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Sauvés par la mer !

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Exode 14 / 1 à 15 / 20 : Dieu crée son peuple au travers de la mer. Ce récit est un récit de miracle. Il est donc essentiel de rester dans l’incertitude quant au détail des faits.
Ce qui est essentiel, c’est que, quelle que soit la version que nous retenons, le peuple se trouvait en situation totalement désespérée, aucune issue n’était humainement envisageable. Et de manière inexplicable, miraculeuse, il est sauvé. Cette délivrance, la foi d’Israël proclame qu’elle est l’œuvre de Dieu. Le miracle de la mer n’est pas un objet d’Histoire, c’est une affirmation de la foi. Celle d’Israël. Et la nôtre ?

Lisez le texte suivant :Lecture d’Exode 14 :

– D’abord ce qui est écrit en italique brun
– Ensuite ce qui est en caractères normaux
– Enfin l’ensemble, en continu.

Exode14
10 Pharaon approchait. Les fils d’Israël levèrent les yeux : voici que l’Égypte s’était mise en route derrière eux. Et les enfants d’Israël eurent une grande frayeur, et crièrent à l’Eternel.
11 Ils dirent à Moïse : « N’y avait-il pas des sépulcres en Égypte, sans qu’il fût besoin de nous mener mourir au désert ? Que nous as-tu fais en nous faisant sortir d’Égypte ?
12 N’est-ce pas là ce que nous te disions en Égypte : laisse-nous servir les Égyptiens, car nous aimons mieux servir les Égyptiens que de mourir au désert.
13  » Moïse dit au peuple : « N’ayez pas peur ! Tenez bon ! Et voyez le salut que le Seigneur réalisera pour vous aujourd’hui. Vous qui avez vu les Égyptiens aujourd’hui, vous ne les reverrez plus jamais.
14 C’est le Seigneur qui combattra pour vous. Et vous, gardez le silence ! »

15 Le Seigneur dit à Moïse :  » Qu’as-tu à crier vers moi ? Parle aux fils d’Israël : qu’on se mette en route !
16 Et toi, lève ton bâton, étends ta main sur la mer, fends-la et que les fils d’Israël pénètrent au milieu de la mer à pied sec.
17 Et moi, je vais endurcir le cœur des Égyptiens pour qu’ils y pénètrent derrière eux et que je me glorifie aux dépens de Pharaon et de toutes ses forces, de ses chars et de ses cavaliers.
18 Ainsi les Égyptiens connaîtront que c’est moi le Seigneur, quand je me serai glorifié aux dépens de Pharaon, de ses chars et de ses cavaliers.  »
19 L’ange de Dieu qui marchait en avant du camp d’Israël partit et passa sur leurs arrières. La colonne de nuée partit de devant eux et se tint sur leurs arrières.
20 Elle s’inséra entre le camp des Égyptiens et le camp d’Israël. Il y eut la nuée, mais aussi des ténèbres ; alors, elle éclaira la nuit. Et l’on ne s’approcha pas l’un de l’autre pendant toute la nuit.

21 Moïse étendit la main sur la mer. Le Seigneur refoula la mer toute la nuit par un vent d’Est, puissant et il mit la mer à sec. Les eaux se fendirent,
22 et les fils d’Israël pénétrèrent au milieu de la mer à pied sec, les eaux formant une muraille à leur droite et à leur gauche.
23 Les Égyptiens les poursuivirent et pénétrèrent derrière eux – tous les chevaux de Pharaon, ses chars et ses cavaliers – jusqu’au milieu de la mer.
24 Or, au cours de la veille du matin, depuis la colonne de feu et de nuée, le Seigneur observa le camp des Égyptiens.
25 II bloqua les roues de leurs chars et en rendit la conduite pénible. L’Égypte dit : « fuyons loin d’Israël, car c’est le Seigneur qui combat pour eux contre l’Égypte! »

