Évolutions familiales, crises et nouvelles chances. La famille est la première nommée dans les structures sociales et dans le cœur des gens. Elle est un refuge, le lieu d’expression de l’amour, le lien entre les générations. Aujourd’hui, la remise en cause de la famille traditionnelle a-t-elle bouleversé le fondement de cette institution vieille comme l’humanité ?
Le propos populaire constate, pour le regretter bien des fois, que « la famille n’est plus ce qu’elle était ». Et si nous regardons autour de nous, nous nous rendons bien compte que le paysage conjugal et familial est devenu très composite. Y coexistent en effet des célibataires de tous âges, des couples mariés ou concubins, des personnes divorcées ou parfois veuves, vivant seules ou avec enfants, ou bien remariées et formant des familles complexes, dites recomposées, et même des couples homosexuels qui revendiquent de vivre « comme tout le monde ».
Si (presque) tout cela a toujours existé, on est aujourd’hui frappé par la fréquence et la quasi « normalité » de ces situations de vie : le modèle dominant et normatif que constituaient le mariage et la famille traditionnelle durant des siècles n’est plus reconnu comme allant de soi. Que s’est-il passé ?
Depuis 1970, tous les chiffres statistiques décrivant la vie conjugale et familiale se sont emballés. On assiste à la fois à une baisse constante du nombre de mariages, à un taux élevé de divorces et à une augmentation du nombre d’unions libres. Il en résulte une conjugalité fragilisée et, paradoxalement, une parentalité valorisée. La fête du mariage n’a plus le même sens qu’auparavant : le mariage ne fonde plus le couple, ni la famille, ni ne cadre la sexualité. Il pose publiquement un acte civil, exprime un désir de durer dans une relation choisie et donne l’occasion de faire une belle et romantique fête avec familles et amis.
Il faut ajouter que l’allongement de l’espérance de vie des individus, et donc potentiellement de la vie commune d’un couple, fait apparaître des problèmes d’un nouveau type qui sont autant de défis, non seulement aux individus et à la société, mais également aux Églises. Ce défi se pose autour de la question qui travaille les jeunes adultes : « Comment vivre et durer en couple pour un demi-siècle ? ! » et celle qui travaille les anciens : « Comment développer la solidarité entre les générations et maintenir une cohésion familiale ? »
Du divorce ou des ruptures de concubinage, il découle deux conséquences : une augmentation du nombre des familles dites monoparentales où les enfants vivent avec un seul de leurs parents, et une augmentation des familles appelées recomposées qui se constituent souvent suite au divorce, après une période plus ou moins longue de situation monoparentale.
Les familles recomposées sont les structures familiales les plus complexes et les plus difficiles à vivre, que ce soit pour les enfants ou pour les parents à cause de la complexité des places à tenir. D’ailleurs la difficulté de nommer les liens en est un signe… Entre père, papa, copain de maman, demi-frère, quasi-sœur ou même « faux-frère », il faut (ré) inventer les cours de généalogie !
Ces bouleversements dans la vie conjugale, familiale et sociale sont considérables, et ont imposé au gouvernement de mettre en route une réforme importante du droit de la famille : autorité parentale, filiation, transmission du nom, accouchement sous X et, le dernier en date, la réforme du divorce.
La nouveauté essentielle de cette réforme est qu’elle donne une place centrale à l’enfant : on tient désormais compte du fait que c’est l’enfant, c’est-à-dire le plus faible car le plus dépendant, qui pâtit le plus des déstructurations familiales : il s’agit donc de le protéger au mieux, notamment en essayant de conserver en aussi bon état que possible le lien de l’enfant avec chacun de ses parents séparés.
Rappelons que la famille classique reposait sur le triangle père-mère-enfant, basé sur un mariage déclaré indissoluble par l’Église. Aujourd’hui nous avons sûrement un besoin urgent de réfléchir à la question de la conjugalité et de sa signification renouvelée. Le lien du couple n’étant plus une nécessité sociale, il peut s’inscrire dans le registre de l’alliance choisie. Il peut être un acte libre émanant d’une confiance qui construit une fidélité active nourrie d’une Parole vivante.
Aujourd’hui, cette foi et cette figure géométrique du « triangle familial » se sont brouillées avec la fragilisation des unions et la multiplication des séparations et des recompositions. On ne peut plus ignorer que ces bouleversements ont des effets problématiques sur les adultes et sur les enfants :
– Sur les adultes par des blessures affectives, de l’insécurisation et de l’agressivité, de l’appauvrissement matériel, des problèmes de santé (dépressions, somatisations…)
– Sur les enfants, par la mise à mal de leur équilibre et leur besoin de grandir auprès d’un père et d’une mère qui s’aiment, qui s’engagent dans la durée et qui prennent soin de leurs besoins de présence, de repère, de sécurité matérielle et affective.
