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Fête de la réforme, notes historiques et théologiques

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Fêter la Réformation avec les enfants, leur parler de Luther, c’est essayer de répondre à une de leurs questions légitimes et élémentaires : pourquoi sommes-nous « protestants » et non « catholiques » comme d’autres chrétiens ? Où est la différence qui justifie que pour les cours de religion, les catéchismes, les cultes et tout ce qui concerne Dieu, Jésus et notre foi, nous soyons séparés de nos camarades de classe et de jeux ?La réponse se fait à deux niveaux :

  • Il y a l’événement historique qui, entre 1517 et 1530, fait éclater l’Église catholique et donne naissance aux Églises « protestantes ». Cet événement est marqué et déterminé par un enchaînement de circonstances et les interventions de bien des hommes, dont les préoccupations ne sont pas toujours d’abord les vérités de la foi. Mais nous sommes les héritiers de cet événement là, dans ses effets pervers comme dans ce qu’il apporte de vie et de vérité . Car au cœur de l’événement historique, il y a …
  • La redécouverte de l’Évangile, de l’œuvre de Jésus-Christ, et de la vérité de l’amour de Dieu. Cette découverte est le moteur profond de la Réforme, quels qu’en aient été les soubresauts. Et si la rupture intervenue dans l’Église de Jésus-Christ, malgré tous les efforts de dialogue œcuménique, n’a pas été résorbée au travers des siècles, c’est que la fidélité des protestants aux découvertes de la Réforme et la fidélité des catholiques à leur compréhension de l’Évangile n’ont pu – et ne peuvent peut-être pas – se rejoindre.

C’est ce deuxième aspect qui est essentiel dans la démarche de l’école du dimanche, les éléments historiques ne seront développés que dans la mesure où ils permettent d’éclairer les raisons profondes de la Réforme.

La situation de l’Église au moment de la Réforme

On a beaucoup dit que la Réforme était le résultat d’une corruption de l’Église. Beaucoup de dignitaires (cardinaux, évêques, papes) sont en effet issus de familles nobles et se préoccupent plus de pouvoir et de politique que de vie spirituelle.
Il est vrai également que si ces hauts dignitaires sont des gens souvent cultivés et raffinés qui se font les mécènes de grands artistes de la Renaissance, les curés de paroisse et les simples moines n’ont reçu qu’une instruction sommaire. Peu d’entre eux ont accès à l’Écriture sainte, celle-ci étant hors de prix aussi longtemps qu’elle n’est pas diffusée par l’imprimerie.
Il en résulte que la vie de l’Église et la prédication sont depuis des siècles en situation de tradition orale, les récits de la vie des saints, prenant place assez aisément aux côtés de quelques épisodes célèbres de l’Écriture…
Malgré cela –et on l’ignore généralement, la fin du XV et le début du XVI sc sont marqués par un regain de piété et une véritable recherche spirituelle.
Ainsi, le nombre de moines augmente, tout particulièrement dans les ordres mendiants qui s’astreignent à une pauvreté certaine. Même si, inversement, les paysans se plaignent du poids que fait peser sur eux une mendicité à laquelle ils n’osent guère se refuser…
Cette piété est cependant marquée par l’angoisse : les épidémies de peste, les guerres, les troubles et les famines rendent la mort présente et oppressante. Et cette mort qui guette pose à chacun, cruellement, la question de l’au-delà et du jugement de Dieu qui pèse sur lui.
Et l’on retrouve là le problème de la prédication. Celle-ci présente le Christ dans sa gloire comme le juge, sans doute juste, mais tout de même redoutable. Et tout le problème des croyants est de s’assurer que leurs œuvres et leurs vies seront jugées suffisantes par ce juge là et qu’ils n’auront pas à souffrir éternellement en enfer.
C’est cette angoisse devant Dieu qui est alors le modèle de la piété. Et celle-ci peut, malgré toute la sincérité, être dévoyée facilement.
Trois facteurs historiques vont, dans cette situation générale, conduire à la Réforme ou la favoriser.

