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L’enfant différent dans une perspective religieuse

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Dans son ouvrage « Mon enfant est différent » (Editions Frison-Roche, Paris, 1996), le docteur René METTEY envisage l’enfant différent dans une perspective religieuse. Il donne la parole aux représentants des principales confessions pratiquées en France pour répondre aux interrogations que peuvent se poser les parents mais aussi leurs familles, les socioprofessionnels ou même chaque individu un tant soit peu altruiste.
Les trois articles qui suivent sont extraits de ce livre avec l’autorisation de l’éditeur.

 

1. Pour les protestants « Différents mais semblables »

Subissant ou cultivant la différence, les protestants français ont toujours été sensibles à la présence parmi eux et autour d’eux de personnes différentes des autres et en danger de marginalisation. Parmi eux, des enfants, jeunes ou adultes, ayant un handicap.
Ce n’est pas que leurs difficultés ou souffrance et celles de leurs proches aient quelque valeur en elles-mêmes. Contrairement à d’autres courants spirituels, le protestantisme ne donne aucun mérite à celui qui supporte vaillamment la souffrance, en tout cas aucun mérite salutaire.
Sa méfiance vis-à-vis de tout ce qui pourrait s’approcher d’une réitération du sacrifice de Jésus, lui fait également éviter les rapprochements faciles entre nos souffrances et celles du crucifié.
Certes les êtres qui peinent peuvent être pour ceux qui les rencontrent des signes de la présence du Christ, cependant pas par eux-mêmes, mais par la grâce de Dieu. C’est la parole de Dieu qui, agissant en nous, transforme les malades, les exclus, les solitaires en messagers de Dieu. On pense, bien sûr, à Matthieu 25,31-46, mais aussi à Luc 10,25-37…
Bien entendu, si la personne ayant un handicap n’a pas de ce seul fait une valeur ou une place en soi supérieure, elle n’en a pas moins sa dignité totale et absolue de personne humaine et d’enfant de Dieu !
Évidemment il n’est nullement question de leur faire porter quelque culpabilité du fait de leur handicap, à cause de fautes d’un passé lointain (d’une supposée vie antérieure ou de la vie utérine comme on le lit parfois !) ou récent. Jésus a suffisamment distingué la faute de la maladie ou souffrance ! Nul handicap n’est le résultat d’une punition de Dieu !
L’idée ne viendra pas non plus de se demander si les porteurs de tel ou tel handicap ont ou non une âme et, malgré une tradition qui insiste sur la participation consciente et éclairée des chrétiens à la vie de la communauté, la place des personnes apparemment les moins intellectuellement conscientes dans l’Église n’est pas mise en cause. A plus forte raison leur part à la grâce et au salut de Dieu ne fait-elle pas de doute.
Dans certains cas, on ne se polarisera pas à leur sujet sur les sacrements (baptême et cène) parce qu’ils ne sont pas des passages obligés pour le salut ou la vie éternelle, mais aucune exclusion de principe n’est pensable.
Sur le plan de la bioéthique en rapport avec les handicaps, le protestantisme ne donnant pas à la vie diminuée une valeur en soi, ne craint pas d’aborder de façon nuancée et ouverte certaines situations limites, où l’existence ou la possibilité d’une conscience peuvent être mises en doute. L’euthanasie peut être envisagée dans des cas exceptionnels, l’acharnement thérapeutique pour des adultes ou pour l’embryon est généralement exclu, l’avortement envisageable quand la vie se profile trop chargée de souffrances. C’est, une fois encore, que la souffrance n’a rien de bon en soi.
Mais il faut surtout parler des façons de reconnaître à chaque personne sa valeur et sa dignité. Elles sont nombreuses et multiples.
Presque partout, un effort est fait pour que les enfants et adolescents ayant des handicaps (physiques mais aussi mentaux ou intellectuels), trouvent leur place dans des groupes de catéchèse, de scoutisme et autres activités de jeunesse. D’une part à cause de la dissémination protestante presque partout en France, qui ne permet pas le regroupement d’un assez grand nombre d’enfants et de jeunes concernés, mais surtout à cause d’un désir d’intégration. II existe cependant quelques lieux de « catéchèse spécialisée», soit dans des institutions adaptées aux jeunes ayant un handicap, soit dans des grandes villes, souvent dans un cadre œcuménique, ce qui est à souligner.
Pour les jeunes adultes on peut citer à titre d’exemple, les camps bibliques « Chemin faisant » organisés par une petite équipe de la Région Ouest de l’Eglise Réformée de France.
Sur le plan sanitaire et social, une part du protestantisme français a joué un rôle pionnier dans l’accueil, l’éducation, le soin des personnes ayant des handicaps. II faut citer en premier lieu la fameuse Fondation John Bost à La Force en Dordogne, créée au milieu du XIXe siècle par le pasteur du même nom. Cet ensemble qui reçoit en divers lieux, près de 1 000 résidents est, par l’esprit et l’intelligence déployés au service des plus démunis un lieu phare bien au delà du protestantisme français. On peut citer, parmi d’autres, la Fondation Sonnenhof à Bischwiller, le Centre de rééducation de l’ouïe et de la parole à St-Hippolyte-du-Fort, les établissements des Diaconesses en Charente Maritime…
Par tous ces engagements individuels et collectifs, par une réflexion théologique ouverte et proche du réel et donc proche des personnes, le protestantisme essaye de vivre en cohérence avec une conception du handicap compris comme une différence douloureusement révélatrice des faiblesses et limites de chaque être humain et reçu comme un fardeau à porter à plusieurs, dans un esprit de solidarité.

