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Babel

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Animation : Discussion collective après la vision du film :  « Babel », film américain de Alejandro Gonzales Inarritu, 2006, durée 2h10’, disponible en DVD. Pour adolescents, à partir de 16 ans (estampillé Tous publics, mais à chacun de voir selon la maturité de son groupe

Disséminés aux quatre coins de la planète, quatre destins vont s’entrechoquer inexorablement. Deux adolescents marocains qui s’amusent avec un fusil alors qu’ils gardent des chèvres dans la montagne, un bus de touristes américains qui passe là au même moment, une jeune japonaise sourde et muette qui tente de trouver ses marques, une nourrice mexicaine aux Etats-Unis qui ne conçoit pas de rater le mariage de son fils, de l’autre côté de la frontière…

Quatre destins entremêlés qui racontent, outre la responsabilité ingénue que chacun peut avoir sur le déroulement de la vie d’inconnus qui habitent à des milliers de kilomètres, les fissures et les tragédies que chacun porte solitairement, sans parvenir à dire, à se dire, à communiquer avec ceux qui pourraient les apaiser…
Dans un premier temps, sans doute serait-il bon de (re)mettre en forme les événements du film, qui ne sont pas en temps linéaire. Comme toujours chez le réalisateur (« Amours chiennes », « 21 grammes »), les histoires se décomposent en puzzle, dans le temps présent et en flash-backs. Recomposer l’histoire du film peut aider à bien comprendre les enchaînements des circonstances.Pistes d’animations et de réflexion :


–    Parler alors des quatre destins évoqués
:

o    Les deux jeunes marocains : leur père leur a confié un fusil pour éloigner les chacals de leur troupeau de chèvre, et ils s’amusent à tirer à tort et à travers pour prouver chacun qu’il est meilleur tireur que l’autre. Ils tirent au hasard sur un car de touristes, une jeune femme s’effondre. S’ensuit une longue enquête de la police et une longue fuite dans un climat de peur terroriste, et l’un de ces presque enfants en mourra, abattu car supposé dangereux. Deux vies gâchées, par ignorance, par inconscience.

o    Le couple d’américains : couple au bord du naufrage, incapables de communiquer depuis la mort de leur troisième enfant, ils sont venus au Maroc pour tenter de sauver leur mariage. Il faudra cette balle perdue, et une longue course aux soins pour qu’enfin ils évoquent le drame qui les a séparé, et laissé chacun dans sa douleur.

o    La jeune fille japonaise : on suit le destin de cette jeune fille sourde et muette  parce que c’est son père qui, lors d’un voyage de chasse au Maroc, avait laissé sur place l’arme qui servit aux deux jeunes bergers. Anéantis par le suicide de leur mère et épouse, ils n’ont jamais pu mettre les mots sur cette mort, et l’adolescente perdue se met à avoir un comportement autodestructeur, cherchant désespérément une communion de corps pour compenser son déficit d’affection.

o    La nourrice : mexicaine sans permis de travail, c’est elle qui s’occupe affectueusement des enfants du couple américain, tandis qu’ils sont partis en voyage au Maroc. Las, le drame survenu là-bas, qui prolonge l’absence des parents, lui interdit d’assister au mariage de son fils de l’autre côté de la frontière. Elle prend pourtant le risque d’emmener les enfants avec elle, et la fête est merveilleuse… Mais le chemin du retour dérape au poste frontière, et elle se retrouve à errer dans un no man’s land désertique avec les deux enfants qui, sans eau, sont rapidement à bout de forces. Déchirée, elle devra les abandonner pour tenter de trouver des secours. Les enfants seront effectivement sauvés, mais pour elle, son rêve américain prendra brutalement fin.


–    Réfléchir aux points communs de tous ces personnages, au-delà de toutes leurs différences
  

Devant cette véritable cascade de drames, on ne peut que se sentir impuissant, et en empathie avec chacun, car si certains portent une responsabilité inconsciente dans le drame des autres, aucun n’est véritablement coupable de quoi que ce soit. Tous sont victimes de tragédies qui échappent à leur emprise, et chacun se mure dans sa douleur et son désarroi, incapable de trouver les mots pour communiquer. Qu’importe leurs différences, de culture, de langue, tous se ressemblent dans leur fragilité humaine, et leur solitude.

A l’heure où le monde fonctionnent en réseaux, où l’information est instantanée, où les paroles sont multiples et omniprésentes, où les slogans sont uniformisés, le film montre un monde pourtant éclaté où, si les êtres et les informations circulent à profusion, la parole individuelle n’est plus entendue, la communication intime tourne à vide. Car s’ils semble à certains que personne ne les écoutent, force est de constater qu’ils n’écoutent personne non plus…


–    Se poser la question des véritables frontières ?
 

Le réalisateur veut montrer que l’humanité est une, malgré les différences de communication. Il voudrait proposer un monde plus juste et égalitaire, mais il n’est pas dupe de son discours humaniste : les protagonistes des pays riches s’en sortent au final bien mieux que ceux des pays moins favorisés, dénonçant par là la peur du terrorisme, la brutalité policière, le drame des frontières. Le réalisateur n’a pas de solution, il ne peut que se contenter de montrer : devant l’autre, il y a toujours de la méfiance, des parti-pris, des idées reçues, des peurs, et finalement les hommes ne se comprendront jamais.
Les véritables frontières sont intérieures, et celles-ci sont infranchissables. Le réalisateur voudrait pourtant espérer, au milieu de cette cacophonie ; le sous-titre du film, dans la bande-annonce, dit : « Si vous voulez être compris… Ecoutez ! ».
D’où le titre que le réalisateur a choisi, dénonçant la multiplicité des langues et des langages, où personne ne peut plus se comprendre, et s’enferme dans son propre mode de survie.

–    Babel, malédiction ou bénédiction ? 

Rappeler aux jeunes le mythe de la tour de Babel, qu’ils connaissent sans doute (Genèse 11, 1-9).
Le réalisateur a choisi ce titre en relisant cet épisode biblique, pour la « malédiction » que Dieu a lancé à cette terre qui avait « la même langue et les mêmes mots », mais dont les habitants voulaient se faire un nom par eux-mêmes en construisant une tour qui atteindrait le ciel, dans le dessein de se rendre égaux à Dieu, plutôt que de se placer sous sa bénédiction.

Aussi Dieu différencia-t-il leur langage, de sorte qu’ils ne se comprenaient plus, et furent ainsi dispersés sur toute la surface de la terre.

Pourtant, ne pourrait-on pas voir cet épisode de façon positive, et voir dans la différence une bénédiction et une richesse ?

Au lieu d’être uniformisés, de parler tous la même langues, employant touts les mêmes mots, voilà que les êtres humains deviennent dissemblables, tout en gardant le plus grand des biens communs, leur humanité. Certes, cette différence de langues et de langages demandent alors des efforts pour comprendre et se faire comprendre, mais c’est bien la plus grande aventure humaine et le plus grand défi, depuis les débuts. « Babel » nous rappelle magnifiquement que cela est difficile, mais nous en démontre l’urgence : « Si vous voulez être compris… Ecoutez ! »… Élémentaire, non ?!  A nos oreilles !