  • La redécouverte, par les humanistes, des langues (grec, hébreu) et des textes de l’Antiquité : cet intérêt va aussi se porter sur les textes bibliques dans leur langue originale.
  • La situation politique de l’Allemagne : beaucoup de seigneurs allemands aspirent, et leurs sujets avec eux, à se dégager du poids que fait peser sur eux une papauté italienne qui prétend dicter ses volontés à l’Empire allemand. Les débats de la Réforme seront pour eux une bonne occasion.
  • Le développement de l’imprimerie : celle-ci va faire sortir le débat théologique des milieux étroits des universités et des clercs, et diffuser très largement les idées des réformateurs, parfois même malgré eux !

Martin Luther

Il est indispensable de comprendre que Luther n’a jamais voulu créer une nouvelle Église ! Il a été un membre fidèle de l’Église catholique et le serait sans aucun doute resté, si la découverte de l’écriture ne s’était heurtée à la réalité bornée de l’Église de son temps.
En effet, c’est pris dans l’angoisse générale de son temps qu’il décide d’entrer au couvent alors qu’il avait entrepris des études de droit. On sait que cette décision lui vient lors d’un violent orage, où Luther échappe de peu à la foudre. Mais ce n’est pas tant la peur de la mort que la crainte de paraître devant le Juge céleste qui est déterminante. Et rien n’indique que sans cet orage, Luther n’aurait pris, à un moment ou un autre, la même décision.
Et, une fois moine, Luther se coule parfaitement dans la vie de son ordre. La rapidité de sa promotion à l’intérieur de celui-ci, et de ses études de théologie le prouvent. On voit mal ses supérieurs le pousser en avant, lui confier l’enseignement de l’Écriture sainte et la charge de sous prieur, s’ils n’avaient en lui une pleine confiance. La démarche de Luther n’est donc pas celle d’une révolte personnelle.
Simplement, être un bon moine respectueux des règles de son ordre et de l’Église ne suffit pas à Luther pour apaiser sa crainte du jugement de Dieu.
Cet apaisement lui viendra de la lecture de l’Écriture, à laquelle il est astreint par son métier de professeur chargé d’enseigner la Bible.
Sa découverte, c’est qu’aucun être humain ne peut être juste devant Dieu. Tout ce que l’homme peut faire : bonne conduite, dons, offrandes, jeûnes et renoncements, devenir moine ou prêtre, renoncer à tout et devenir pauvre, rien de cela ne rendra jamais juste (Rom 3 :10)
Mais l’homme qui cesse de chercher à s’en sortir par lui-même, d’accumuler des œuvres  pour obliger Dieu à le reconnaître juste et à l’accueillir, l’homme qui se reconnaît au contraire pécheur, incapable de plaire à Dieu et de répondre à ce que Dieu espère de nous, cet homme là découvre que Dieu l’aime, que Dieu ne veut pas sa mort et sa destruction, mais au contraire, sa délivrance et sa vie. Celui qui fait confiance à Dieu est  justifié  par Dieu (Rom 1 :17). La mort et la résurrection du Christ attestent à chacun que Dieu l’aime et ne veut pas tenir compte du péché.
Cette découverte va donner à Luther l’apaisement qu’il cherchait. Sûr de l’amour de Dieu, sûr de son salut, il peut vivre et faire tranquillement son travail. Car la découverte de Luther n’est pas en elle-même une cause de rupture avec son Église, même si cette rupture, en raison des circonstances, sera la conséquence directe de cette découverte du Christ mort et ressuscité pour que soient sauvés tous ceux qui se confient en lui.
En fait, Luther va pouvoir faire connaître sa découverte à travers son enseignement, sans déranger personne et sans être dérangé par qui que ce soit. La difficulté va surgir dans la contradiction absolue entre ce que Luther trouve dans la Bible, et ce qu’il observe de la vie et des pratiques réelles de l’Église.
La question des indulgences
Lorsqu’il ouvre, le 31 octobre 1517, la querelle des indulgences, Luther ne sait pas encore qu’il met en cause toute la vie de son Église.
Pourtant, et c’est facile à dire aujourd’hui, la pratique des indulgences est dans la logique même de la prédication de l’Église à ce moment là de l’Histoire.

