Le protestantisme est rétif à l’idée de modèle. Il ne possède pas une liste de « saints » que l’on pourrait désigner comme des figures exemplaires de christianisme et qu’il faudrait imiter.
En principe, il refuse que certains croyants soient, à cause de leurs hauts faits, situés à un échelon supérieur de la foi. Pourtant, ce même protestantisme construit, même sans le vouloir, des figures héroïques spécifiques qui comme toutes figures emblématiques sont à la fois réelles et embellies.
Il y a bien sûr les Réformateurs qui ont pris place parmi les Pères de l’Église ou une femme comme Marie Durand qui demeura trente-huit ans enfermée à la tour de Constance pour cause de religion et qui est un emblème de résistance.
Pensons à deux exemples plus récents : Dietrich Bonhoeffer, pasteur et théologien luthérien qui a pris parti contre le nazisme, qui a participé à un attentat contre Hitler et qui a été exécuté le 8 avril 1945 ; Martin Luther King, pasteur noir américain qui a combattu avec courage la ségrégation raciale par la non-violence et qui a été assassiné en 1968. L’un et l’autre ont été élevés au rang de martyr.
Que l’on songe encore par exemple à Albert Schweitzer dont on sait comment, en parallèle d’une carrière d’organiste et de théologien, il a consacré sa vie aux souffrants et aux démunis en fondant à Lambaréné (Gabon) un hôpital qu’il a dirigé jusqu’à sa mort. Il est également devenu une figure presque légendaire.
Le protestantisme a ses propres modèles. La question n’est pas de s’en défaire, mais de savoir comment nous pouvons les intégrer à une compréhension réformée de la foi et particulièrement dans une logique catéchétique. Répondre à cette question suppose de prendre en considération des éléments anthropologiques et théologiques.
- La nécessaire identification
Pour construire sa propre identité, nul ne peut faire l’économie du processus d’identification. Il faut en mesurer la nécessité mais aussi les risques. Il est vrai que chaque histoire est singulière et que la foi ne peut être simple imitation d’un autre. La construction de notre identité passe néanmoins par le fait de se reconnaître dans des figures auxquelles on s’identifie imaginairement.
Le psychanalyste Sigmund Freud nous a appris, sur ce plan, que l’on aime en l’autre « ce que l’on voudrait être soi-même ». C’est particulièrement vrai de l’enfant qui aime une image idéalisée de lui-même en se projetant sur des personnages auxquels il s’identifie.
Comment la foi chrétienne échapperait-elle à cette logique qui fait partie de notre humanité ? Comment un travail catéchétique ne prendrait-il pas en compte tout un processus d’identification à des personnages ?
Que ces figures soient largement imaginaires n’enlève rien à la nécessité de les intégrer à un trajet personnel et communautaire. D’ailleurs, si chacun considère sa propre histoire, il peut sans peine repérer qu’il y a eu pour lui des modèles qui ont jalonné son cheminement dans la découverte de la foi. Ces figures peuvent être certes des femmes et des hommes qui ont marqué l’histoire, mais aussi souvent et plus modestement des témoins rencontrés au cours de son histoire (pasteur, proche parent, catéchète, etc.).
Au lieu de se méfier des possibles identifications, il faut plutôt les repérer comme nécessaires à un parcours au sein duquel l’événement de la foi peut survenir. Il faut pourtant relever aussi la part de risques. J’en note deux.
– D’abord, si ces modèles ne sont pas, à un moment donné, mis à distance, ils peuvent se révéler très écrasants. Ils le sont d’autant plus qu’il s’agit de figures imaginaires et qu’à s’y comparer, nous nous découvrons forcément en deçà de ces exemples.
– Ensuite, au lieu de cheminer vers notre propre singularité, ces modèles peuvent nous figer dans le sens de ne plus pouvoir penser ou agir autrement qu’eux. C’est pourquoi, c’est toujours un travail que de situer à une juste place en soi-même, dans sa mémoire, des témoins d’hier et d’aujourd’hui qui, sans cela, risquent de masquer le Christ dont ils ont été pourtant les porteurs.
Le processus d’identification est nécessaire, mais il est handicapant quand il fixe un enfant ou un adulte au lieu de lui permettre de se déplacer vers sa propre découverte du Christ.
- L’identité du sujet chrétien
Au cœur des multiples identifications inhérentes à la transmission de l’Évangile et notamment dans le cadre catéchétique, il faut à présent situer la question de l’identité chrétienne. Ici, deux remarques aideront à cerner les principaux enjeux :
– Le protestantisme français, réformé en particulier, constitue un terrain propice à la construction d’une identité religieuse par identification. Le fait qu’il s’agisse d’une minorité, de surcroît marquée par une longue période de persécution et de résistance, a des effets évidents sur la capacité à se reconnaître dans une communauté.
L’histoire du protestantisme fonctionne souvent comme une image idéale à laquelle on peut s’identifier. La vie cultuelle et catéchétique ne peut que tenir compte de cette réalité qui rejoint les multiples quêtes d’identité à l’œuvre dans notre société. Nous serions bien mal inspirés de mépriser ces aspirations qu’il faut au contraire savoir entendre et accueillir.
Toutefois, il importe aussi de signifier que l’identité chrétienne ne se confond pas avec la réception d’un héritage culturel ou spirituel, ni avec le fait d’en porter fièrement les marques d’identité. Elle suppose un événement singulier qui appelle une mort et une résurrection, une rencontre existentielle avec le Christ. Chrétien, on peut le devenir par la foi, mais jamais l’être de naissance ou en prenant simplement place dans une généalogie.
– Cette première réflexion en appelle une seconde. Il y a sans doute à retrouver dans le protestantisme une démarche de « suivance » et peut-être même d’imitation. Mais comment la penser et la vivre en cohérence avec une compréhension réformée de la foi ? La plupart du temps, l’identification porte sur des valeurs ou des modèles éthiques.
Autrement dit, être protestant veut dire se conformer à un comportement ou porter sur soi des marques d’identité dont nous sommes fiers, d’autant plus que cela correspond à l’image que l’opinion ambiante a du protestantisme. Il n’y a pas à s’étonner de ce jeu d’identification qui permet de forger à ses propres yeux, et au regard des autres une image aimable de soi-même, même si cette logique contredit l’Évangile redécouvert par la Réforme : le Dieu de Jésus-Christ est le Dieu qui aime et reconnaît l’être humain indépendamment de ses actes et de ses qualités.
C’est pourquoi, dans ce jeu incessant des images et des identifications, le test est celui d’un contre jeu qui pourrait consister à signifier que l’imitation porte sur la foi et non pas sur les œuvres. L’imitation a pour maxime le « imitez leur foi » d’Hébreux 13,7. Or la foi n’est justement pas un « faire », mais un « recevoir ». L’imitation de la foi de ceux qui nous ont précédés suppose donc de se reconnaître dans ce qu’ils ont reçu et non pas de se conformer à des modèles éthiques. Les modèles offerts ne sont pas ceux qui nous surplombent du haut de leur grandeur ; ils sont ceux qui au lieu de se désigner eux-mêmes indiquent en eux le Christ dont ils vivent.
Crédit : Point KT