26 Le Seigneur dit à Moïse :  » étends ta main sur la mer : que les eaux reviennent sur l’Égypte, sur ses chars et ses cavaliers ! »
27 Moïse étendit la main sur la mer. À l’approche du matin, la mer revint à sa place, tandis que les Égyptiens fuyaient à sa rencontre. Et le Seigneur se débarrassa des Égyptiens au milieu de la mer.
28 Les eaux revinrent et recouvrirent les chars et les cavaliers, toutes les forces de Pharaon qui avaient pénétré dans la mer derrière Israël, il ne resta personne.
29 Mais les fils d’Israël avaient marché à pied sec au milieu de la mer, les eaux formant une muraille à leur droite et à leur gauche.
30 Le Seigneur, en ce jour-là, sauva Israël de la main de l’Égypte et Israël vit l’Égypte morte sur le rivage de la mer.
31 Israël vit avec quelle main puissante le Seigneur avait agi contre l’Égypte. Le peuple craignit le Seigneur, il mit sa foi dans le Seigneur et en Moïse son serviteur.

Questions :

Qu’observez-vous?
– Un des deux récits est-il incomplet lorsqu’il est séparé du reste ?
– Comparez ce récit avec Josué 3/7-17 ; 4/10-18.
– Faites la liste de vos observations et de vos questions.  

Notes bibliques :

a. Quelques difficultés dans la continuité du récit

– Selon Ex. 11/1, 12/39 les Égyptiens chassent les Israélites.
– Mais le début de Ex. 14/5 parle d’une fuite et la suite du chapitre raconte une chasse aux esclaves en fuite.
– Ex. 12/37 et 13/20 indiquent un itinéraire Ramsès -> Sukkot -> Etam, ce qui correspondrait à la route côtière qui va d’Égypte en Canaan. Cette route était jalonnée par des postes militaires égyptiens.
– En Ex. 13/17-18, cette « route du pays des Philistins » est formellement proscrite à Moïse qui doit conduire le peuple vers la mer de Suph.
– En Ex. 14/2 et 14/9, il est fait mention de Pi Hahirot, près de Bâal Tsephon. On ne sait pas où localiser Pi Hahirot. Bâal Tsephon suggère la côte méditerranéenne, à l’embouchure d’un des bras du delta du Nil.
Ces détails suggèrent une possibilité historique tout à fait plausible : à des dates différentes, des groupes différents sont sortis d’Égypte de manières différentes, les uns expulsés par la route côtière, les autres en fuyant par le désert. Ce serait ces derniers que nous retrouvons en Ex 14, acculés à la « mer de Suph ».
 

b. Où est la mer de Suph ?

Pour un lecteur moderne, la mer d’Ex. 14 ne peut pas être autre chose que la Mer Rouge. C’est également ce que pensait Ezéchiel (Ez 10/19), mais Ezéchiel était un exilé à Babylone et n’est peut-être pas allé voir de si près. 1 Rois 9/26 situe la mer de Suph à l’Est du Sinaï, dans le golfe d’Aqaba.
Mais en hébreu, on appelle « mer » une étendue d’eau de la taille du lac de Galilée et « Suph » désigne le roseau utilisé pour la fabrication des papyrus. Celui-ci pousse dans des marécages et des étangs, mais pas en Mer Rouge.
Un des itinéraires conduisait les Hébreux dans le delta du Nil, où les dépôts alluvionnaires constituent des golfes ou des étangs englobant des eaux de la Méditerranée. C’est une localisation possible de la « mer des joncs » d’Ex. 14. Mais on peut également penser aux Lacs Amers, traversés aujourd’hui par le canal de Suez, et qui représentent une étendue d’eau assez considérable …
Enfin de compte, il est bien impossible de dire où s’est passé le miracle de la mer, sinon qu’il s’agit d’un endroit entre Suez et la Méditerranée.

c. Les deux récits

Ces deux récits se basent sur le texte d’Ex. 14 / 10-31.
En relisant ce texte, et sans rien y changer, on peut lire séparément deux récits très différents.

L’un (écrit en caractères normaux) est le récit connu sous le nom de « passage de la mer ».

