
Le texte publié ici est extrait du cahier d’Évangile et liberté n° 249, mai 2011. Il correspond à un bref résumé de l’intervention remarquable de M. Maurice BAUMANN aux Journées d’Évangile et liberté 2010, à la Grande Motte.
La catéchèse s’inscrit dans cette logique et représente l’un des outils dont les communautés chrétiennes se sont dotées pour répondre à ce questionnement. Si l’on analyse l’évolution de la catéchèse, on remarque clairement le souci des chercheurs et des praticiens d’envisager leur réflexion théologique et pédagogique dans son rapport avec leur temps. La catéchèse est pensée en contexte. Historiquement, cette logique contextuelle s’avérera extrêmement fructueuse et, au fil des siècles, elle s’installera, du moins dans la tradition protestante, comme la dimension fondamentale et indispensable à toute réflexion visant le renouveau de la catéchèse.
1. Le changement de contexte
Durant la deuxième moitié du XXe siècle, un important changement de contexte s’opère dans nos sociétés occidentales. Nous passons d’un contexte homogène à un contexte hétérogène. De quoi s’agit-il ?
- Le contexte homogène
Le contexte homogène se caractérise par une certaine uniformité consensuelle, par des habitudes et des rôles sociaux relativement stables, des transformations lentes et par un certain repli sur soi-même n’accordant que peu d’intérêt à d’autres cultures ou d’autres religions.
Dans ce contexte, le catéchisme suivi par les enfants était relativement proche de celui de la génération des parents ; les modèles, les rôles sociaux et individuels s’inscrivaient dans une certaine continuité.
Bref, le contexte homogène repose sur un système de références partagées peu ou prou par l’ensemble des acteurs de la vie sociale et communautaire. L’éducation religieuse qui s’y développe est de type initiatique. Dans cette perspective, les catéchètes sont des personnes instruites qui enseignent des non-initiés afin de leur donner la possibilité de trouver leur place dans la communauté. Les jeunes membres de la communauté sont appelés à partager les mêmes certitudes que leurs aînés et encouragés à s’approprier l’instrument de navigation que ceux-ci leur proposent.
- Le contexte hétérogène
À l’inverse, le contexte hétérogène est marqué du sceau de la pluralité des références. Les traditions culturelles et religieuses sont multiples. Les jeunes membres de la société sont confrontés à un grand nombre de possibilités.
L’effort d’éducation religieuse ne rime plus avec initiation, mais il s’organise autour de l’idée d’outiller les jeunes membres de la communauté afin de leur donner les compétences et les moyens de construire par eux-mêmes leur vie et leurs convictions religieuses. L’effort pédagogique ne vise plus la conformité mais l’autonomie créatrice. L’enfant n’est plus la pâte molle devant être modelée en conformité avec des exemples existants, mais il devient un sujet auquel on donne l’occasion et la possibilité de choisir les valeurs et les convictions qui lui permettront de construire son instrument de navigation.
2. Une nouvelle socialisation
Le changement de contexte modifie la socialisation des plus jeunes membres de la communauté dans trois directions :
– Premièrement, les jeunes membres de la société ne sont plus confrontés à une seule tradition mais à plusieurs. Ils font des expériences et des rencontres diverses. Une multiplicité de possibilités s’offre à lui pour comprendre et décrypter la réalité.
– Deuxièmement, les jeunes membres de la société multiculturelle apprennent leurs compétences sociales, religieuses et relationnelles dans le cadre élargi de la famille, dans ce qu’on pourrait appeler leur propre tribu. Mais les normes et les valeurs ainsi intériorisées seront rapidement mises en concurrence avec celles d’autres tribus. Cela peut conduire à des incompréhensions réciproques, voire à la confrontation violente. Les jeunes découvrent alors que les diverses traditions impliquent la recherche d’une compréhension de l’autre dans un dialogue non-violent. La différence devient une interrogation légitime qui revendique inévitablement le dialogue et remet peut-être en cause leur propre instrument de navigation.
– Troisièmement, les modèles sociaux traditionnels du contexte homogène étaient porteurs de promesse, dans la mesure où ils avaient fait leur preuve et représentaient une garantie face à l’avenir. En contexte hétérogène, les dérives financières et spéculatives de l’idéologie du libéralisme laissent sceptiques. La promesse n’est plus crédible !
- la relativité des réponses proposées par la société adulte aux questions du sens que leur pose la vie ;
- la nécessité de choisir entre différentes réponses. Ils sont entraînés vaille que vaille dans ce que les sociologues appellent le bricolage biographique ;
- l’importance de l’expérimentation et de la vérification des réponses qu’on leur propose. Ils ne peuvent plus nous croire sur parole mais attendent des propositions dont ils peuvent mesurer la plausibilité.
C’est là, à mon sens, que se situent les enjeux de la catéchèse. Pourrons-nous rejoindre les enfants et les jeunes dans leur questionnement irrémédiablement marqué du sceau de la multi culturalité et de la multi religiosité ?