Olivier PIGEAUD
2. Pour les catholiques « Ils sont un trésor pour l’Église ! »

Un être humain qui se trouve dans des conditions sociales défavorables, telles que privation de famille, migration, chômage, etc., peut en subir les conséquences sur le plan physique voire psychique et se trouver « en danger moral ». De telles situations nous peinent quand nous en sommes témoins. Parfois elles nous révoltent, nous scandalisent. Comment les concilier avec la bonté et la toute-puissance de Dieu, avec la notion que nous nous faisons de Sa justice ? Le magnifique « Livre de Job » dans l’Ancien Testament, livre trop peu connu, et, dans le Nouveau Testament, les écrits de Saint-Paul, nous apportent de précieuses lumières pour affronter ce « problème du mal » et, par voie de conséquence, celui de la souffrance… en évitant d’ailleurs de confondre l’un avec l’autre, tant il est vrai que la souffrance n’est pas « le mal », qu’elle n’est pas toujours un mal et qu’elle peut, au contraire, constituer, d’un certain point de vue, un bienfait pour la personne qui l’éprouve et un trésor pour l’humanité.
Dans une perspective chrétienne, l’apôtre Paul ne s’écrie-t-il pas « je surabonde de joie dans mes souffrances parce que j’achève dans ma chair ce qui manque à la passion du Christ pour son corps qui est l’Eglise » (Colossiens 1 ,24).
Cela ne veut pas dire, pour autant, que l’Eglise catholique se réjouisse du mal. Elle le combat, au contraire, sous toutes ses formes comme son fondateur, Jésus lui-même, l’a combattu. Mais elle lui reconnaît un sens.
C’est, en particulier, pourquoi, à l’instar de Jésus, L’Eglise catholique a toujours pris un soin particulier des personnes handicapées et continue de le faire. Bien entendu, cette prise en charge a été essentiellement pastorale, mais elle n’en a pas, pour autant, négligé, tout au contraire, le bien physique ou psychique de ceux vers lesquels, en appliquant évidemment les méthodes de son temps, elle dirigeait ses efforts.
Fondamentalement, la raison pour laquelle, à la suite de Jésus, l’Eglise agit ainsi, est la reconnaissance de la dignité imprescriptible de l’être humain quel qu’il soit. Le pire des handicaps ne saurait altérer, dans ce qu’elle a d’essentiel, une telle valeur. Et, s’il est possible que d’aucuns, parmi les membres de cette Eglise, aient pu hésiter, de quelque manière, quant à l’intégrité de cette grandeur essentielle de la personne humaine, quelle qu’elle soit, l’Eglise catholique en tant que telle a tenu bon pour en affirmer inlassablement la valeur et les droits.
Deux preuves parmi d’autres, en sont le signe éclatant :