  • Le Christ est le juge qui opère le tri entre les bons et les méchants en fonction de leurs œuvres, au terme d’une sorte de comptabilité.
  • Les très bons croyants que l’Église reconnaît comme Saints ont accumulé un surplus de bonnes œuvres et de mérite.
  • Les moins bons croyants, sans être de méchants irrécupérables, se trouvent eux, légèrement en dessous de la barre et il est difficilement admissible qu’ils soient éternellement rejetés.
  • D’où, l’idée d’un purgatoire où ils subissent une peine temporaire.
  • Par ailleurs, l’Église et tout particulièrement le pape disposant du pouvoir des clefs et représentant le Christ sur terre, se trouve à la tête d’un capital important constitué par les mérites des saints. Le pape peut donc inscrire au bénéfice de certains croyants qui auront fait part d’actes de piété remarquable (par exemple les croisés), une part des mérites des saints qui libère ces croyants d’un temps de purgatoire.
  • Or, lorsque la papauté a besoin d’argent pour couvrir ses dépenses –particulièrement importantes au moment de la construction de St Pierre de Rome- c’est aussi faire acte de piété que de donner son argent à l’Église.

Cette présentation, volontairement schématique, n’est pas pour autant caricaturale. Bien des croyants et des autorités de l’Église catholique ont pu entrer dans la pratique des indulgences en parfaite sincérité, et sans besoin ni désir d’exploiter la curiosité ou la peur des peuples. Les même ont pu s’inquiéter des abus qui ont dégénéré en trafic des indulgences. Il est donc essentiel de comprendre que la pratique des indulgences est logique dans une théologie qui fait du Christ un juge, et non plus le Sauveur, un gardien de la morale, et non celui qui apporte la grâce.
Luther va se trouver confronté à la question des indulgences dans leur forme la plus grossière. L’évêque de Mayence a en effet des dettes énormes et laisse le moine Tetzel prêcher les indulgences de la manière la plus sommaire : « les dons d’argent déchargent non seulement les vivants, mais aussi les âmes retenues au purgatoire. »
C’est contre cette pratique dévoyée que Luther va, selon les habitudes universitaires de son temps, soumettre ses 95 thèses sur les indulgences à ses collègues théologiens.
Deux choses sont alors hors de sa pensée :

  • La publication et la diffusion des thèses auprès de toute la population.
  • La contestation de l’autorité du pape lui-même, et les indulgences : les thèses laissent au contraire entendre que la pensée du pape a été déformée.Mais parce qu’il appelle à suivre le Christ plutôt qu’à s’en remettre aux indulgences, il remet en cause tout le système. Et parce qu’il met en cause le fonctionnement de l’Église de son temps, et parce que ses thèse sont traduites en allemand et diffusées par l’imprimerie à travers toute l’Allemagne, Luther va devoir affronter un procès en hérésie en lieu et place du débat universitaire qu’il souhaitait !
  • … Le procès qui aurait pu être expéditif va s’étaler sur quatre ans, jusqu’en 1521. Malgré les protections dont il fait l’objet, Luther risque le bûcher ! Mais toutes les discussions, toutes les tentatives de l’amener à se rétracter ne pourront aboutir. Au contraire, Luther va approfondir ses réflexions, multiplier ses écrits.Parce que les circonstances politiques imposent aux évêques et au pape une certaine prudence dans leurs interventions en Allemagne
  • Parce que la diffusion des thèses a rendu Luther populaire,
  • Parce que le prince électeur de saxe prend sous sa protection le moine Luther qui est enseignant à son université,…

On sait qu’il brûle la bulle du pape qui lui demande de se soumettre dans les six mois s’il ne veut pas être rejeté de l’Église.
On sait que l’empereur Charles-Quint, qui vient d’être nommé et qui est sensé appliquer la condamnation prononcée par le pape, convoquera Luther à Worms, dans une ultime tentative de faire reculer le moine récalcitrant. Et que, sommé de renier ses écrits, Luther déclarera ne pouvoir y renoncer, sauf si on lui démontre par l’Écriture sainte qu’il s’est trompé.

Le moteur de la Réforme est alors évident : c’est la question qui sépare encore aujourd’hui les catholiques romains des protestants : où est, dans l’Église, l’autorité suprême ? Pour Luther et ceux qui relèvent des Églises de la Réforme, seule l’Écriture sainte commande, une Écriture sainte qui rappelle à l’homme combien il est incapable d’accomplir la volonté de Dieu, mais qui lui permet aussi de découvrir que Dieu est amour, qu’Il fait grâce et qu’Il sauve tous ceux qui s’en remettent pleinement à Lui.