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Catéchète jusqu’au bout de la vie !

Lecture de 1 Samuel chapitre 3. Ce récit très connu, est abondamment utilisé en catéchèse, pour dire aux enfants qu’ils sont eux aussi appelés… mais ce texte a-t-il quelque chose à nous dire à nous les catéchètes ? Cette histoire tragique – comme toute l’épopée des livres de Samuel – est riche d’enseignements peut-être justement, parce qu’elle dérange et déplace beaucoup de choses

Je ne vais pas vous parler de Samuel… Dans ce qui précède cet épisode, tout est dit pour montrer le contraste entre « le petit Samuel qui grandit devant le Seigneur », et les fils d’Éli (ou Héli), prêtres comme leur père et qui vivent loin du Seigneur. Tout est dit pour justifier la montée des prophètes et le déclin des prêtres. Mais il reste Éli !

Et c’est sur cet homme que nous orientons le projecteur. Éli était très âgé nous dit le texte précédent (1 Samuel 2, 22). Était-il plus âgé que nous ? Vieillissait-on plus vite à cette époque ? Le jeune Samuel était au service du Seigneur devant Éli qui commençait à avoir les yeux troubles et ne pouvait plus voir … (1 Samuel 3, 2).

Le texte nous parle des yeux d’Éli qui faiblissaient, la vue de ce vieil homme baisse probablement au sens propre et aussi au sens figuré… Mail il reste un homme plein d’expérience et le texte va le prouver… Avec ce peu qu’il lui reste, il sait encore témoigner de sa foi envers le jeune Samuel, qui nous dit-on, ne connait pas encore le Seigneur (1 Samuel 3, 7).

Son attitude envers le jeune Samuel est exemplaire, d’un point de vue catéchétique.

En ces jours-là, ainsi commence l’histoire, Dieu ne se faisait ni entendre ni voir. « La parole du Seigneur était rare en ce temps-là, les visions n’étaient pas fréquentes. La période n’était pas propice. Et pourtant la lampe de Dieu dans le sanctuaire n’était pas encore éteinte (1 Samuel 3, 3). »

Premier constat : même quand il n’y a plus rien, ou presque plus rien, il y a toujours quelqu’un de fidèle quand même, quelqu’un qui maintient la lampe même s’il ne sait plus trop pourquoi, même si la fidélité n’a pas l’air d’avoir de « résultat », de « retour », de bénéfices. La première attitude catéchétique d’Éli est d’être malgré tout, humblement enracinée dans une fidélité d’autant plus courageuse qu’il ne se passe rien pour lui, rien dans le temple, rien en Israël en ces jours-là. Il est seulement fidèle un peu comme l’histoire de l’allumeur de réverbère dans « Le petit prince ». (cf. la méditation de Frédérique Dugas ).

J’ai entendu dire : « Je ne suis pas comme le petit Samuel à qui Dieu parle directement ». Sur le moment, je n’ai pas réagi. Mais aujourd’hui, je me dis : « c’est faux, Dieu ne parle pas à Samuel directement, puisque Samuel ne comprend pas. Puisque Dieu ne continue pas sa phrase. Dans ce texte, Dieu est bien trop au courant de tout pour savoir que Samuel ne comprendrait pas sans l’intervention d’Éli. Par habitude ou par confiance, Samuel va donc voir Éli. Il va le réveiller.

Deuxième constat : il n’y a pas d’apprentissage sans une relation qui s’est établie au préalable.

Bien sûr le catéchète, comme Éli, n’est pas d’emblée au top, n’est peut-être pas très fiable, ne comprend pas tout, tout de suite. Ça ne fait rien. Dieu insiste et j’allais dire, Dieu assiste aussi Éli. Il insiste jusqu’à ce que, non pas Samuel, mais Éli comprenne la situation.

Éli n’a jamais été quelqu’un de très prompt, de très rapide, pour comprendre les affaires de la foi, les démarches spirituelles – déjà, souvenez-vous, il avait cru que Anne, la mère de Samuel était ivre alors qu’elle priait… – mais il a un atout : sa confiance en Dieu, en Dieu qui accomplira. Et cette confiance est d’autant plus bouleversante qu’il l’accorde à Dieu même quand un homme de Dieu est déjà venu lui annoncer la ruine et la malédiction de sa maison. En ceci, Éli est vraiment exemplaire.
Sans Éli, Samuel n’aurait jamais compris que Dieu voulait lui parler. Une dernière fois, Dieu utilise les services d’Éli pour installer Samuel dans l’écoute.

Troisième constat : Catéchèse veut dire « faire écho », ici c’est Éli qui répercute l’écho. Même incompétent dans ses fonctions, Éli est encore catéchète. Il sait discerner non pour lui-même, non pour ses proches, mais pour les autres.

Nombre de personnes, nombre de grands-parents dans nos églises se découragent que leurs enfants ou petits-enfants ne suivent pas de catéchisme. Ils ne doivent pas se sentir en échec, car ils sont peut-être appelés à être disponibles pour ceux qui ne sont pas forcément proches par les liens du sang, comme Éli avec Samuel. Et… parce qu’ils ne sont pas Éli (quand même !) ils ne récolteront pas la malédiction sur leur maison. Il y a toujours un avenir même si ce n’est pas dans sa propre maison. Le catéchète est donc invité à élargir sa maison, ou à sortir de « chez lui », car la maison est seulement là où se fait entendre et recevoir la parole de Dieu.

Enfin, je me suis demandé : qu’est-ce qui autorise Éli à demander à Samuel la parole que lui a dressée le Seigneur ?
Le pauvre Samuel découvre bien jeune le rude « privilège » d’être prophète, de mettre en face de la réalité même si celle-ci n’est ni confortable, ni rassurante…
Pour Éli, est-ce un abus d’autorité ? Ou bien, devinait-il la teneur de ces paroles et voulait-il les entendre? Ou de toute façon, comme il ne comprenait plus grand chose, était-il à des lieues de s’en douter ? À la limite, peu importe…. les motivations d’Éli.
Si Dieu a parlé à Samuel, ce n’est pas pour que Samuel cache sa parole. Il doit parler. Et là encore, Éli est indispensable. C’est un véritable maïeuticien, un accoucheur dirait-on aujourd’hui !

Éli exige la parole. Éli écoute. Éli prend au sérieux la parole que transmet Samuel. Même si ce n’est pas sans conséquences pour lui !
Là encore, je trouve qu’Éli est un catéchète exemplaire, même si nos situations sont moins tragiques.
Nous sommes là parfois pour extirper chez les jeunes, ce qui est informulé, informulé par crainte, crainte d’exposer une conviction, une question. Ce n’est pas toujours confortable. On peut en prendre « plein la figure », comme on dit, ça peut nous déstabiliser.  Mais il faut accepter comme Éli que c’est ainsi que Dieu travaille notre foi à nous aussi.

Quatrième constat : il y a un temps pour chaque chose, mais la relation catéchète-catéchumène porte du fruit quand elle est réciproque comme Éli envers Samuel, comme Samuel envers Éli. Même s’il peut y avoir de l’affectif comme Éli qui dit « mon fils » à Samuel, cette relation est fondée d’abord sur le lien qui la traverse et qui la nourrit, la parole de Dieu. Ou bien pour le dire autrement : Dieu seul justifie la relation catéchète-catéchumène.