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Survivre au désert

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L’errance de 40 ans dans le désert de tout un peuple en marche est sans doute impressionnante dans un film. Elle relève de l’imaginaire, dès qu’on a vu le désert. En revanche, les tribus d’Israël ont été nomades avant de s’installer. La vie au désert est la réalité de leurs ancêtres. Et là encore, il y a des événements « insignifiants » pour l’Histoire de l’humanité, qui sont pour ceux qui les vivent des signes de l’attention de Dieu :  une source trouvée au bon moment, un vol de cailles épuisées qui s’abat près d’un campement et le produit bizarre coulant sur certains épineux du désert. Quand ils vous sauvent la vie, ce sont de vrais miracles de l’amour de Dieu. Lire Exode 16

Comme d’autres passages de l’Exode, ce chapitre est composé de plusieurs éléments :
  • un récit concernant la manne vv. 4-5 ; 12b; 14-36. Ce récit, qui semble l’objet de l’intérêt principal des rédacteurs est lui-même surchargé de rajouts :+ vv. 16-18 : l’égalité miraculeuse

+ vv. 22-30 : le respect du sabbat
+ vv. 32-34 : la conservation de la manne
+ v. 35 : la durée du miracle
+ v. 36 : une explication de mesure

  • un récit concernant les cailles 8a ; 11-13
  • des fragments concernant la gloire de YHWH vv. 6-7; 9-10
  • le thème des murmures contre Moïse vv. 2-3; 7b; 8b.

Comme pour les récits des plaies, la manne et les cailles correspondent à des réalités reconnues du désert du Sinaï :

– Les cailles sont des oiseaux migrateurs. En automne, les vols de cailles, épuisées d’avoir franchi la Méditerranée, s’abattent sur la côte nord-ouest du Sinaï, entre Gaza et l’Égypte.

– La manne est le résultat de l’association entre une plante, le tamaris, et deux insectes, le Trebutina Mannipara et le Najacoccus Serpentinus.

Ces insectes laissent au matin leur sécrétion sur la plante dont ils se nourrissent, et c’est elle qui constitue la manne. Celle-ci ne se conserve guère et disparaît avec la chaleur du jour. Le produit n’a pas beaucoup de goût et il n’attire pas les gourmets, mais il est précieux pour celui qui n’a rien mangé depuis quelques jours.

La région où la manne peut être récoltée, en mai- juin, est strictement limitée au centre de la presqu’île du Sinaï : les cailles et la manne ne se rencontrent jamais ensemble, ni dans le temps, ni géographiquement. »

Nous sommes donc en face du même processus que pour les plaies : de réalités bien connues des nomades du désert, mais qui ont pu sauver la vie à des groupes de fuyards habitués au pays de culture qu’est l’Égypte, la tradition d’Israël en a peu à peu fait un miracle grandiose et permanent, qui se pliait même aux exigences du respect du sabbat !

Il n’en reste pas moins que ce processus lui-même atteste la foi d’un peuple : Dieu veille soigneusement et fidèlement sur les siens, il va jusqu’au bout de ce qu’il a entrepris en leur faveur.

Les fragments concernant la manifestation de la gloire de YHWH ont été intégrés au récit des cailles par le verset 8. Dans ce cadre, ils signifient que la providence de Dieu agissant pour son peuple est une manifestation de sa gloire.

Mais comme l’indique aussi bien Ex. 33/18-22 et, ici, le verset 10, la manifestation de la gloire de Dieu est un phénomène très particulier de la présence divine. Ce qui est annoncé ici est beaucoup plus de l’ordre de la rencontre au Sinaï que de la fourniture de nourriture.

Le thème des murmures du peuple revient comme un refrain dans divers passages du Pentateuque : Exode 2/14; 4/1 ; 5/20-21 ; 14/11-12 ; 17/3 ; Nombres 11/4-6 ; 14/2-3 ; 16/2-3 ; 17/6-7 ; 20/3-5.

Ce thème est en contradiction avec une autre tradition d’Israël, pour laquelle le désert a été le temps idéal de la fidélité : Osée 2/16-18 ; 9/10 ; 12/10 ; 13/5-6 ; Jérémie 2/2-3 ; Deutéronome 32/10-12 ; 2/7 ; 8/2-5.

On a donc pu avoir une vision idyllique du temps du désert, précisément quand on faisait de l’entrée en Canaan et de l’adaptation à la vie en terre de culture la source des infidélités d’Israël.

Mais des textes plus récents (Ezéchiel 20-13 ; Psaumes 78/40 ; 95/10) font remonter au désert les premières révoltes du peuple contre Dieu. (C’est aussi le cas d’Ex 34).

Ces textes sont marqués par l’Exil. Ils comportent une recherche de responsabilité et une confession des péchés : dès le départ, le ver était dans le fruit, la révolte, le refus de faire confiance à Dieu au cœur-même de ceux qui avaient vécu ses plus grandes délivrances.

Curieusement, ce thème « récent » ne manque pas de vraisemblance et on peut lire Exode 16 et le thème des murmures comme l’expression de la difficulté qu’il y a à vivre la liberté.

L’esclavage en Égypte pouvait avoir quelque chose de rassurant. Sinon, pourquoi allait-on si souvent s’y réfugier ? La liberté est aussi un risque douloureux, une affaire de vie et de mort. Elle est comme impossible à vivre sans la confiance assurée que Dieu vient en aide et soutient son peuple.

 Narration « Quand Dieu nourrit son peuple »