Point KT

Un Dieu inattendu, des témoins insolites

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Jésus était-il fantaisiste ?
Mais déjà la question n’est-elle pas un peu trop inconvenante même si l’on songe à la manière dont l’histoire se termine ? Passion, mort et résurrection, c’est tout sauf fantaisiste, et l’histoire humaine penche plus naturellement du côté de la tragédie et de la gravité que du côté de la comédie et de la légèreté. Alors parlant de fantaisie, s’agit-il de trouver un énième recours pédagogique pour « séduire–brancher » nos chères têtes blondes en leur montrant que la Bible, ce n’est pas si… pesante… après tout ?

A moins qu’il s’agisse de cultiver un état d’esprit, où amour peut rimer avec humour, respect avec liberté, tradition avec création… Car si la fantaisie s’avère parfois dangereuse, entre la folie d’une imagination débridée et l’insoutenable légèreté du bel-esprit, ne faut-il pas affronter ce danger, qui recèle d’infinies possibilités et richesses ?

Les prophètes : appelés, ils répondent
En effet, la fantaisie nous entraîne, par son étymologie grecque, puis latine, vers « l’apparition, l’image qui s’offre à l’esprit, d’où imagination, vision. » Alors on devrait pouvoir dire que les ahurissantes expériences des prophètes bibliques relèvent d’une formidable fantaisie, si l’on n’avait associé à ce mot un parfum de mensonge, ou de charmante superficialité.

Fantaisie pourquoi ? Parce que le poids terrible de leur destin, destin qu’ils partagent avec leur peuple, se conjugue avec l’évidence de leur vocation et la force de leurs visions. Appelés ils répondent, ils accomplissent des gestes et des actes qui, sous le qualificatif de symbolique, expriment le renversement possible de notre logique humaine.

De fait, ils secouent la gangue muette de l’histoire pour parler avec Dieu, pour parler de Dieu, et quel que soit le lyrisme tonitruant de leurs propos, ils transforment le sang, la désespérance, et l’anéantissement en mots. C’est à dire la mort en vie.

Un enseignement pour le moins original
Pour cela Jésus lui-même peut être revêtu du qualificatif de fantaisiste, autant par ses détracteurs qui voient en lui un fou menaçant pour l’ordre établi, que par ses amis et sympathisants, qui seront sensibles au caractère insolite de son enseignement, et à tous les signes inconcevables qu’il pose, face à la douleur, au manque, à la maladie, à la mort.

Car enfin rejeter la famille, gaspiller du parfum, changer l’eau en vin, marcher sur l’eau, nourrir les foules, et même guérir des possédés, des paralytiques et des aveugles… Est-ce bien sérieux ? Le Fils de Dieu n’a-t-il pas autre chose à faire que d’arpenter la Galilée et la Judée pour y colmater au jour le jour les brèches de la réalité et y provoquer les gens sérieux ?

Un héritage à réinterpréter
Or cette liberté inventive de Jésus, placée sous le signe de son intimité quotidienne avec Dieu son Père, mais aussi avec les hommes, nous sommes chargés de la découvrir, de l’interpréter, de la commenter, mais aussi de la recevoir en héritage et donc de la vivre.

Liberté du chrétien, en actions, en expression, en idées, en gestes, en projets, en utopies.

Le mot fantaisie signale peut-être cette capacité qui nous est offerte d’opérer un glissement, un pas de côté, une pirouette par rapport à la réalité, et aussi par rapport à la lettre du texte, non pour les fuir ou les nier, mais pour les attaquer sous un autre angle, avec les armes, parfois saugrenues, souvent toutes simples, de l’imagination.

Petits scénarios de la vie quotidienne, mots en farandole, objets impertinents, rencontres imprévisibles… mais faciles à prévoir, le réel nous offre mille outils et dix mille images pour aller au cœur de l’essentiel, pour conjuguer le présent de nos existences à l’éternité de la Parole.

Dans le cadre de l’enseignement biblique et catéchétique, la fantaisie peut apparaître parfois comme une extravagance, mais pourquoi pas s’il s’agit de prendre le raccourci qui conduira à une compréhension plus juste et plus vécue de l’Evangile ?

Pensons à cette ultime fantaisie d’un Jésus passe-muraille qui, après l’épisode du chemin d’Emmaüs, vient casser une graine avec ses disciples et leur annoncer la venue de l’Esprit Saint.

Cela nous autorise, certes, à une certaine imagination dans l’expression de la foi.

Florence Taubmann, Archives Point KT n° 24, Octobre, novembre, décembre 1998