  • D’une part la position très ferme de l’Eglise catholique et ses déclarations non équivoques concernant le refus de l’avortement, de l’euthanasie, de la stérilisation directe de l’homme et de la femme, fût-elle temporaire. Le magistère ecclésiastique, en particulier par la voix des Souverains Pontifes, affirme clairement se référer là au droit naturel et, par conséquent, devoir ne rien changer à ce qui concerne l’homme en tant que tel et tous les hommes, fussent-ils les plus handicapés du monde.
  • D’autre part l’Eglise catholique ne refuse jamais le Baptême à un être humain sous le prétexte qu’il est handicapé. C’est même toute « l’initiation chrétienne» qui lui est ouverte et – l’on n’y pense malheureusement pas toujours – la Confirmation lui est également accessible.
  • Enfin, de plus en plus d’enfants très sévèrement handicapés accèdent à la réception de l’Eucharistie et ce moyennant une préparation qui se doit d’être adaptée à leur état. Et lorsqu’on comprend que ces sacrements font que l’homme pénètre dans l’intimité de la vie divine, participant à la nature même de Dieu, comme le rappelle la 2e épître de saint Pierre, on ne peut qu’être persuadé, là encore, du fait que l’Eglise reconnaît l’éminente dignité de tout être humain en tant que tel et le traite en conséquence…

Là est certainement un des motifs qui peuvent, le plus profondément, aider les familles et plus particulièrement les parents d’enfants handicapés dans la grande épreuve que constitue la venue au monde, en ce milieu familial, d’un ou plusieurs enfants handicapés, surtout lorsque ce handicap est tellement grave qu’il faut envisager la nécessité de conditions spéciales d’éducation et l’établissement d’une relation interhumaine particulière. Les parents ont alors un immense besoin de voir que leur enfant est estimé, respecté, aimé comme un être humain et un fils de Dieu à part entière.
Un autre témoignage de ce que l’Eglise catholique porte en profonde estime la valeur imprescriptible de l’être humain handicapé, se manifeste dans l’intérêt qui est porté à la vie et à la formation religieuse de ces personnes. II faudrait ici un très long article pour pouvoir énumérer tout ce que l’Eglise a fait, depuis une soixantaine d’années notamment, pour la pastorale et, plus spécialement, la catéchèse de personnes dites handicapées.
Celles-ci ont de plus en plus la faculté de participer à la vie de toute l’Eglise, qu’il s’agisse par exemple de la vie liturgique ou bien des groupements et mouvements de jeunes et adultes. Le scoutisme masculin ou féminin les a, de longue date, considérés comme des membres actifs, et aussi des mouvements tels que l’Action catholique de l’enfance. Cela est vrai, a fortiori, pour les mouvements de jeunesse et d’adulte tels que ceux de l’Action catholique spécialisée.
Un effort notable a été fait également pour que, indépendamment de la possibilité de s’unir à la communauté priante par le moyen de la radio et de la télévision, les personnes handicapées puissent être aidées à se rendre aux assemblées religieuses diverses. Dans certains cas, pour ce qui est des malentendants par exemple, des boucles magnétiques permettent que ces membres de l’assemblée, notamment dans la célébration de l’Eucharistie, puissent participer réellement à la liturgie et accueillir la parole de Dieu comme leurs coreligionnaires.
Enfin, un effort très spécial a été réalisé dans le domaine de la pastorale catéchétique des personnes handicapées. Une approche a été élaborée, adaptée aux divers handicaps, appliquée par des catéchistes et autres, agents pastoraux que l’on a eu le souci de qualifier à cet effet. Une formation aux divers degrés est assurée, en plusieurs pays du monde, aux religieux et aux laïcs qui veulent se préparer à accomplir une telle mission : la formation religieuse des enfants, adolescents et adultes, victimes des divers types de handicaps que nous évoquions plus haut. Pour l’avoir longuement pratiqué moi-même, nous pouvons dire que c’est une mission passionnante et dans laquelle le pasteur, laïque, religieux, prêtre, a conscience de recevoir plus encore qu’il n’apporte. La parole du Christ Jésus lui revient souvent en mémoire: « Je te bénis, ô Père, de ce que tu as caché ces choses aux sages et aux prudents et que tu les a révélées aux petits ». (Matthieu 21,25).

