Point KT

L’enfant face aux deuils et séparations

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Je suis entre un désir de conservation et une quête de nouveauté : entre la volonté d’expérimenter du nouveau, oser de nouvelles rencontres et le plaisir de la répétition et retrouver mes vieux amis d’enfance.
L’enfant fait ces expériences qui paraissent opposées : retrouver le même, l’identique, et tenter des nouveaux pas vers l’inconnu. En fonction de son âge, il va naviguer entre ces deux polarités : avec la nourriture, ses vêtements, ses jeux, ses amis, son environnement et ses premiers pas.Chacun, enfant et adulte, à sa manière, va conjuguer sa vie autour de ces deux pôles. L’un va plus tenter la nouveauté et l’autre va plus accentuer la répétition. Il n’y a pas de normalité. Chacun fait au mieux en fonction de ce qu’il est.

De ces deux polarités : deux difficultés

 La première c’est d’être exclusivement dans l’une ou l’autre d’entre elles : trop de nouveauté ou trop de répétition. Lorsque seule une des polarités nous attire (« surtout le même culte parents-enfants que l’année dernière ») ou au contraire lorsque l’une des deux polarités nous panique. (« Surtout ne pas rechanter les éternels mêmes cantiques de Noël que l’année dernière »). La seconde est dans la manière de faire vivre à l’enfant la polarité du changement. C’est la brutalité de la nouveauté et son inattendu qui créent la blessure pour l’enfant. C’est la manière dont l’événement est nommé ou au contraire caché qui peut faire violence.

Que ce soit un déménagement, un divorce, un deuil, ou une naissance ce sont des événements liés à notre condition d’humain. Il n’est pas de notre propos de porter un jugement sur ces événements, justifiés ou non. Ils sont là. Notre intervention en tant qu’éducateurs, parents ou catéchètes porte sur le « comment » nous allons parler à l’enfant de ces événements et comment l’enfant va réagir et les intégrer dans son expérience.

Ne pas en parler risque de générer un secret

 La grand-mère décédée dont on dit à l’enfant qu’« elle est partie en voyage », le papa en prison, lui aussi «parti en voyage ». Ne pas nommer la rupture au sein de la famille c’est mettre un haut-parleur sur le tapis du salon pour que tout le monde entende. Un secret de famille est rarement silencieux ! En général on sait ce que chacun ne doit pas savoir mais que tout le monde sait ! Alors raison de plus pour en parler. Moins il se dit ouvertement et plus le secret se propage. Plus je sais qu’il ne faut pas dire et plus le secret se charge d’émotion, de mystère, d’insécurité, plus il se répand au sein du groupe familial. Il peut se créer alors une mémoire inconsciente, avec des syndromes de répétition, des « c’est comme son grand-père» ou « dans la famille c’est toujours comme ça ». Comme s’il y avait là une sorte de nécessité mais dont la logique échappe à toute la famille.

En situation de séparation ou de divorce d’un couple parental

 L’enfant peut développer plusieurs attitudes. Il arrive qu’il se « parentifie ». Comme s’il prenait lui-même le commandement des opérations familiales. Sentant ses parents dans la fragilité, il sait donner des explications à ce qui se passe, devient raisonnable, sérieux, responsable, y compris sur des sujets qui relèvent de la responsabilité de ses parents. Il essaie à sa façon de maintenir le cadre familial en vie. Finalement il assure par ce moyen sa propre sécurité. Il va souvent développer une loyauté à l’égard du parent le plus faible. Et même s’il voit bien que c’est son père qui est violent, s’il le voit fragilisé par la séparation, il va le protéger. L’enfant a besoin de ses deux parents. Même faible, il ne supporte pas que l’un des deux soit nié par l’autre. Car c’est une partie de lui-même qui est alors refusée.

Il va développer une culpabilité en se demandant s’il n’est pas à l’origine de cette séparation. « C’est de ma faute ». À sa façon, l’enfant reconnaît que la séparation touche l’ensemble du système familial et que chacun peut avoir une part dans l’éclatement de la famille. Et il serait fallacieux de croire que les enfants n’ont pas de place dans les enjeux et les causes d’une séparation parentale, mais pour autant ils n’en sont pas seuls responsables !

 L’enfant peut faire des tentatives de réunification des parents. Souvent il les voit malheureux, il trouve que tout est bien compliqué, alors il va faire en sorte que tout s’arrange. Et rien ne s’arrange !

Les stratagèmes conscients ou inconscients sont multiples. Cela peut aller de l’hospitalisation (qui permet à l’enfant de réunir ses deux parents à son chevet) à l’organisation d’un rendez-vous commun où l’enfant prend lui-même un rôle de parent et réunit ses deux parents à leur insu, ou créer une situation où le nouvel amant de maman est vu par papa pour que tout se sache et que papa et maman se remettent ensemble etc.

Ces comportements d’enfants, rencontrés en situation de divorce, peuvent aussi être observés chez des enfants qui vivent un deuil au sein de leur famille. Ils n’ont rien de normatifs, et se vivent différemment suivant les enfants et leurs âges. Ils permettent d’éclairer le comportement d’un enfant confronté à l’inattendu du changement provoqué par un deuil ou une séparation.

Je voudrais conclure en interpellant les catéchètes

Ils peuvent avoir, dans les ruptures vécues par les enfants, une place importante pour entendre et poser des mots sur ce que l’enfant vit. Et cela peut se faire face à face ou dans le groupe, lorsque celui-ci est bienveillant.

L’enfant ne sait pas ou n’ose pas parler de la mort survenue subitement ou du divorce de ses parents. « Surtout », me disait un petit garçon de 7 ans dont les parents venaient de divorcer, « je n’en parle à personne ».

Oser en parler, c’est permettre à l’enfant de poser à l’extérieur de lui ce qui le ronge à l’intérieur. Il n’y a parfois pas besoin de beaucoup de temps. Juste d’une présence, d’une écoute attentive, sans fausse consolation, ni reproche. Juste qu’un adulte l’écoute. C’est parfois le meilleur témoignage que le catéchète peut offrir à un enfant. Écouter. Offrir de sa présence.

Crédit : Point KT