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Viatique pour catéchètes

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On déplore couramment que l’expérience des parents, des grands-parents, ne sert pas aux enfants …Conseils, exemples, mises en garde, leçons de morale…à l’intention des plus jeunes tombent bien souvent dans le vide. Si l’expérience, la sagesse des anciens ne servent pas beaucoup aux plus jeunes, si la foi de ceux qui nous précèdent est intransmissible, si elle devient comme étrangère à de plus jeunes qui ne la partagent pas… Y-a-t-il quelque chose à faire quand même ? Nous venons de vivre une bonne trentaine d’années de renoncement en la matière. On a détesté les mots « morale », « hypocrite » ou « autoritaire ». On a préféré parfois le mot éthique, jugé plus chic !

Concernant la foi, c’est presque devenu un dogme dans notre protestantisme réformé, qu’elle ne se transmet pas. C’est une affaire personnelle. Et la réalité nous a souvent montré que de deux enfants d’une même famille ayant eu la même éducation, la même instruction religieuse, l’un croit et l’autre non. La foi personnelle relève de la relation de l’individu avec Dieu.

Si l’expérience, la sagesse des anciens ne servent pas beaucoup aux plus jeunes, si la foi de ceux qui nous précèdent est intransmissible, si elle devient comme étrangère à de plus jeunes qui ne la partagent pas …y-a-t-il quelque chose à faire quand même ? Eh bien oui, dans tous les cas ! Et heureusement que nous catéchètes, nous y croyons !

Il reste à faire ce que les humains ont toujours fait, ou du moins depuis un temps immémorial : raconter ! Raconter des histoires. Raconter son histoire, celle de ses parents, de ses grands-parents. Et de la même manière raconter l’histoire de Dieu, l’histoire d’Abraham d’Isaac et de Jacob, celle de Moïse, celles des prophètes, celle de Jésus et de ses disciples…Raconter inlassablement des histoires qui enchantent, qui posent question et qui donnent sens à nos vies.

Pour insister un peu lourdement sur cette nécessité vitale de raconter des histoires, je vais vous en raconter une, qui nous vient de la tradition juive.

On dit que le Baal Shem-Tov, qui était un grand maître spirituel du 18ème siècle en Lituanie, chaque fois qu’un grand malheur était sur le point d’arriver, partait dans la forêt, à un endroit qu’il connaissait. Et là il allumait un grand feu et il disait une prière.Et le monde était sauvé.

Après lui son disciple, faisait de même, mais il ne savait plus dire la prière, il se contentait donc d’aller dans la forêt à l’endroit voulu et d’allumer un grand feu. Le monde était encore sauvé.

Après lui, son disciple se souvenait uniquement qu’il devait aller dans la forêt, il ne savait plus où exactement, il avait oublié comment allumer le feu et il ignorait les mots de la prière. Il se contentait donc de dire à Dieu qu’il savait qu’il avait oublié tout cela et il lui demandait, malgré tout, de sauver le monde. Et cela advenait.

Après lui son disciple ne savait plus où était la forêt, alors il se contentait de raconter l’histoire du Rabbi Israël Baal  Shem Tov et il demandait à Dieu de sauver le monde parce qu’il se souvenait encore de l’histoire.Son propre disciple savait qu’il ne savait même plus raconter l’histoire mais, malgré tout, il demandait à Dieu de sauver le monde parce que, si quelqu’un lui racontait l’histoire, il savait qu’il la comprendrait encore.

Mais après lui son disciple savait bien qu’il était trop tard et qu’il ne comprendrait plus l’histoire si on la lui racontait, malgré tout il s’adressait encore à Dieu et il lui disait : « Seigneur maître du monde, sauve le monde parce qu’il reviendra un jour un homme qui saura où est la forêt, qui retrouvera l’endroit, qui saura allumer le feu et qui dira la prière. » Et le monde était sauvé !

Pourquoi je vous raconte cette histoire, De quoi nous parle cette histoire ? Elle nous parle de transmission. Elle  nous parle d’oubli. Elle nous parle de fidélité. Elle nous parle de courage et de confiance. Elle nous parle d’espérance. Elle nous parle, elle peut nous parler, de nous-mêmes …de nos héritages, de nos difficultés, de nos désirs, de nos échecs, de notre persévérance…Et de notre avenir, c’est-à-dire de l’avenir de ceux qui seront après nous.   Et c’est important. Et c’est essentiel.