3. Les défis que la catéchèse doit relever
Le changement de contexte implique une refonte de la catéchèse, j’en évoque trois axes susceptibles de relever les nouveaux défis de la catéchèse :
- La catéchèse : un laboratoire
Par leur socialisation en contexte hétérogène, les enfants et les jeunes sont habitués à la diversité des réponses. Devant leur foisonnement, ils doivent choisir, entrer en débat, devenir chercheurs, s’engager dans une recherche jamais achevée. La catéchèse n’est plus le lieu où l’on explique et où l’on transmet une réponse, il est le lieu où se rassemble une communauté de chercheurs.
- La catéchèse : un libre espace de découverte de sens
Les enfants et les jeunes qui nous sont confiés en catéchèse ne nous appartiennent pas. Nous ne pouvons pas et ne devons pas les fabriquer à notre image. Nous ne pouvons que les aider à se construire eux-mêmes, nous ne pouvons que leur apprendre à se forger par eux-mêmes les convictions qui les porteront dans les énigmes de la vie. Dans ce laboratoire de recherche, nous serons ceux qui mettent à leur disposition les ressources pour les aider à l’émergence de leur « je », nous soumettrons à leur examen critique l’histoire de l’incroyable rencontre entre Dieu et les humains pour qu’ils la découvrent et nous disent quel en est le sens pour eux.
- La catéchèse : un lieu de débat sans violence
Une catéchèse ancrée dans un contexte hétérogène devra immanquablement organiser son espace de telle sorte que le débat, la confrontation entre des réponses différentes, le vivre ensemble se déploient sans violence.
Organisé selon ces trois axes, le laboratoire de recherche de la catéchèse fonctionnera alors aux yeux de ses usagers comme un lieu de vie où il est possible de mesurer au quotidien la plausibilité de l’instrument de navigation que nous offrent les traditions chrétiennes.
4. Profil d’une catéchèse pour notre temps
- L’atelier du conte
Le premier sera destiné aux 5 – 8 ans. Les enfants y découvriront des histoires bibliques mettant en scène la grande histoire de la rencontre entre Dieu et les humains. Les enfants partiront à la découverte de ce trésor narratif dans une ambiance de célébration festive, accueillante et joyeuse. Pour eux ce sont de fascinantes et belles histoires ; n’allons pas gâcher leur plaisir en parasitant les histoires par nos bavardages théologiques d’adultes. Cet atelier pourra être intégré à la communauté paroissiale par le biais d’un culte dominical mensuel.
- L’atelier du langage symbolique
Le deuxième atelier est celui du langage symbolique. Il est destiné aux 9 – 11 ans. C’est l’âge de la découverte curieuse du monde, la période où les enfants interrogent les récits sur leur cohérence par rapport à la réalité. C’est le temps de cette perspicacité implacable qui demande si ces histoires sont vraies, si elles se sont vraiment passées comme on le raconte. Cette démarche est indispensable à une juste compréhension du statut du langage biblique pour qu’il découvre intuitivement un deuxième niveau de langage. Elle représente le passage obligé vers une découverte du sens des récits bibliques.
L’atelier du langage symbolique permettra aux enfants de découvrir la dimension symbolique des histoires bibliques. Une chose reste certaine, si nous refusons à nos enfants cette quête critique, sous le prétexte fallacieux, qu’il ne faudrait pas ébranler leur foi enfantine, alors nous leur aurons menti et leur aurons donné tous les bons arguments pour se déclarer athées à l’âge adulte.
- L’atelier de la vie
Finalement, les jeunes pourront terminer leur parcours catéchétique dans l’atelier de la vie. Cet atelier est le lieu où l’on se retrouvera pour mettre à l’épreuve le trésor découvert dans les deux premiers ateliers catéchétiques. Ce lieu de vie ressemblera à une scène de théâtre sur laquelle on mettra en scène des scénarios quotidiens pour les enrichir et peut-être les modifier à la lumière de scénarios inspirés des récits bibliques.
Dans l’atelier de la vie, les catéchumènes feront leurs premières armes théologiques, ils apprendront à se confronter existentiellement au texte biblique, ils s’exerceront à le confronter à d’autres ressources, à d’autres propositions. Notre tâche ne sera pas de les corriger pour les contraindre à penser et vivre comme nous souhaiterions qu’ils le fassent, mais bien d’organiser et de promouvoir ce mouvement de recherche.
Nous le savons, l’adolescence est aussi l’âge de la prise de distance avec le monde adulte. Il sera donc judicieux que la communauté paroissiale ne s’immisce pas dans cet atelier de vie, mais qu’elle porte simplement un regard amical et intéressé sur lui. Elle a le devoir de signaler aux catéchumènes qu’elle prend leur travail au sérieux. Elle est le forum bienveillant devant lequel se déroule le travail catéchétique.
En conclusion
Crédit : Maurice Baumann, Point KT