C’est pourquoi les familles recomposées sont à la fois riches et compliquées et leur « réussite » est un défi pour tous les membres concernés.
En effet, dans ces familles toutes les relations sont à inventer et il est nécessaire que les questions soient ouvertement posées et discutées : l’autorité de chaque parent, la place de chacun, les fêtes de famille, les grands-parents des deux côtés, les animaux domestiques, les habitudes alimentaires, la nomination des liens entre les différents membres (qui est qui pour qui ?) .
La famille recomposée oblige à mettre de la parole là où il y avait de l’évidence dans une famille initiale : c’est à la fois sa grande exigence et sa grande richesse. C’est là qu’il faut gérer le « t’as rien à me dire, t’es pas mon père ! »
Enfin, la question que beaucoup de chrétiens se posent : la Bible peut-elle nous aider dans cette réflexion ? Je crois que nous pouvons nous appuyer au moins sur deux convictions :
– La première est que la Bible ne nous donne pas de recettes pour une famille idéale, mais qu’elle pose un socle à toute famille en Genèse 2, 24 : L’homme quittera son père et sa mère, s’attachera à sa femme, et les deux deviendront une seule chair. Séparation claire des générations, attachement et engagement mutuel pour un avenir commun constituent le fondement du couple et de la famille.
– La seconde c’est que la Bible nous parle d’amour, d’engagement, de pardon, de confiance, de partage et de solidarité, de fidélité renouvelée, d’espérance.
Voilà sûrement des ingrédients vitaux dans un menu familial, quelle que soit sa composition.
Une tasse ébréchée
« Une famille recomposée, confie Alice, divorcée puis remariée avec un veuf, c’est un peu comme un tasse ébréchée à laquelle on tient beaucoup et dont on a recollé patiemment les morceaux. Il faut la manipuler avec précaution… » Alice et Marc forment aujourd’hui une famille de quatre enfants. Les deux enfants d’Alice voient encore régulièrement leur père et leurs grands-parents paternels. La fille unique de Marc est très attachée à ses grands-parents maternels. Et Benjamin, le petit dernier, l’enfant qu’ils ont eu tous les deux, a été « adopté » par tous avec plus ou moins de facilité. « Nous avons mis du temps à trouver notre rythme et notre équilibre. Il a fallu composer avec la jalousie naissante de mes enfants quand Benjamin est né. Comme nous restons en contact avec quatre familles et donc, avec huit grands-parents, nous avons dû expliquer que nous ne pouvions pas assister à toutes les fêtes de famille, par exemple. Qu’il était important que nous ayons des temps à nous. Heureusement, après quelques mois et quelques frustrations, ils ont compris. »
Ce qu’Alice et Marc attendent de leurs parents, de leurs beaux-parents et de leur famille élargie (frères et sœurs, oncles et tantes, etc.) ? « De l’affection, de la disponibilité, de la discrétion, mais surtout pas trop de conseils, sauf quand nous les demandons expressément. Mais il faut qu’ils sachent que nous tenons beaucoup à eux. »
Repères en France
● En 2002, 120 000 divorces pour 286 000 mariages.
● Moyenne nationale des divorces en France : 40 %
● En 2003, sur 30 millions de personnes vivant en couple, près de 5 millions vivaient en union libre.
● Jusqu’à l’âge de 27 ans en moyenne, les couples vivant en union libre sont plus nombreux que les couples mariés.
● La proportion des enfants nés hors mariage atteint les 40 % des naissances, voire 55 % pour les enfants premiers nés. 95 % d’entre eux sont reconnus par leur père.
● 95 % des couples mariés ont cohabité avant leur mariage.
● L’âge moyen des gens qui se marient (pour la première fois) est de 28 ans pour les femmes et de 30 ans pour les hommes.
● 32 % des couples ont un ou plusieurs enfants quand ils se marient.
● 20 % des mariés et 16 % des mariées sont des divorcés.
● Près de 2 millions de familles sont monoparentales : 2 millions d’enfants mineurs vivent avec un seul de leurs parents, la mère dans 85 % des cas.
● Environ 700 000 familles recomposées élèvent plus de 1,5 million d’enfants mineurs.
● 100 000 PACS ont été conclu depuis sa création en novembre 1999.
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