Alors il faut continuer à raconter, même si comme le disciple du disciple du disciple ….il y a un moment où nous ne sommes plus tout à fait assurés de savoir, ou de pouvoir le faire !Mais que raconter ? Quelle histoire, quel récit transmettre à nos enfants et aux enfants de nos enfants. Et à d’autres enfants qui ne sont pas nos enfants par la chair, mais qui le sont par l’esprit ? Le psaume dit : «  Nous avons entendu parler des événements d’autrefois, nous les connaissons. Nos parents nous les ont racontés, nous ne les cacherons pas à nos enfants. »

De quoi s’agit-il et comment le comprendre pour nous-mêmes ? Dans le contexte de la Bible il s’agit évidemment des événements bibliques, des péripéties du peuple hébreu avec son Dieu. Car Dieu a parlé, Dieu s’est manifesté, s’est révélé dans cette histoire. Et si on l’étend au Nouveau Testament il s’agit aussi de l’histoire des femmes et des hommes qui ont rencontré Jésus le Christ.  Il s’agit de la naissance des premières communautés chrétiennes et de  l’Église. Car pour les chrétiens Dieu s’est incarné dans cette histoire. Il a pris chair. Il faut donc vraiment réaliser que cette histoire est en même temps celle de Dieu et celle des hommes. C’est une même histoire, à la fois divine et humaine. Celui ou ceux qui racontent cette histoire ne racontent donc pas seulement des faits divins, ou des faits lointains, mais ils racontent leur propre histoire.Car c’est dans leur propre histoire humaine que Dieu a parlé, c’est dans l’histoire des hommes que, d’un point de vue chrétien, Dieu s’est incarné.

Donc même si, comme les disciples  du Baal Chem Tov, on a tout, ou presque tout oublié, même si on ne connaît plus le lieu dans la forêt, même si on ne possède plus les mots de la prière….en réalité rien n’est perdu, d’abord parce que nos très lointains ancêtres ont pris la peine d’écrire tout cela dans un livre : la Bible.

Mais aussi parce que tout cela est gravé dans notre chair, dans nos gènes en quelque sorte. C’est notre patrimoine spirituel. Et si nous-mêmes n’en possédons plus la connaissance ni les clefs, si nous-mêmes ne lui accordons plus d’importance ou de prix…nous savons, ou nous devons savoir que toujours vient quelqu’un d’autre, toujours viennent de nouvelles personnes qui elles …s’enchantent d’apprendre à quel endroit il faut se rendre dans la forêt, comment il faut raconter l’histoire et allumer le feu, quels sont les mots de la prière….

Nous racontons à nos enfants  et aux enfants qui ne sont pas nos enfants selon la chair mais selon l’esprit, l’histoire de Dieu et des hommes. Les histoires de la Bible, les histoires d’Abraham, Isaac et Jacob, de Moïse,  des prophètes et des rois, les histoires de Jésus et de ses témoins à travers les siècles…

Car ces histoires ne sont pas des contes à dormir debout, ni des légendes pieuses. Mais ce sont nos histoires. C’est notre histoire, notre héritage. C’est le feu que nous pouvons allumer dans nos foyers, dans nos familles, dans nos groupes d’enfants pour éclairer leur vie.Mais ce n’est pas tout, il est également vrai que notre histoire à nous, notre histoire profane en quelque sorte, est également une histoire qui se passe, ou qui s’est passée devant Dieu.

Histoires de la Bible, histoires plus personnelles, histoires familiales, histoires de peuples, histoires d’Église, tout cela nous devons le raconter.

« Ainsi les générations qui viennent, les enfants qui vont naître, connaîtront ces histoires et les raconteront à leurs enfants.

Et les enfants de leurs enfants pourront mettre leur confiance en Dieu.

Ils n’oublieront pas ses exploits, ils obéiront à ses commandements. »

Certains disent parfois : « Nous ne pouvons rien transmettre, car nous-mêmes n’avons pas la foi, nous ne croyons pas en Dieu. »

« Sauve le monde, disait à Dieu le dernier disciple, parce qu’il reviendra un jour un homme qui saura où est la forêt, qui retrouvera l’endroit, qui saura allumer le feu et qui dira la prière. »

Et le monde était sauvé ! Et le monde est sauvé ! Et le monde sera sauvé ! Et quand le monde est sauvé, ce n’est pas seulement pour ceux qui croient et qui savent, mais pour tous sans exception !

Car si dans nos familles, dans nos communautés, dans nos groupes de caté, et ailleurs, nous retrouvons le fil du récit, et la simplicité de cœur nécessaire, alors nous recevrons l’Esprit dont parle l’Évangile, cet Esprit qui donne sens à nos paroles et à nos vies en les pénétrant de l’amour de Dieu, cet Esprit si puissant et lumineux qu’il nous accorde comme une nouvelle naissance.