L’autre, (écrit en italique brun) dit tout autre chose :
Le peuple est appelé à rester sur place sans faire de bruit. L’ange et la colonne de nuée isolent Israël des Égyptiens qui ne les voient plus. Tout le monde campe au bord de la mer. En pleine nuit, Dieu intervient dans le camp des Égyptiens.
Le vent a repoussé la mer et les Égyptiens, affolés, s’enfuient dans la mauvaise direction, vers la mer. Celle-ci revient brutalement et au matin Israël constate le résultat : les Égyptiens sont rejetés morts sur la grève.
Ce récit-là est bien moins connu que l’autre parce qu’ils ont été habilement intégrés et imbriqués. Cela nous permet de constater comment travaillaient les rédacteurs qui ont participé à l’élaboration du Pentateuque : trouvant dans la tradition deux récits passablement différents, et beaucoup trop respectueux de ce qui leur avait été transmis pour choisir entre deux présentations différentes, ils les ont conservés tous les deux. Ailleurs, en les juxtaposant parfois ; ici, en les insérant l’un dans l’autre.

La redécouverte du récit du miracle de la mer intégré dans celui du passage de la mer soulève évidemment la question :

d. Et que s’est-il passé réellement ?

Il faut dire tout de suite que nous ne le saurons sans doute jamais. Cependant quelques observations permettent de penser que le récit du passage de la mer est sans doute plus récent que celui du miracle de la mer :
– En Exode 15/1 et 21, nous trouvons un chant de victoire très ancien. Celui-ci ne parle pas d’un passage à travers la mer, mais seulement du fait que YHWH a jeté à la mer le cheval et le cavalier. Il en est de même au v 4. Ce chant atteste donc qu’il y avait bien en Israël une tradition du miracle de la mer, selon laquelle le peuple n’a pas traversé la mer, mais où Dieu avait précipité dans celle-ci les Égyptiens.
– Le récit du » passage » s’inscrit dans la suite du récit des plaies, et particulièrement de la série de plaies, où Moïse fait venir la calamité en étendant son bâton.
– Le récit du « passage » ressemble beaucoup à celui du passage du Jourdain, à l’entrée en Canaan en Josué 3/7-4/24.
Comme le miracle du Jourdain est à la fois un miracle inutile (Josué 2 montre que le Jourdain se franchit aisément à pied), éminemment symbolique (il montre que Dieu livre le pays) et parfaitement explicable (l’effondrement de dunes en amont de Jéricho a reproduit le même phénomène dans la nuit du 7 au 8 décembre 1267, de minuit à 10h du matin), il n’est pas impossible que le passage miraculeux du Jourdain ait suggéré celui de la mer. Mais cela est loin d’être certain.

– Il faut tenir compte de l’influence des récits de création sur celui du passage de la mer. En Genèse 1/6-10, Dieu fend les eaux, place le ciel et crée ainsi l’espace de vie dans lequel l’homme évolue.

– En Job 38/8-11, Ps 104/7-9, la domination de YHWH sur la mer est une étape décisive de la création. En Apocalypse 21/1 la description de la nouvelle terre précise que la mer ne sera plus : c’est que la mer est pour les gens de la terre un lieu de mort.

À Ugarit, et sans doute dans l’ensemble du pays de Canaan, le dieu de la mort et le dieu de la mer portent le même nom, et ce Dieu MOT est fendu par Bâal pour créer le monde.
Ce thème mythologique ressurgit sans doute dans le récit de la mer qui est fendue pour livrer passage au peuple. Celui-ci ne passa pas seulement de l’esclavage à la liberté, mais de la mort à la vie. Dieu crée son peuple au travers de la mer.
Tout cela ne dit pas que les événements se sont déroulés comme le présente l’autre récit. Car lui aussi est un récit de miracle. Il est donc essentiel de rester dans l’incertitude quant au détail des faits.
Car ce qui est essentiel, c’est que, quelle que soit la version que nous retenons, elles affirment toutes deux que le peuple se trouvait en situation totalement désespérée, aucune issue n’était humainement envisageable. Et de manière inexplicable, miraculeuse, il est sauvé.
Cette délivrance, la foi d’Israël proclame qu’elle est l’œuvre de Dieu. Le miracle de la mer n’est pas un objet d’Histoire, c’est une affirmation de la foi. Celle d’Israël. Et la nôtre ?

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 Crédit : Point KT