La compassion dans la Bible : un sentiment capable de faire des miracles lorsque nous le laissons agir en nous… Sixième et dernier article d’Hervé OTT de la série « Les émotions dans la Bible » diffusée avec l’autorisation de www.reforme.net
La compassion est peu évoquée par les chercheurs comme émotion, ils préfèrent parler de l’amour (1). Pourtant, selon notre distinction, l’amour est un sentiment et non une émotion, car il s’inscrit dans la durée. Si l’on reprend la différence entre « éros » (désir), « philia » (amitié) et « agapè » (affection, tendresse), on voit bien que c’est ce dernier terme qui se rapproche le plus de la compassion. C’est l’émotion qui va mettre en œuvre des gestes, des actes, pour venir en aide à un être vivant démuni (plante, animal, humain) : réaction spontanée de la mère ou du père pour leur petit enfant, de toute personne face à un être qui souffre.
On a pu repérer qu’il y a une expression du visage universelle face aux enfants : sourire tendre, relâchement des autres muscles, accompagnement abaissé du regard vers la personne concernée, et parfois une inclinaison de la tête sur le côté. Ces expressions n’ont rien à voir avec celle de l’amour « éros » (2). Si toutes les civilisations n’ont pas su identifier cette émotion, c’est dans le bouddhisme qu’on en parle le plus. Il y a sans doute dans la civilisation judéo-chrétienne une réaction au discours sur la « pitié » qui fait rejeter spontanément cette réalité de la compassion (3).
Compassion et sympathie
« Compassion », selon le latin, « sympathie », selon le grec : on n’aurait pas idée de leur donner le même sens. Et pourtant, ce sont bien les personnes pour qui nous avons de la sympathie qui sauront nous émouvoir en situation de souffrance ! Et pour pouvoir accéder à sa compassion, il faut avoir fait le vide de colère, de peur ou de honte. Quand on a fait ce vide, on peut accepter d’entendre la souffrance de l’autre sans se sentir menacé ni obligé de le juger ou de le conseiller. C’est pourquoi le psychologue américain Carl Rogers a créé le concept « d’empathie » comme capacité à rester sensible à la souffrance de l’autre sans chercher à se mettre à sa place. Pour ma part, je distingue la « solidarité non partisane » avec les victimes de situation d’injustice de la « solidarité partisane », laquelle reste chargée de colère contre les présupposés « agresseurs ». Compassion, empathie, solidarité non partisane sont des expressions de l’amour libéré de la colère et de la peur.
(1). Dans Spinoza avait raison. Joie, tristesse, le cerveau des émotions, éd. Odile Jacob, 2003, A. R. Damasio parle de la compassion et de la sympathie comme « émotion sociale » et reconnaît qu’on peut déjà en attester la présence chez les mammifères.
(2). La force des émotions, F. Lelors, C. André, éd. Odile Jacob.
(3). Chaque fois que je parle de la compassion dans mes séances de formation, il y a une réaction négative car elle est associée à la pitié.
Le Dieu compatissant et miséricordieux
On trouve dans le premier Testament toute une série de mots pour exprimer la compassion, la tendresse, la miséricorde, la pitié, la grâce, la bienveillance, et le fait d’épargner quelqu’un. Traduits de façon très irrégulière, il est difficile de s’y retrouver :
– « épargner » la vie de quelqu’un, avoir de l’égard pour lui (Ex 2, 6 à propos du bébé Moïse). Il s’agit d’une attitude de protection des prisonniers, des combattants ou de personnes en danger de mort (guerre) ;
– « s’attendrir sur » ou, exprimé négativement, « être sans merci pour », ce qui revient généralement à « condamner à mort » (Es 13, 18 ; Ez 5, 11) ;
– « trouver grâce aux yeux de », « avoir la faveur de », « être bienveillant », tiré du mot « grâce » (Ex 3, 21). Cette forme verbale est très présente dans les psaumes. Elle signifie à l’origine « se pencher vers » et suppose que YHWH-Dieu, entendant la « supplication » des hommes (Ps 86, 6, mot formé de la même racine), se penche en avant et y répond : c’est la vision traditionnelle des religions ! Ce mot suppose verticalité et distance. Il a été traduit en grec par un verbe (« Kyrie eleison ») qui a donné le mot « aumône ».
Les aveugles s’adressent à Jésus en criant : « Seigneur, fils de David, aie pitié de nous ». Mais sa réaction sera de la « compassion » (Mt 20, 34).