Le format d’une célébration immersive permet de faire vivre les étapes incontournables de la Semaine sainte – que le jeudi et le vendredi saints – à des personnes qui auraient tendance à sauter directement des Rameaux à Pâques (et je pense aussi aux enfants). Ce format s’adapte particulièrement aux assemblées de taille modérée (jusqu’à 40) parce qu’il faut compter le temps des déplacements. Nous étions environ 80 cette année et les déplacements prirent du temps.
Introduction
La célébration immersive est une célébration itinérante, qui donne aux fidèles l’occasion de traverser des scénographies évoquant des événements et des lieux de la Semaine sainte. Cette forme de liturgie veut souligner le fait que la résurrection du Christ est une réalité qui concerne vraiment la vie des croyants. Toutefois, pour respecter l’écart qui existe toujours entre l’expérience du croyant et la profondeur de Pâques, chaque étape de la Semaine sainte sera relatée comme venant juste d’arriver.
Pour cette édition, après le temps d’accueil dans le temple, la déambulation revisitera trois grands moments de la Passion du Seigneur :
- L’entrée triomphale à Jérusalem (« les Rameaux ») ;
- Le lavement des pieds lors de la Cène ;
- Le reniement de Pierre.
L’assemblée se rassemblera ensuite dans le temple pour la proclamation de la Résurrection, la prédication et la Sainte cène. Cette année, les textes de la Passion sont lus dans l’évangile de Jean.
Un soin particulier sera apporté à l’accueil des enfants, qui pourront découvrir l’histoire de Pâques comme s’ils y étaient. Un livret avec le déroulement et les cantiques sera remis à l’entrée. Le livret pourrait aussi contenir un espace pour la réflexion personnelle.
Pour la décoration, quelques pistes :
- Dans le temple : L’autel est décoré avec des éléments qui récapitulent les différentes étapes de la célébration : rameaux, bassine et cruche du Lavement des pieds, un coq stylisé en fer forgé… la croix est décorée de végétation, mais sans fleurs.
- À gauche du presbytère : Tout est dans l’effet de surprise. Des chaises sont installées sur la terrasse à gauche du presbytère. Le Témoin n°2 (propriétaire de l’ânon) sortira de derrière la haie au dernier moment.
- Dans la grande salle : La salle est plongée dans l’obscurité, éclairée seulement par des bougies à LED. Au centre, on pourrait voir une chaise en bois (qui symbolise Pierre), un tabouret (qui symbolise Jésus), une bassine, une cruche, une serviette. Éventuellement, derrière sur une table, une simple assiette avec du pain, une coupe de vin. Des chaises ou bancs ont été disposés autour de la salle.
- Sur la pelouse (derrière la grande salle) : Des chaises sont disposées autour de l’espace délimité par la pelouse. Le Témoin n°4 pourra se tenir au niveau du banc. Un brasero est installé, avec des braises (artificielles) encore rougeoyantes. Des miroirs sont installés, éventuellement sur les murs (mur de la salle, mur extérieur de la propriété), dans l’arbre (façon miroir aux alouettes)…
Première étape : dans le temple
L’assemblée s’installe dans le temple. Les semaines précédentes, les paroissiens auront été invités à venir au culte munis d’une fleur. Quelques fleurs sont déjà déposées dans des bassines pour les étourdis.
Recueil Alléluia cantique 21/03 : « Me voici, Seigneur, Sauveur », strophes 1 à 3, page 232.
Témoin n°1
Frères et sœurs, chers amis, Vous êtes venus ce matin pour célébrer Jésus-Christ ressuscité : soyez toutes et tous les bienvenus. Fêter Pâques, ce n’est pas seulement faire mémoire d’un événement survenu il y a 2 000 ans, un dimanche matin à Jérusalem. Fêter Pâques, c’est célébrer la vie donnée par Dieu, une vie qui irrigue nos doutes et nos convictions, nos ténèbres et nos joies. Pâques est une fête pour tous les jours, voilà pourquoi vous allez vivre aujourd’hui un culte immersif, pour retraverser ces événements de la Semaine sainte et les laisser résonner dans votre vie.
Au début de ce culte, recevons l’interpellation que le Seigneur nous adresse ce matin avec les mots du Cantique des cantiques[1] :
Mon bien-aimé me dit :
« Lève-toi, mon amie, ma belle, et viens !
Car l’hiver est passé ; la pluie a cessé, elle s’en est allée.
Dans le pays, les fleurs paraissent, le temps de chanter est arrivé, et la tourterelle se fait entendre dans notre pays.
Le figuier forme ses premiers fruits, les vignes en fleur exhalent leur senteur.
