Point KT

Faire le deuil dans la Bible, une expérience spirituelle

image_pdfimage_print

Dieu n’est pas venu supprimer la souffrance, Il n’est même pas venu pour l’expliquer Il est venu pour la remplir de sa présence. (Paul Claudel)

Si toutes les civilisations ont apporté des réponses qui aidaient à faire le deuil, il semble que l’occident d’aujourd’hui ne sache plus le faire.
Notre société en valorisant plaisir, jeunesse et performance refuse la douleur. Par ailleurs, trop souvent, les chrétiens convertissent l’espérance de la résurrection – comme modalité d’être de notre vie -, en l’espoir d’un être de la vie après la vie dont la prétendue certitude suffit à effacer que d’abord « nous  sommes au monde », en essayant d’évacuer ainsi la douleur et la souffrance devant la mort.

Grâce à la prise en compte de la psychologie, nous savons que si la mort d’un proche paraît sans remède, le temps passant l’endeuillé va pouvoir rire à nouveau, si toutefois s’est accompli ce qu’on appelle le « travail de deuil ». Véritable travail psychologique qui nous permet de donner une place au disparu dans nos souvenirs, pour surmonter la perte.

Une lecture attentive de la Bible peut nous amener à comprendre comment faire face aux drames qui accompagnent le mouvement même de la vie. En effet, à travers de nombreuses figures, la Bible nous montre qu’il ne faut pas occulter la mort et qu’il est important de savoir montrer sa souffrance, de savoir se séparer. Les hommes et les femmes de la Bible ne sont pas des « super héros » revêtus d’une cuirasse qui les protègerait des sentiments : ils souffrent, ils pleurent, ils se révoltent contre la mort.

  • Abraham
C’est le premier des patriarches qui nous montre la voie : « Abraham célébra le deuil de sa femme et la pleura » (Gen 23 / 2). Lorsque Sarah meurt, à l’âge de cent vingt-sept ans, Abraham pleure, et il va acheter un champ afin de pouvoir enterrer sa femme dans une grotte. Cet achat hautement significatif confirme l’installation de son clan en terre de Canaan, et permettra aux générations suivantes de faire mémoire.

Abraham rejoindra Sarah trente huit ans plus tard. Isaac et Jacob seront aussi enterrés dans cette grotte. Ce tombeau des patriarches encore si important, près de quatre mille ans après, dans les traditions juives chrétiennes et musulmanes.

  • Moïse

Quand Moïse sent sa mort proche, il ne va pas partir sans organiser sa succession et faire un long discours d’adieu (Dt 31-33). C’est ainsi qu’il aide son peuple à surmonter la douleur que sera sa mort. Ce peuple qui va observer un rite de deuil, qui lui permet d’accepter cette séparation : « les fils d’Israël pleurèrent Moïse dans les steppes de Moab pendant trente jours. Puis les pleurs pour le deuil de Moïse s’achevèrent. » (Dt 34,8). C’est le Seigneur qui enterre Moïse, dans cette même vallée de Moab, le lieu de sa sépulture demeurant ainsi inconnu « jusqu’à ce jour » (Dt 34,6), ce qui évite la dérive qui consisterait à rendre un culte à l’homme Moïse au lieu de faire mémoire de sa parole.

  • David

À la mort de Saül et de Jonathan, après avoir fait respecter une période de deuil, David dans son affliction nous offre un des plus beaux poèmes de la Bible : une élégie pour deux guerriers (2 Sam 1, 17-27). Les auteurs de la Bible ne craignent pas de nous montrer l’abattement du plus grand roi d’Israël. L’Ancien Testament, dans son travail de relecture du passé pour le présent, ne sert-il pas non plus à consoler un peuple entier ? à lui permettre de faire son deuil et d’affronter une nouvelle situation ?

  • Jésus

C’est Jésus dans toute son humanité que nous voyons souffrir face à la mort, que ce soit la mort de ses proches ou sa propre mort :

– douleur de la perte d’un ami comme Lazare à Béthanie, Jésus frémit et se trouble, il pleure Lazare (Jean 11, 33-35). Au cœur de son pèlerinage terrestre, le Fils doit faire l’aveu de l’étrangeté de la mort de l’autre pour lui. Et les larmes qui s’ensuivent ne proviennent pas de l’amertume ou de l’échec comme peuvent le croire ses détracteurs, mais de la souffrance, souffrance qu’il ne craint pas de montrer, de nous montrer ;

– angoisse devant sa propre mort. À Gethsémani il nous dit « Mon âme est triste à en mourir.» (Marc 14, 34). Cette angoisse tellement humaine face à notre finitude, Jésus lui-même en fait l’expérience ;

– sur la croix Il crie avec les mots du psalmiste, toute sa douleur, voire sa révolte : « Mon Dieu, mon Dieu pourquoi m’as-tu abandonné ? » (Mat 27, 46 ; Mc 15, 34 ; Ps 22, 2). Ainsi, le Christ, loin de condamner notre condition, la consacre et la transforme en habitant jusqu’au bout son angoisse.

– Quand Jésus-Christ ressuscité, trouve Marie pleurant au tombeau, il ne lui demande pas d’arrêter ses pleurs, il la rejoint dans son affliction avant de révéler sa présence. À travers les expériences de Jésus devant la mort, nous touchons le mystère de l’incarnation : Jésus, même s’il a l’assurance de sa victoire sur la mort nous montre, qu’en être humain de chair et de sang, il est bouleversé par le tragique de la mort. Ce tragique que nous essayons aujourd’hui d’évacuer de notre quotidien.

À la suite du psalmiste, nous pouvons dire à Dieu notre peine et notre révolte face à une mort qui nous apparaît toujours cruelle et parfois injuste. S’interdire de montrer notre douleur à Dieu et aux autres va empêcher la progression du « travail de deuil ». Dieu aussi a pleuré, sans pour cela perdre sa toute-puissance. Car paradoxalement, comme nous le dit l’apôtre Paul la toute-puissance du Père se révèle d’autant plus que sa force se manifeste dans sa faiblesse et sa sagesse dans sa folie (1Cor 1, 25).
C’est aussi en acceptant la mort que nous pouvons annoncer la résurrection, qui n’est pas une sorte « d’assurance vie » après la mort, mais la Vie en Jésus-Christ dès aujourd’hui.

Crédit : Point KT