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Garder une place pour l’invité qui nous surprend

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En un siècle, le regard sur les personnes ayant un handicap a profondément changé. On est passé d’un temps où la seule alternative était l’asile, à celui où le concept de maladie a prédominé : on soigne une maladie, une déficience. Plus tard encore, on voit essentiellement une personne à éduquer. Aujourd’hui, on s’achemine vers un concept de citoyenneté qui permet à chacun d’être différent. Article d’Angélika Krause

Garder une place pour l’invité qui nous surprend

En un siècle, le regard sur les personnes ayant un handicap a profondément changé. On est passé d’un temps où la seule alternative était l’asile, à celui où le concept de maladie a prédominé : on soigne une maladie, une déficience.
Plus tard encore, on voit essentiellement une personne à éduquer.
Aujourd’hui, on s’achemine vers un concept de citoyenneté qui permet à chacun d’être différent.
Prenons l’exemple du langage des signes : pendant un siècle, le langage des signes a été banni, en dehors des écoles pour enfants sourds, dans le but d’éduquer leur faculté de prononcer « normalement ». Depuis une vingtaine d’années, des personnes sourdes ont promu leur droit d’utiliser la langue des signes française dans la vie courante. La personne sourde est d’abord un citoyen, disent-ils, et non un objet de pédagogie.

Intégration à tout prix ? En ce qui concerne le handicap mental, on cherche le plus souvent l’intégration, voir la normalisation. Cette démarche est très valorisée en France tant dans le domaine scolaire que dans les loisirs. Cette approche comporte néanmoins quelques dangers :
– Est-il bon pour un enfant d’être toujours le seul enfant ayant un handicap dans un groupe ? Quelles sont alors les possibilités d’identification avec d’autres ? Quand peut-il se dire « ils sont comme moi » ?
– Derrière une forte démarche d’intégration peut toujours se cacher un refus du monde adulte de reconnaître le handicap. L’enfant risque alors de se trouver en échec permanent. Intégration ne doit pas être synonyme de perte d’identité, refus du handicap. Sinon il en résulte une situation impossible pour l’enfant !

Images de Dieu et images de l’homme sont liées. La catéchèse des enfants ayant un handicap exige au préalable une réflexion théologique, car le handicap nous confronte à nos convictions profondes.

Nous en évoquerons quelques unes à partir de témoignages de parents :
– Quand Anne est née, il fallait que je retrouve les bases de ma foi. J’ai ouvert la bible et j’ai commencé par le début. « Au commencement Dieu créa…  » et quand je suis arrivé à… » et il les créa homme et femme… à son image », j’ai retrouvé ma conviction profonde.
Nos images de Dieu et de l’homme sont profondément liées. Toute catéchèse avec des enfants ayant un handicap nous renvoie à l’image que nous avons de leur personne. Un regard de pitié, un regard misérabiliste, est aussi un regard réducteur sur Dieu. Et inversement, reconnaître une image de Dieu en tout être élargit notre perception de Dieu.
– Quand Samuel est né, j’ai d’abord commencé à faire face. Dieu n’avait plus d’importance pour moi. Mais nous avions donné une instruction religieuse à ses frères et sœurs. Et c’est son frère qui nous a rappelé qu’il fallait l’inscrire à l’école biblique. C’est Samuel qui nous a, petit à petit, entraîné dans la vie de la paroisse. L’autre jour, il a pris le panier de pain pendant la communion, et lui qui normalement parle mal ou pas du tout, a dit : « Le corps du Christ ».
C’est souvent la foi forte, la soif de Dieu, la spontanéité dans leur relation avec Jésus exprimés par les enfants qui nous rappellent qu’ils sont enfants de Dieu ; « La force de Dieu est puissante dans la faiblesse » : cette phrase devient tangible. La foi devient don reçu.
– Nous n’allons plus à la paroisse avec mon enfant. Je ne supporte plus ce langage : « Qu’est-ce que vous portez courageusement votre croix ». Manuel devient tout raide quand il entend ça. Moi certainement aussi. Mais nous avons trouvé une communauté œcuménique de personnes handicapées. Le regard qu’on porte là-bas sur mon enfant m’a aidé à l’accueillir. Nous redevenons une famille entière.
II est important de nous interroger sur le lien que nous établissons entre souffrance, culpabilité, mérite… en dépit de l’affirmation de la grâce. Osons porter le regard de Dieu sur toute personne. II y a là une force de transformation pour l’Eglise.