Lève-toi, mon amie, ma belle, et viens ! »
On vous a proposé au cours des semaines passées de venir ce matin avec une fleur pour décorer notre traditionnelle croix de Pâques. Sûrement pas pour sacraliser ce simple objet en bois, ni pour transformer notre temple en cimetière, mais simplement, comme chantait Jacques Brel, « parce que les fleurs, c’est périssable ». Mais la précarité de la vie ne nous empêche pas de nous réjouir et de dire merci.
Rangée par rangée, nous allons donc pouvoir nous lever et nous approcher pour décorer cette croix avec une fleur et c’est XX qui coordonnera ce geste. Ensuite, vous serez invités à sortir par la porte latérale.
Pendant ce temps : Chorale : « Ensemble, nous pouvons chanter » (ad. lib.) L’assemblée se déplace ensuite vers la terrasse du presbytère.
Deuxième étape : sur la terrasse du presbytère
Les enfants s’assoient devant. Le Témoin n°2 arrive avec ses 2 ânes.
Témoin n°2 : Ahlàlà ! J’ai enfin réussi à les calmer, mes pauvres bêtes ! Faut dire que les cris de la foule, ça ne leur réussit pas vraiment ! Figurez-vous que mes ânes sont des célébrités ! Vous les auriez vus, dimanche dernier, entrer dans Jérusalem, avec tout ce monde autour… Bien sûr, c’était Jésus qu’on acclamait, mais ça, vous n’êtes pas obligé de le dire à mes ânes ! Les habitants de la ville avaient entendu raconter que Jésus arrivait. Alors ils ont pris des branches de palmiers et sont sortis au-devant de lui, en criant : « Hosanna ! Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur, le roi d’Israël. » En voyant Jésus, les gens se rappelaient ce qu’il avait fait pour Lazare en le sortant du tombeau ! Peut-être qu’eux aussi, ils voulaient qu’on les sorte de leurs tombeaux ? Les pharisiens râlaient entre eux : « Vous voyez que vous n’y pouvez rien : le monde s’en est allé à sa suite ! » Mais la foule, elle voulait goûter à cette source de vie !
Témoin n°1 : N’aie pas peur, fille de Sion ; dit le prophète Zacharie,
ton roi vient, assis sur le petit d’une ânesse[2].
Étonnant roi, qui se fraie un chemin jusqu’à nous sur le dos d’un animal de tous les jours, un animal de labeur.
Et la foule ne s’y trompe pas, qui reconnaît celui qui donne la vie,
celui qui porte la vie à son incandescence, par sa grâce et sa paix.
Cette même grâce et cette même paix qui vous sont données ce matin, à chacune et à chacun.
En réponse à ce cadeau, nous chantons dans le recueil Alléluia, le cantique 33/34 : « Hosanna au plus haut des cieux », strophes 1 et 2, page 434.
Troisième étape : dans la grande salle
Chorale : « C’est auprès de Dieu »
Témoin n°3 : Je peux vous dire que c’est à un étrange repas que j’ai assisté… Treize hommes autour de la table. Ou, devrais-je dire, 12 + 1, tellement tous les regards convergeaient vers celui qu’ils appelaient « Rabbi, Maître » ? Le repas s’est bien passé, il faut reconnaître que je les ai bien reçus. J’avais tout prévu en quantité, tant pour la nourriture que pour la boisson. Pensez ! Treize hommes !
Ce que je n’avais pas prévu, c’est ce que leur maître, Jésus, allait faire à la fin du repas : Il s’est levé de table, a quitté ses vêtements et a mis un linge autour de sa taille. Ensuite il a versé de l’eau dans un bassin et il a commencé à laver les pieds des disciples et à les essuyer avec le linge qu’il avait autour de la taille.
L’un d’eux, Simon, s’est débattu ! Son maître, à demi-nu, qui allait lui laver les pieds comme une esclave ! Il n’en était pas question !
Mais Jésus a dit : « Si je vous ai lavé les pieds, moi, le Seigneur et le Maître, vous devez aussi vous laver les pieds les uns aux autres ».
Drôle de Seigneur, n’est-ce pas ?
Témoin n°1 : Temps de méditation guidée
Recueil Alléluia, cantique 44/18 : « Tu es venu jusqu’à nous », strophes 1 à 4, p. 678.
Quatrième étape : sur la pelouse derrière la salle
Témoin n°4 : Quand Jésus a été arrêté, c’est ici qu’il l’ont conduit, dans la maison du grand-prêtre. Il faisait froid, l’autre soir ! J’ai dû dire aux gardes d’allumer un feu. S’ils m’obéissent, c’est parce que je suis la gardienne de la porte. Personne ne rentre ni ne sort sans que je le sache.
