passe par là ! Elle sent ses entrailles se nouer ! Je me demande si mes entrailles se nouent encore en moi où si je ne suis pas devenu complètement insensible, voire indifférent… Cette personne s’est approchée ! Elle transgresse ses propres lois et tabous ; elle s’en tape !

Mister Pile : Exactement ! Sa loi du moment, c’est l’humain qui est là, à demi mort et qui a besoin d’elle. Elle lui consacre le temps qu’il faut, prend les précautions utiles à son rétablissement et…

Mister Face : Se barre sans attendre de remerciements ! Et un jour, une autre repassera par là lorsque le besoin s’en fera ressentir ! Même notre pire cauchemar, comme ce samaritain pour un juif, peut-être ou peut devenir cet énigmatique prochain…

Mister Pile : Celui qui a encore la capacité d’avoir les entrailles retournées et de pratiquer la pitié… Quand je pensais à mon prochain, je voulais connaître ceux pour qui je devrais faire quelque chose de bon. Si je songeais plutôt à ceux qui font quelque chose pour moi ?

Mister Face : Le problème te serait-il plus simple ? De te dire le prochain, c’est d’abord celui qui vient à moi ?

Mister Pile : C’est comme pour ces migrants dans ce bateau. Cette capitaine était la seule, à ce moment précis, à venir à eux pour les secourir. Elle a choisi la loi de la vie dans l’urgence contre une autre !

Mister Face : Tu vois qu’on peut se rejoindre sur ce point ! J’avoue aussi que la pub qui en a été faite, la cagnotte énorme collectée pour ses frais de justice et l’afflux de dons pour cette ONG me rendent aussi un peu mal à l’aise… Le Samaritain lui n’a jamais eu de médaille et il n’a pas été remboursé pour son geste !

Mister Pile : Peu importe ! Voilà bien un gros encouragement pour chacun et chacune d’entre nous ! « Va et fais de même ».

Vers le public

Mister Face : Faisons bien attention à aimer tous les Samaritains qui, en ce dimanche, se sont ou vont s’approcher de nous !

Mister Pile : Et ne croyez pas que nous allons vous fournir des réponses à votre question de ce matin : « Mais qui est mon prochain ? »

Mister Face : Il vous revient de trouver vous-mêmes la réponse !

Mister Pile : Mais si tu regardes le visage de n’importe quel humain…

Mister face : Et que tu reconnais une sœur ou un frère…

Mister Pile & face : Fais cela et tu vivras !

Crédit, Frédéric Gangloff, UEPAL