Père Henri Bissonnier
 
3. Pour les Juifs « Le judaïsme et l’enfant handicapé »

Face à l’enfant handicapé, il convient de préciser un certain nombre de points :
Le premier d’entre eux est que l’enfant est pour nous une personne à part entière, d’abord d’un point de vue purement spirituel : il a une âme, et même une âme d’une grande pureté puisqu’on a tendance dans nos sociétés à juger un homme en fonction de ses capacités. Je crois que le judaïsme est un système qui a d’emblée placé la valeur d’un être humain non pas au plan de ses résultats, donc au plan de son pouvoir, mais au plan du sens qu’il avait à l’intérieur d’une histoire. Chaque être humain est créé avec une volonté divine dans une finalité spécifique, c’est-à-dire en d’autres termes que chacun est porteur d’un message. Dès lors, lorsqu’un enfant naît, quel que soit son handicap, il est doué de ce message, ce qui signifie en clair :
– que sa vie a un sens par rapport à lui-même ;
– que sa vie à lui a une signification par rapport au monde qui l’entoure.
Le sens qui lui est spécifique est celui qui consiste évidemment à se réaliser pleinement. Dieu ne juge jamais un homme autrement qu’en fonction de ses propres capacités. Le principe de base, c’est que chacun d’entre nous est appelé à donner ce qu’il a de meilleur. Alors on constate par exemple que ces enfants (il s’agit d’un exemple non exhaustif) ont une approche extrêmement pure des choses, innocente et profonde à la fois. La perversité est absente de leurs actes et de leur pensée, et on constate que ces êtres sont souvent marqués par un sourire, un sourire que beaucoup interprètent comme une niaiserie ou une dispersion, mais qui en fait donne dans la vie une capacité à surmonter ses propres problèmes.
Un enfant handicapé est surtout diminué non par ce qu’il l’est, mais par la place que les autres lui donnent. II est trop souvent mis de côté. II est à part... C’est pour cela qu’il est important de lui donner les conditions de sa propre réussite. II aura alors réalisé le maximum de ce qui est possible pour lui.
Je vous citerai une anecdote alors que j’étais grand rabbin de Marseille : un enfant handicapé s’est présenté pour célébrer sa Bar Mitsva (majorité religieuse à treize ans). Sur le plan moteur et mental son déficit était assez lourd et il a franchi à grand peine les trois marches qui mènent au rouleau de la Torah et qui l’en séparaient, Torah qu’il n’a bien sûr pas pu lire. II a juste cité péniblement les trois phrases que tout adulte récite quand il est appelé à « monter » lire le Pentateuque. Faisant un effort considérable pour tenir alors debout, transpirant toute la sueur de son corps, il réussit à donner le maximum de son potentiel physique et moral, ce qui serait pour nous l’équivalent d’écrire un ouvrage d’analyse philosophique sur le sens de la vie. En ce sens, il a réussi à réaliser ses capacités.
Quand à l’approche du handicapé par rapport au monde qui l’entoure, chaque être humain est porteur d’un enseignement. Cet enfant peut apporter autour de lui un nouveau sens à la vie :

  •  D’abord le sens de l’épreuve. II est vrai que, pour les parents, c’est une épreuve par les soins que va exiger cet enfant, épreuve par le sentiment de frustration que cela va entraîner par rapport aux autres enfants et au monde en général.
  •  Ensuite un sens naturel de la vie, la vie que souvent les adultes compliquent ; la vie qui, peut-être, est aussi simple que comme eux la vivent, avec une nouvelle échelle de valeurs qui va émerger à leur contact, dans leur famille, famille qui va mieux comprendre ce que signifie son existence.

Notre attitude à son égard doit simplement consister à lui donner notre affection, et à recevoir la sienne.
Tout être humain a droit à l’accession au Royaume des Cieux dès lors qu’il n’a pas fait preuve d’une cruauté hors du commun qui le rabaisserait au rang de l’animal. C’est le cas de cet enfant. Il a donc sa place, hors de la dimension charitable.
C’est une interpellation fondamentale sur notre propre façon de vivre. Peu d’êtres humains sont capables d’aller à l’essentiel et ce type d’enfant permet à ceux qui les approchent d’accéder à l’essentiel.
Celui qui n’a pas souffert est incapable de jouer un rôle fondamental dans la société. La souffrance étant le lot commun de l’humanité, être concerné par ce problème c’est peut-être trouver de nouvelles capacités pour aborder le monde en général. Cet enfant handicapé a donc totalement accès à tous les stades de la vie spirituelle comme il est tenu au respect des préceptes religieux, dans la mesure de ses capacités, sans l’étalonner et le juger.
Je me permets d’ajouter une dernière note métaphysique à ce problème : ce type d’enfant a une approche prophétique des choses car il a exacerbé chez lui un certain nombre de sensations. On a souvent considéré ces enfants comme porteurs d’un message fort et profond par leur sens de l’intuition, de la générosité, de l’approche. Ils nous regardent avec une telle naïveté que c’est comme si nous nous regardions au fond de nous-mêmes.

Grand Rabbin Jo Sitruk
(Propos recueillis par le Docteur Sion Sitruk)
(Extrait des n° 19, 20, 21 de Point KT, années 1997 – 1998)