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Catéchèse des personnes handicapées

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Images et  symboles pour la catéchèse des personnes handicapées.par Gilles Warnery, pasteur de l’Eglise réformée de France, pendant de nombreuses années, aumônier et catéchète à la Fondation John Bos

Je suis arrivé comme « pasteur catéchète » et simple éducateur spécialisé, sur un terrain que j’avais déjà un peu parcouru au cours d’approches variées (travail auprès de sourds muets, de personnes handicapées mentales, de jeunes délinquants et cas sociaux…). Mais j’avais tout à apprendre quant à la mise en œuvre d’une approche non prioritairement verbale de la catéchèse et c’est donc au contact avec la réalité des «résidents» que j’ai pu constater l’efficacité de ce langage qu’est l’image sous toutes ses formes, pour voler au secours du discours, faiblement efficace parce que trop intellectuel, abstrait.

1) L’image (de soi) dynamique

« Une tunique de fête » est revêtue par les résidents et autres « acteurs » (l’un ou l’autre des 26 à 28 catéchètes que j’avais chaque année comme mes collaborateurs/ trices immédiats) lors des célébrations catéchétiques. Ce vêtement (une même aube tant pour les animateurs que pour les résidents) est une image extérieure qui permet, à qui le porte, de se voir autrement, d’avoir une autre image de soi et de constituer un corps de témoins. Nous avions réalisé une confusion complète des rôles et des personnes par le biais d’un tissu et d’une coupe semblables. Ceux qui venaient du monde des « différents » plus ou moins marginalisés, gagnaient une précieuse nouvelle identité valorisante et mobilisatrice.

Sur l’ensemble des « cultes catéchétiques » réalisés en 16 ans, aucune crise d’épilepsie n’a été à déplorer. Je viens d’évoquer une sorte de guérison ponctuelle, à l’intérieur même d’une situation de handicap. Elle ne s’opérait pas soudain et comme par miracle, même si elle trouvait son plus évident rayonnement au cours des célébrations. Une nouvelle image de soi et des autres, cela s’élabore patiemment au cours de nombreuses séances hebdomadaires dites «de catéchèse », où résidents et catéchètes s’acheminent vers un projet imaginé en commun. II y a un avenir à réaliser, un calendrier à tenir ; plus de piétinement ni pour les malades ni pour les animateurs, mais une préparation graduée, dosée selon le niveau des intervenants. On parle alors d’une pédagogie non linéaire mais en spirale. C’est alors une image de fête collective préparée et réalisée ensemble où chacun a sa place, son « rôle ».

À Noël, une roue de charrette à même le sol sur son moyeu, avec, sur la jante, quantité de bougies formant la couronne du Roi des rois. Symbole utilisé à la place du traditionnel sapin, iI donne à penser, ouvre l’imagination sur de multiples autres symboles, et rayonne !

Combien de temps a-t-il fallu pour arriver à s’approcher d’une bougie allumée, la tenir sans paniquer, pour offrir au public cette image de Jésus-lumière ?

L’action, enfin réussie, sort le malade de sa torpeur, d’un état de prostration proche de la mort parfois, ou du moins de l’état végétatif, grâce à une nouvelle image de soi.

2) L’image est aussi un élément extérieur

Les images musicales et visuelles sont, d’après mon expérience, un «ailleurs » salutaire à condition d’être de bonne qualité… Je pense à « L’Enfant prodigue » de Rembrandt en posters et en diapositives admirablement commentés par Paul Baudiquey, à la peinture de Sœur Myriam (même sujet), aux peintures d’une grande éloquence de Sœur Hildegaard. C’est alors le miracle de l’art qui introduit et conduit la prière. II transporte, transforme et vivifie l’intériorité de l’être.

 3) Images comme moyen de catharsis (purification)

Apocalypse 21 v 1 à 5 : des mots écrits sont brûlés (symboliquement) dans un grand chaudron, parce que les images du mal sous toutes ses formes, sont rejetées parce que porteuses de mort. On les aura nommées, développées préalablement.

Et chaque fois, pour un mot « négatif  » déchiré publiquement au culte et mis dans le chaudron, il y aura en remplacement, deux mots  « positifs » déposés à même le sol, autour du chaudron sous forme de « rayons de soleil « .

Sur le couvercle du chaudron une croix, des fleurs, une bible ouverte et une bougie. Les porteurs des mots « positifs » viennent se placer entre deux porteurs de mots « négatifs ». Les porteurs des mots « positifs » relèvent successivement les porteurs des mots « négatifs » et main dans la main, on prie et chante la prière de saint François d’Assise.

4) Images comme moyen de résurrection, de relèvement

Ce sont là des signes du Royaume, sorte d’anticipation sur une autre vie, mieux, une vie autre, qui commence déjà en pointillés. Je pense à ce « rite » de la parole de bénédiction finale transmise, les deux mains du catéchète sur les mains ouvertes du résident, qui ensuite, croise ses mains sur sa poitrine en disant : Amen ! Pour certains «ouvrir» les mains peut prendre de longs mois !

5) Images comme moyen de reconstruction

L’image comme moyen de reconstruction de la personne, attaquée par le temps ou déstructurée par des ruptures (divorce des parents, accident, handicap profond, crises). A partir d’un éventail de grandes et belles photos symboliques ou posters présentés sans parole, lentement sur fond musical doux, chacun(e) est invité(e) à en choisir un et à dire ensuite le pourquoi de son choix. Un résident connu pour son mutisme total se met spontanément à réciter le Psaume 23 : il avait choisi le poster avec un berger et ses brebis ! On devine l’importance de l’écoute réciproque et respectueuse. Tout ce qui a été dit dans le groupe est noté et repris puis devient prière, avec leurs propres mots.

6) Images comme message et cadeau

Souvent l’image devient alors message, grâce à une prise de parole confirmant ou éclairant l’expression picturale de la conviction. On atteint là une forme d’art et même si le talent n’est guère comparable à celui des grands artistes, on se trouve devant une réalisation du même ordre que celle qui conduit le peintre Munch à son célèbre « Cri », Van Gogh au champ de blé visité par les corbeaux, ou Bosch au fameux tunnel conduisant de l’obscurité de la mort à la lumière de la rencontre avec le Ressuscité, le Vivant.

Là encore, comme le vêtement liturgique, l’œuvre graphique, l’image, la couleur, la photographie, la diapositive, le symbole, l’encens, le chant, la musique, l’aménagement de l’espace… tout cela permet un épanouissement insoupçonné : celui d’une foi incarnée. Mais comme c’est un langage, il faut un vis-à-vis patient et modeste acceptant d’écouter l’interprétation, sans se mêler d’interpréter !

Se cristalliser sur une image (au sens habituel du terme) peut être aliénant et conduire soit au narcissisme soit au fétichisme. L’utilisation de l’image demande donc la même prudence que l’usage des meilleurs vins ! Mais le vin de la fête, n’est-il pas une image récurrente dans la Bible ? N’en restons pas à l’eau… plate de nos prudences. II faut non seulement entendre mais voir, et non seulement voir et entendre, mais VIVRE pour que le message passe, avec l’aide du Saint-esprit qui seul peut ouvrir les esprits et les… cœurs.

Pasteur Gilles Warnery – Information-Évangélisation – Février 2007