La liturgie : communication non verbale
La liturgie : mot grec désigne, dans l’Antiquité, le service des citoyens pour les tâches d’intérêt collectif. Elle désigne le culte chrétien dans son ensemble, avec ses différents éléments et son déroulement. Après l’époque apostolique, le mot désigne les services que les chrétiens rendent à Dieu. Le vocable est souvent utilisé de nos jours pour distinguer la partie rituelle du culte de sa partie homilétique. Dans cet article, le mot « liturgie » désigne le déroulement de l’ensemble du culte, retour partiel à l’étymologie et à l’usage ancien.
Le rite, moteur de la liturgie
Le rite désigne la succession organisée des éléments d’une pratique cultuelle. Chaque partie du rituel comporte une part de paroles et une part de mise en scène : actes et attitudes des participants, décors, espace, etc. La répétition à l’identique peut concerner l’ensemble de l’élément rituel, y compris les paroles à prononcer. Elles reviennent alors régulièrement (commencer toujours par « Au nom du Père… »). Inversement la succession ne peut concerner que la forme de l’élément liturgique, laissant à l’officiant le choix de paroles originales à chaque célébration (commencer toujours par une parole d’accueil). La répétition réside ici dans la mise en scène (commencer par écouter un jeu d’orgue, une parole d’introduction puis se lever pour chanter). Dans cette approche c’est en quelque sorte le support de la communication qui est marqué du sceau de la régularité, le contenu (les textes utilisés) change à chaque célébration.
Nous avons publié un ouvrage « Toutes ces rencontres : cent idées pour célébrer avec les enfants« , Paris, 2001, diffusion Olivétan, Lyon. Ce sont des célébrations pour enfants ou la liturgie respecte le principe de la répétition ritualisée. Les rencontres commencent toujours ainsi : les enfants sont accueillis en recevant un badge pour qu’ils y inscrivent leur nom. La couleur du badge détermine le groupe où ils se retrouveront le moment venu. Ils vont ensuite s’asseoir sur un tapis et apprennent le chant. La répétition de ce mode d’accueil en fait un rite qui sécurise l’enfant. Ensuite chaque élément du culte revêt une forme spécifique et le participant peut sans peine repérer où il en est.
La presse utilise abondamment cette technique pour permettre au lecteur de s’orienter. Le magazine Pomme d’Api soleil, par exemple, présente toujours la même structure : d’abord deux pages de BD avec des personnages contemporains, puis une narration biblique, ensuite quatre pages centrales détachables, une page « bricolage », une BD biblique et une fresque contemporaine terminent le numéro. Chaque déroulement propose donc des petites séquences toutes différentes dans leur forme, mais cette suite est reproduite à chaque fois (pour l’année 2001). La même observation pourrait être faite avec la presse adulte. La Une des journaux présente différents modes d’expression, photos, titres, surtitres, etc. mais la même panoplie revient chaque jour selon un même dispositif. Cette forme de constance pourrait s’intituler la variété dans la régularité : une série de supports différents pour traiter d’un sujet avec des approches multiples, mais toujours le même déroulement formel qui facilite la compréhension du cheminement général.
La liturgie support de l’homilétique
Ce système forme le principe de base des liturgies de l’ouvrage « Toutes ces rencontres ». Les diverses situations de l’animation de groupe : chant, prière, bricolage, narration, etc. introduisent un maximum de variété dans les célébrations. La répétition ritualisée sécurise le participant. Le contenant reste fixe, permettant au contenu toutes les audaces. Le message se décline sous diverses formes. Lorsqu’il est question du « père formidable » le badge représente une activité que les enfants aiment faire avec leur père. Quand il s’agit de communion avec les chrétiens malgaches, il ressemble à un billet d’avion, etc. Il n’y a plus de séparation entre la partie homilétique du culte et son aspect rituel : le message est véhiculé par la répétition. Si les liturgies pour adultes ne peuvent aller aussi loin dans les techniques d’animations, le principe de faire de la liturgie le lieu de l’annonce de la Parole, sous les formes les plus variées possible, peut aisément se transposer. Aux animateurs de tirer parti de toutes les possibilités offertes par le cadre des cultes.
La nécessaire répétition sécurisante pondère cette invite à la variété. Les changements trop brutaux sont à éviter. Lorsqu’il s’agit de moderniser l’étiquette d’un produit de grande distribution, le graphisme d’origine est reconnaissable mais quelque peu modifié. Les maquettes de journaux évoluent également mais tout aussi prudemment. Le rite n’est pas figé mais il se modifie petit à petit, influencé par l’évolution culturelle de la société. Or, très souvent, les participants aux célébrations vivent les évolutions liturgiques avec quelques réserves. Ceci est tout a fait normal, la participation aux cérémonies religieuses étant basée sur le volontariat, ne viennent que ceux à qui telle ou telle liturgie convient. Si cela leur convient il n’y a pas lieu de changer. Les raisons de cette résistance au changement sont cependant d’un autre ordre. La liturgie exprime ce qui surpasse les initiatives humaines. Une innovation issue des humains, pour satisfaire un effet de mode, risque de ne plus renvoyer au créateur. Certes, les habitudes rituelles les plus ancrées ne sont pas toujours les plus anciennes. « Cela a toujours été ainsi » signifie en réalité : « Cela est ainsi depuis mon enfance ». Peu de formes rituelles remontent à la nuit des temps ! Il n’en est pas moins vrai qu’une trop grande désinvolture humaine dans ce domaine donne à penser que la transcendance s’arrête là où commence la fantaisie de l’officiant.
La liturgie symbole de la transcendance
Quelle symbolique permet la communion avec les chrétiens de tous temps et de toutes régions ? Ce sentiment communautaire ne peut résulter d’un discours commun : chaque tradition, chaque individu développe sont approche cérébrale de la vie avec Dieu. De plus chacun sait de nos jours que la parole (avec un « p » minuscule) n’est pas perçue immédiatement en fonction de son sens mais à partir de diverses contingences psychologiques (cadre, dispositions psychiques de l’écoutant, etc.). Le discours le mieux conçu n’est pas apte à rendre les relations entre les humains, les gestes et autres éléments non verbaux en disent plus que les mots. Il en est de même pour les relations entre Dieu et son peuple : seul les éléments liturgiques, en particuliers les non verbaux, permettent une authentique communication.
L’ensemble antique baptême/cène retrouve ainsi toute sa pertinence. Les sacrements sont le meilleur moyen pour exprimer la rencontre Dieu/humains, surtout lorsque l’on célèbre les deux ensemble. Une réhabilitation des deux sacrements pour tous les âges permettrait de rendre justice au principe selon lequel la communication passe autant (même plus) par le geste que par la parole. Renforcer les célébrations autour de Pâques par exemple avec cène et baptême liés dans un même ensemble liturgique pourrait trouver un large échos dans les paroisses d’autant plus que le jour de Pâques est propice aux baptêmes.
Crédit : Claude Demissy, Eglises (UEPAL) 2002 Point KT