Alors, quand le disciple de Jésus s’est approché pour se réchauffer, je l’ai repéré tout de suite ! Simon, qu’il s’appelle ! Mais Jésus lui a donné le nom de Pierre, à ce qu’il paraît.
Au début, je n’étais pas sûre de moi. « Ne fais-tu pas partie, toi aussi, des disciples de cet homme ? », que je lui ai demandé ! Il a dit non, pourtant… son visage me disait quelque chose !
Ensuite, c’est un garde qui lui a posé la question : « Ne fais-tu pas partie, toi aussi, de ses disciples ? » Encore une fois, Simon a nié !
À la fin, c’est un serviteur du grand-prêtre qui a dévisagé Simon. Et pas n’importe quel serviteur, un cousin de celui à qui Simon a coupé une oreille – pas étonnant que ça l’ait marqué ! « Ne t’ai-je pas vu avec lui dans le jardin ? », il lui a demandé.
Non, non, non !… a dit Simon.
Aussitôt, le coq chanta. Alors, Pierre est parti en pleurant. Et nous sommes restés là, tout étonnés.
Quand Jésus a été crucifié, on dit qu’il ne restait plus auprès de lui que sa mère, la sœur de sa mère, Marie la femme de Clopas et Marie de Magdala. On dit aussi que le disciple qu’il aimait était là pour soutenir sa mère.
Témoin n°1 : Je vous invite à la prière :
Notre Dieu, notre Père,
Pour toutes les fois
où nous avons délibérément rompu nos promesses,
pardonne-nous.
Pour toutes les fois
où nous avons tourné les yeux devant l’injustice,
pardonne-nous.
Pour toutes les fois
où nous avons eu honte de ceux et celles qui comptent pour nous,
pardonne-nous.
Pour toutes les fois
où nous n’avons pas eu l’élan de témoigner de ton amour,
pardonne-nous.
Pour toutes les fois où,
délaissant les plus petits, les malades, les pauvres, les prisonniers,
nous t’avons délaissé,
pardonne-nous. Amen.
Recueil Alléluia, cantique : « Reste avec nous, Seigneur » str. 1, 2 & 4.
Témoin n°3 : Pour recevoir le pardon que Dieu nous donne, je vous invite à vous mettre debout :
Frères et sœurs,
L’évangile de Matthieu se termine sur cette promesse de Jésus : Tout pouvoir m’a été donné dans le ciel et sur la terre. Allez, faites de toutes les nations des disciples, les baptisant au nom du Père, du Fils et du Saint Esprit, et enseignez-leur à observer tout ce que je vous ai prescrit. Et voici, je suis avec vous tous les jours, jusqu’à la fin du monde.
Le Seigneur est présent, malgré toutes nos absences,
il est fidèle, malgré toutes nos fuites,
il est pardon, malgré le poids de notre péché.
Ainsi nous le croyons, Dieu nous pardonne en Jésus Christ ! Amen.
Chantons notre reconnaissance : recueil Alléluia, Cantique : « Reste avec nous, Seigneur » str. 5 & 6.
Pendant le cantique, Témoins 1 et 3 se rendent dans le temple et mettent leur robe pastorale
Cinquième étape : dans le temple
Accueil
Frères et sœurs, chers amis,
Comme nous, il y a 2 000 ans, une femme s’est mise en chemin : c’était Marie de Magdala.
Comme nous ce matin, elle n’a pu que constater que son Seigneur n’était pas là où elle l’attendait.
Au moment d’entendre cette Parole du fond des âges, cette Parole qui nous déplace et nous met en chemin, prions
Prière d’illumination
Dieu vivant, aujourd’hui, par la victoire de ton Fils sur la mort, tu nous ouvres l’éternité.
Que ton Esprit nous donne de ressusciter chaque jour avec le Christ,
qu’ainsi nous marchions en nouveauté de vie.
Tu es béni pour les siècles des siècles. Amen.
Lecture biblique : Jean 20, 1.11-18
Le premier jour de la semaine,
Marie de Magdala vient au tombeau
dès le matin,
alors qu’il fait encore sombre,
et elle voit que la pierre a été enlevée du tombeau.
Marie se tenait dehors,
près du tombeau,
et elle pleurait.
Tout en pleurant,
elle se baissa pour regarder dans le tombeau.
Elle voit alors deux anges vêtus de blanc,
assis là où gisait précédemment le corps de Jésus,
l’un à la tête et l’autre aux pieds.
Ils lui dirent :
Femme, pourquoi pleures-tu ?