Le handicap est toujours une rupture, une souffrance. Ceci nous oblige à avoir des attitudes réfléchies, claires. Nos convictions théologiques se reflètent dans le vécu de la catéchèse. Quand des sens ou des capacités sont altérés ou diminués, des impasses théologiques se repèrent plus facilement que dans toute autre catéchèse.
Nous développerons les axes d’une catéchèse spécialisée à partir de deux pôles : celui de la Parole de Dieu annoncée, et celui de la participation aux sacrements.

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La Parole de Dieu annoncée
L’idée de départ pourrait être : l’incarnation, « Et la Parole se fit chair », nous pousse à rendre la Parole de Dieu à tout enfant, aussi à celui qui a un handicap. Notre pédagogie doit se nourrir de cette conviction : la Parole prend chair en chacun de nous. II y a nécessité d’un va-et-vient constant entre la parole et le regard que nous portons sur la personne avec son corps, son esprit.
Les moyens dont disposent la catéchèse spécialisée sont riches et variés (rythme et mouvement, lumière, toucher, son, couleurs les formes…). Cette richesse peut même dérouter certaines équipes. L’important sera de ne pas se perdre mais de toujours réfléchir au sens de ce que nous faisons.
Voici quelques pistes :
Des contenus formulés de manière traditionnelle (textes appris par cœur, éléments de la liturgie, chants « anciens »… même si cela peut paraître désuet) permettent à de nombreux enfants d’appartenir et de participer à la vie de la communauté.
Catéchèse spécialisée, ce n’est pas « ne rien faire ». Chaque enfant peut évoluer, faire des progrès, avancer dans la confiance et y trouver de la joie. Cela peut se faire à travers des activités sensorielles et manuelles. Un tel apprentissage peut comporter une dimension répétitive : chanter les mêmes chants aux mêmes moments de la rencontre, marquer les lieux par des objets, des couleurs qui reviennent (Noël, Pâques).
Prendre en compte le rythme des enfants : ne pas systématiquement vouloir innover, accepter d’être lent avec les enfants. Cela peut aussi être un défi pour aller soi-même en profondeur.
– Pour de nombreux enfants ayant un handicap, le mime, le jeu scénique est primordial. II permet à la parole de prendre chair, il permet un élargissement du monde, une découverte simple de nos théologies complexes.

La participation aux sacrements
Préparer et vivre des sacrements est le deuxième pôle de la vie d’un groupe d’école biblique, de catéchisme. Baptiser un enfant ayant un handicap pose d’habitude peu de problème. La gratuité de l’amour de Dieu s’y exprime par excellence.
Mais du côté de la participation à la Sainte Cène, nos convictions sont lourdement interrogées : sont-ils assez préparés ? Qu’est-ce qu’ils comprennent ? Les questions sont nombreuses. Et les réponses ?
II me semble que ces interrogations doivent nous renvoyer au centre de notre théologie : les affirmations de la Réforme disent bel et bien que c’est Dieu seul qui sauve.
Osons-nous nous libérer d’une conception intellectualiste de la Sainte Cène ? Comprenons-nous nous-mêmes ce qui se passe ? Sommes-nous assez préparés ? La Cène, c’est aussi accueillir ceux dont on ne veut nulle part. Garder une place pour l’invité qui nous surprend.

Les enfants ayant un handicap ne doivent jamais devenir l’objet avec lequel nous faisons passer notre « théologie ». II s’agira toujours de la proposition qui leur est faite pleinement par Dieu : « Je ne vous appelle plus mes serviteurs. Vous serez mes amis. »

Pour évaluer une catéchèse spécialisée, je me poserai la question suivante : par la participation à l’école biblique, quels chemins sont ouverts à l’enfant, mais aussi à ses parents, ses frères et sœurs, aux catéchètes et à l’Eglise ?

Angelika Krause, Pasteur à Bordeaux (ERF)
PointKT 1998 – avril, mai, juin – n° 22