Elle leur répondit :
Parce qu’on a enlevé mon Seigneur, et je ne sais pas où on l’a mis.
Après avoir dit cela, elle se retourna ;
elle voit Jésus, debout ;
mais elle ne savait pas que c’était Jésus.
Jésus lui dit :
Femme, pourquoi pleures-tu ? Qui cherches-tu ?
Pensant que c’était le jardinier, elle lui dit :
Seigneur, si c’est toi qui l’as emporté, dis-moi où tu l’as mis,
et moi, j’irai le prendre.
Jésus lui dit :
Marie !
Elle se retourna et lui dit en hébreu :
Rabbouni ! – c’est-à-dire : Maître !
Jésus lui dit :
Ne me retiens pas,
car je ne suis pas encore monté vers le Père.
Mais va vers mes frères
et dis-leur que je monte vers celui qui est mon Père et votre Père,
mon Dieu et votre Dieu.
Marie de Magdala se rend donc auprès des disciples
et leur annonce :
« J’ai vu le Seigneur ! »
Et elle leur raconte ce qu’il lui a dit.
Annonce de la Résurrection
Frères et sœurs, chers amis,
le Christ est ressuscité !
En vérité, il est ressuscité ! Amen !
Les enfants sont à présent invités à retrouver les ânes pour la suite de leur programme.
Chantons notre joie : Recueil Alléluia, cantique 54/12 : « Rédempteur du monde », str. 1 à 3, p. 889. Les cloches sonnent à la volée pendant le cantique
Prédication
« Comment cela s’appelle-t-il, quand le jour se lève, comme aujourd’hui, et que tout est gâché, que tout est saccagé, et que l’air pourtant se respire, et qu’on a tout perdu, que la ville brûle, que les innocents s’entre-tuent, mais que les coupables agonisent, dans un coin du jour qui se lève ?
– Cela a un très beau nom, femme Narsès. Cela s’appelle l’aurore. »
Sœurs et frères, chers amis, cette dernière réplique d’Électre, la tragédie de Jean Giraudoux, illustre le trajet que doit parcourir Marie de Magdala au matin de Pâques. Pour elle, à la Croix, « tout est gâché, tout est saccagé » et il lui faut du temps pour constater que, « l’air se respire » pourtant, « dans un coin du jour qui se lève ».
Cette aurore s’ouvre sur le douloureux constat d’une absence et s’achève dans l’annonce faite aux disciples : « J’ai vu le Seigneur ». Entre les deux, se nouent les étapes de la vie d’une femme qui cherche le corps mort de son ami et maître et qui va se découvrir, elle-même, vivante, remise en marche. L’événement de Pâques qui se déroule devant ce tombeau vide, c’est l’histoire d’un deuil transfiguré par l’amour, l’histoire d’une femme en deuil relevée par l’Amour en personne. C’est aussi l’histoire d’un Dieu qui se dévoile comme plus-que-vivant[3] et insaisissable, dans la pénombre d’un matin qui tarde à venir.
Cette rencontre de Marie avec Celui qui déjoue ses certitudes m’a fait penser à un autre texte, beaucoup plus ancien, puisqu’il est au chapitre 32 du livre de la Genèse. C’est le récit dit du « combat de Jacob ». Jacob est le fils d’Isaac et le petit-fils d’Abraham. C’est aussi le frère jumeau d’Esaü. Esaü est l’aîné, et Jacob est sorti du ventre de sa mère juste après, agrippé au talon de son frère. C’est de là qu’il tire son prénom : Jacob, c’est celui qui talonne, voire qui supplante – et de fait, Jacob a volé l’héritage de son frère aîné. Parce que pour lui, la vie n’est pas juste et donc Dieu n’est pas juste. Au début du chapitre 32 de la Genèse, Jacob se met en route pour enfin retrouver son frère et se réconcilier avec lui. Mais Jacob n’est pas rassuré.
Et voici ce que nous dit le texte, je lis les versets 23 à 33 : Jacob se leva cette nuit-là, prit ses deux femmes, ses deux servantes et ses onze enfants, et passa le gué du Yabboq. Il les prit, leur fit passer l’oued et fit aussi passer ce qui lui appartenait. Jacob resta donc seul. Alors un homme se battit avec lui jusqu’au lever de l’aurore.Voyant qu’il ne pouvait l’emporter sur lui, il le frappa à l’intérieur de la cuisse ; et l’intérieur de la cuisse de Jacob se démit pendant qu’il se battait avec lui. Il dit : Laisse-moi partir, car l’aurore se lève. Il répondit : Je ne te laisserai pas partir sans que tu m’aies béni. Il lui demanda : Quel est ton nom ? Il répondit : Jacob. Il reprit : On ne te nommera plus Jacob, mais Israël ; car tu as lutté avec Dieu et avec des hommes, et tu l’as emporté. Jacob lui demanda : Je t’en prie, dis-moi ton nom.Il répondit : Pourquoi demandes-tu mon nom ? Et il le bénit là. Jacob appela ce lieu du nom de Peniel (« Face de Dieu ») ; car, dit-il, j’ai vu Dieu face à face, et j’ai eu la vie sauve. Le soleil se levait lorsqu’il passa Penouel. Jacob boitait à cause de sa cuisse. C’est pourquoi, jusqu’à ce jour, les Israélites ne mangent pas le tendon qui est à l’intérieur de la cuisse ; car il avait atteint Jacob à l’intérieur de la cuisse, au tendon.
Dans les deux récits, celui de Marie au tombeau, comme celui du combat de Jacob, un mystère entoure l’identité du personnage rencontré. Et puis, quelque chose est brisé dans la vie de Marie et de Jacob, brisé, mais pas irréparable. Pour parcourir ces textes aujourd’hui, j’ai fait le choix de m’arrêter sur trois prises de parole de Marie, en me demandant ce que l’amour nous dit de Pâques et ce que Pâques nous dit de l’amour.
Dans le passage que nous avons entendu en Jean 20, Marie entre en dialogue, d’abord avec les deux anges, puis avec Jésus. Mais ce n’est pas elle qui initie la conversation. Elle ne fait que répondre, comme tout croyant, toute croyante est invité∙e à répondre à la Présence de Dieu. Pour nous, dit la 1re épître de Jean, nous aimons Dieu, parce qu’il nous a aimés le premier[4]. Il y a en Marie, je crois, un modèle de la personne qui se laisse relever par Dieu. Alors observons comment ce cheminement se fait en elle.
Aux deux anges qui lui demandent « Femme, pourquoi pleures-tu ? », Marie répond : « parce qu’on a enlevé mon Seigneur, et je ne sais pas où on l’a mis ». De même, à Jésus qui lui pose la même question, et le prenant pour le jardinier, Marie s’exclame : « si c’est toi qui l’as emporté, dis-moi où tu l’as mis, et moi, j’irai le prendre. »
Ainsi, Marie est à la recherche d’un corps qui, pour elle, dit quelque chose de Dieu et quelque chose de l’amour. Pour Jacob aussi, le mystérieux inconnu a quelque chose de divin, quelque chose qu’il ne peut pas lâcher. Jacob, tellement déçu par la vie, par son sort d’éternel second dans l’existence, a un compte à régler avec Là-Haut – alors quand le divin vient combattre avec lui, il s’agrippe à lui, au point que l’inconnu soit obligé de lui demander Laisse-moi partir, car l’aurore se lève. Et Jacob de répondre : Je ne te laisserai pas partir sans que tu m’aies béni. Une nouvelle fois, Jacob s’agrippe, comme Marie de Magdala s’agrippe au Ressuscité quand elle le reconnaît enfin. Ce qui fera dire à Jésus : Ne me retiens pas, ou plus littéralement : ne t’agrippe pas à moi.
Ceux et celles qui pleurent un être aimé savent combien la séparation d’avec le corps est une déchirure. Ne plus pouvoir toucher la personne, ne plus pouvoir sentir son odeur et entendre sa voix sont autant d’arrachements. Ne dit-on pas, d’ailleurs, pour évoquer la mort d’un proche, qu’on a « perdu » quelqu’un comme Marie a perdu Celui que son cœur aime ?
La psychiatre américaine Elisabeth Kübler-Ross a développé une théorie du deuil qui explique ce processus en cinq étapes successives : le déni, la colère, le marchandage, la dépression et l’acceptation. Tout n’est pas si simple, évidemment, et ce modèle est remis en question, mais on retrouve chez Marie déjà plusieurs étapes de ce processus : le déni, la colère et même le marchandage. Pour elle, le corps a été volé et il y a donc quelqu’un à accuser.
Mais, dans l’histoire du matin de Pâques, il n’y aura pas de corps à retrouver, à enfermer dans un tombeau et à protéger. Le matin de Pâques nous dit qu’il y a derrière la mort – toute mort – autre chose à découvrir, il y a derrière la mort une Rencontre à vivre.
Les deux anges assis de part et d’autre de l’endroit où se trouvait le corps de Jésus évoquent peut-être les deux chérubins en or qui encadraient la présence de Dieu dans le saint des saints, au cœur du Temple de Jérusalem. Désormais, c’est une absence que les anges entourent, car il est impossible d’encadrer Dieu, de le garder sous cloche, de mettre la main sur Lui. Le Vivant – ou, disons pour changer : la Vivante, parce que Dieu n’a pas de genre – la Vivante, Celle que nos cœurs cherchent tout au long de notre vie – la Vivante échappe à la mainmise. C’est la première leçon que reçoit Marie de Magdala au matin de Pâques – une leçon qu’il faut parfois une vie pour intégrer.
Ensuite, nous rapporte le texte, Jésus lui dit : Marie ! Elle se retourna et lui dit en hébreu : Rabbouni ! – c’est-à-dire : Maître !
En l’appelant par son nom, Jésus remet Marie sur le chemin de la vie. Il la fait sortir du tombeau du déni, il la fait aussi sortir de son aveuglement et de ses larmes. Dans son essai intitulé Ce lien qui ne meurt jamais, Lytta Basset explique que « le chemin de vérité qui mène à une Vie plus forte que l’irréparable n’est pas l’apanage des croyants, pas même des adeptes de telle ou telle religion. Le clivage est ailleurs. Il dépend de l’orientation choisie : malgré ou à travers la mort de notre proche, désirons-nous ardemment aller vers ce qui vit ou décidons-nous d’étouffer ce désir en nous ?[5] » Et dans l’évangile de Jean, il est précisément question d’orientation.
En effet, Jésus lui dit : Marie ! Elle se retourna. Or, quelques versets auparavant, on lit qu’après avoir parlé aux anges assis dans la tombe, Marie se retourna et vit Jésus, debout. Bref, si on suit la logique du texte, Marie était face à Jésus et quand il l’appelle par son prénom, elle lui tourne le dos ! À moins, bien sûr, qu’on prenne le narrateur au sérieux. En employant deux fois le verbe « se retourner », Jean fait ici référence à la notion, en hébreu, de shuv, qui signifie à la fois se retourner et se convertir ou, pour le dire en des termes plus contemporains : changer de regard. Ces moments d’éternité devant le tombeau vide sont pour Marie l’occasion de changer de regard sur ce à quoi elle a assisté pour nourrir en elle le désir ardent d’aller vers ce qui vit.
Pour cela, Marie a besoin de savoir que le lien n’est pas rompu entièrement. C’est pour cela que Jésus l’appelle : « Marie ! ». Le Ressuscité lui rappelle qu’elle n’est pas seulement une femme en larmes, devant deux messagers inconnus, elle est aussi l’amie qui a partagé du temps avec Lui. D’une certaine manière, elle reste l’amie et c’est cette prise de conscience qui va lui permettre de ne pas étouffer en elle le désir de vivre.
Elle se retourna et lui dit en hébreu : Rabbouni ! – c’est-à-dire : Maître ! Sauf que… « Rabbouni », ça ne veut pas exactement dire « Maître », mais « mon maître »… parce que Marie n’a pas encore intégré la dépossession causée par la mort. Jésus n’est plus seulement son-maître-à-elle, il est le Ressuscité. Il y a encore un lien, mais ce lien est passé par le creuset de l’éternité. Dire « mon maître », c’est encore une manière d’essayer de mettre la main sur Dieu.
Dans le récit du combat de Jacob, l’inconnu use d’une pédagogie différente de celle de Jésus, mais il est encore question de nom. Cette fois, c’est Jacob qui réclame : Je t’en prie, dis-moi ton nom. Et l’inconnu répond : Pourquoi demandes-tu mon nom ? Et il le bénit là. Parce que son nom est bénédiction et que cette bénédiction ne s’accapare pas, comme on ferait des réserves au cellier.
« Tourneras-tu ton regard, demande Lytta Basset, vers la possibilité que peu à peu le Vivant te redonne son propre poids d’existence, cette densité de présence dont aucune destruction, jamais, ne saurait venir à bout ?[6] »
Une « densité de présence », c’est ce que va retrouver Marie. Elle aurait tendance à s’évaporer, à s’agripper à une dimension subtile du monde – bref : à se laisser mourir – mais ce n’est pas là que le Ressuscité la veut. Lui il va vers son Père, elle, elle va vers ses frères – comme Jacob est sur la route vers Esaü !
Va vers mes frères, dit Jésus, ce qui fait de Marie la première envoyée – en grec : la première Apôtre du Ressuscité. Une apôtre qui peut proclamer : « J’ai vu le Seigneur ! », comme Jacob après son combat. En effet, voici ce que dit Genèse 32, 31 : Jacob appela ce lieu Peniel – c’est-à-dire Face-de-Dieu – car « j’ai vu Dieu face à face et ma vie a été sauve ».
Jacob et Marie de Magdala sont à un passage de leur vie – le mot est d’ailleurs employé plusieurs fois dans l’épisode de la Genèse. Un passage, en hébreu pessah, Pâques. Un passage de brutalité, un passage de combat avec une image de Dieu qu’il faut lâcher, pour avoir la vie sauve. Et ici « avoir la vie sauve », ça n’est pas simplement survivre, mais vivre pleinement, vivre en abondance. Et que cette vie en abondance dise quelque chose de ce qui bouillonne en nous : « J’ai vu le Seigneur », j’ai rencontré la Présence. Et ma vie en a été sauve.
Comme Jacob, Marie est lestée dans la vie par cette rencontre avec Jésus : elle retrouve son « propre poids d’existence » comme dit Lytta Basset, « cette densité de présence dont aucune destruction, jamais, ne saurait venir à bout. » Comme Jacob, toujours agrippé au talon de son frère, Marie va pouvoir lâcher ce qui la détourne de la vie pour retourner là où, en quelque sorte, le printemps l’appelle et nous appelle à voguer en nouveauté de vie[7], forts et fortes de cette promesse entendue au loin par la poétesse Andrée Chédid :
Que demain puisse compter,
Quand tout est abandon ;
Que nous soyons ensemble
Égarés et lucides,
Ardents et quotidiens,
Et que l’amour demeure après le discrédit[8].
Le Christ est ressuscité ! En vérité, il est ressuscité !
Amen, alléluia.
Silence – Chorale : « Adorons, adorons l’agneau » – Offrande
Sainte cène
Préface et intercession
Dieu fidèle,
Ta Parole nous a redit dans quelles promesses tu as semé la Création :
Promesse de vie et non de mort,
Promesse d’amour et non de haine,
Promesse de pardon et non de revanche.
Dans la confiance, nous nous inclinons devant toi :
Cantique : Kyrie de Taizé.
Kyrie, Kyrie, eleison ! Kyrie, Kyrie, eleison !
Dieu notre Père, emplis nos vies de ta compassion, que nous vivions dans la générosité du pardon.
Kyrie, Kyrie, eleison ! Kyrie, Kyrie, eleison !
Pour ceux qui ne peuvent croire, et qui donnent leur vie au service des autres, nous te prions.
Kyrie, Kyrie, eleison ! Kyrie, Kyrie, eleison !
Pour l’Église, ferment de communion : Seigneur, fais luire sur elle ta face.
Kyrie, Kyrie, eleison ! Kyrie, Kyrie, eleison !
O Christ, lumière d’en haut, viens visiter tous ceux qui sont dans les ténèbres : montre-leur le chemin de ton amour.
Kyrie, Kyrie, eleison ! Kyrie, Kyrie, eleison !
Sois le soutien de ceux qui connaissent difficultés et découragements, toi, source de confiance et de vie.
Kyrie, Kyrie, eleison ! Kyrie, Kyrie, eleison !
Guide-nous par ton Esprit pour accomplir la volonté de ton amour, donne-nous un cœur nouveau.
Kyrie, Kyrie, eleison ! Kyrie, Kyrie, eleison !
Silence
Que nos jours aient le parfum de l’aube et non du crépuscule ;
Que nos gestes aient la forme du matin qui se lève, et sa couleur ;
Que notre communion dise quelque chose de l’Église de toujours et pour toujours, l’Église qui chante à la face du Père et qui chantera pour l’éternité : Saint, saint, saint ! Magnifique est le Seigneur !
Recueil Alléluia, cantique : 14/03 « Magnifique est le Seigneur », str. 1, 5 et 8, p. 212.
Institution : Nous nous souvenons que la nuit où le Seigneur Jésus a été livré, il a pris du pain. Il a remercié Dieu, puis il a partagé le pain et il a dit : « Ceci est mon corps. Il est pour vous. Faites cela en souvenir de moi. » Après le repas, le Seigneur a pris aussi la coupe de vin et il a dit : « Cette coupe est la nouvelle alliance de Dieu, parce que mon sang est versé pour vous. Toutes les fois que vous en boirez, faites cela en souvenir de moi. »
Prière eucharistique : Dieu fidèle, nous faisons mémoire devant toi de ton Fils Jésus-Christ, notre Seigneur : Sa naissance parmi nous, son enseignement et ses gestes, sa souffrance et sa mort, sa résurrection et son ascension dans le ciel. Dans la confiance, nous proclamons qu’il reviendra.
Par ton souffle saint, Dieu notre Père, donne-nous communion dans ce pain et dans ce vin au corps et au sang de Celui qui nous a appelé à célébrer ce repas, ce même repas qu’un jour nous partagerons au ciel, avec toutes celles et tous ceux qui ont cherché ici-bas la trace de ton amour.
Par Lui, avec Lui et en Lui, à Toi, Dieu le Père Tout-Puissant, dans l’unité du Saint-Esprit, tout honneur et toute gloire pour les siècles des siècles ! Amen.
Chorale : « Oh ! Jésus, mon sauveur »
Invitation : Manger ce pain et boire ce vin, c’est partager la table du Ressuscité, c’est entrer dans le festin du Royaume. Venez, car tout est prêt ! (Et n’oubliez pas vos livrets de chants !)
Même si vous ne souhaitez pas prendre la communion, je vous invite à rejoindre le cercle si vous le voulez bien, car c’est d’ici que se terminera notre culte. Au moment où passeront le pain et le vin, vous pourrez indiquer simplement que vous ne communiez pas.
Fraction, élévation : en rompant le pain Le pain que nous rompons est communion au corps du Christ ressuscité ! en élevant la coupe La coupe de bénédiction pour laquelle nous rendons grâce est communion au sang du Christ ressuscité !
Distribution
Action de grâces : Dieu notre Père, en ce jour nous célébrons la victoire de la vie sur toute mort. Par cette communion, tu fais jaillir en nous l’espérance : rien ni personne ne pourra désormais nous séparer de toi.
En Jésus-Christ, main dans la main,
nous te disons la prière qui fait de nous tes enfants :
Notre Père qui es aux cieux…
Exhortation et bénédiction
Heureux les agnostiques. Heureux ceux et celles qui doutent. Ceux et celles qui n’ont rien à offrir. Heureux les enfants qui n’arrivent pas à patienter pendant le culte. Heureux les pauvres en esprit. Vous êtes du ciel et Jésus vous bénit.
Heureux ceux et celles que personne ne remarque. Les élèves qui s’assoient seuls à la table du réfectoire. Les blanchisseurs à l’hôpital. Les prostituées et les balayeurs de nuit. Ceux et celles qui sont enfermés. Les adolescents qui cherchent à cacher leurs cicatrices. Heureux les doux.
Vous êtes du ciel et Jésus vous bénit.
En avant, ceux et celles qui ont aimé suffisamment pour savoir ce qu’est la perte. En avant, celles qui ne peuvent pas s’effondrer parce qu’elles doivent rester debout pour tous les autres. En avant, ceux qui « ne s’en sont pas encore remis ». En avant ceux qui pleurent.
Vous êtes du ciel et Jésus vous bénit.
J’imagine Jésus ici, en train de nous bénir parce que c’est la nature de notre Seigneur. Ce Jésus, qui a pleuré sur la tombe de son ami Lazare, a tendu l’autre joue et a pardonné à ceux qui l’ont cloué sur une croix. Il était le bonheur de Dieu – la bénédiction de Dieu pour les faibles, dans un monde qui n’admire que les forts.
Jésus nous invite à participer à une histoire plus grande que nous-mêmes, plus grande que notre imagination. Mais, toutes et tous, nous devons raconter cette histoire avec l’accent scandaleux du matin de Pâques. Nous sommes des créatures qui racontons des histoires parce que nous sommes créés à l’image d’un Dieu qui raconte des histoires. Puissions-nous ne jamais négliger ce don de l’annonce de la Bonne Nouvelle. Puissions-nous ne jamais perdre le goût de cette annonce[9] : le Christ est ressuscité, alléluia !
Les mains levées
Dieu vous bénit et vous garde.
Il vous envoie porter sa Bonne Nouvelle d’amour et de vie,
Lui qui est Père, Fils et Saint-Esprit !
Amen.
Recueil Alléluia, cantique : 34/18 : « À toi la gloire », str. 1, 2 et 3, p. 456.
Sonnerie de cloches à la volée
[1] Chapitre 2, versets 10 à 13
[2] Jean 12, 15 cf. Za 9, 9
[3] Francine Carrillo, Le Plus-que-vivant, Labor et Fides, 2009.
[4] 1 Jean 4, 19
[5] Lytta Basset, Ce lien qui ne meurt jamais, Albin Michel, p. 11.
[6] Lytta Basset, op. cit., p. 12.
[7] Romains 6, 4
[8] Extrait de : Andrée Chédid, « Saison des hommes ».
[9] Librement inspiré de la prière finale du service funèbre de Rachel Held Evans.
Crédits : François Choquet (EPUB), Point KT, Pixabay