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Bible et désert

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Pour la Bible, le désert est « le pays des steppes et des pièges, pays de la sécheresse et de l’ombre mortelle, pays où nul ne passe, où personne ne réside » (Jérémie 2,6) ; paysage de désolation, il est hostile. C’est aussi un lieu hautement symbolique d’un type de cheminement spirituel, de transformation possible où l’être passe de l’inachèvement à l’accomplissement, du dépouillement à la quête de l’absolu. Le désert est un lieu aride et vide où presque rien ne peut pousser. Ce lieu hostile où les bêtes affluent était bien connu et redouté des Hébreux puisqu’il représentait, au même titre que la mer, le lieu par excellence du mal, des bêtes et des démons. Si l’on se retrouvait là, on ne pouvait pas trouver âme qui vive en permanence ; c’est pourquoi le désert représente aussi la solitude.

S’il est d’abord un lieu géographique où presque rien ne pousse, cet espace aride est avant tout un lieu symbolique, un lieu à traverser : passage nécessaire entre un pays de servitude et d’esclavage et une terre où coulent le lait et le miel.

ANCIEN TESTAMENT

  • Lieu d’épreuve

Le peuple d’Israël y est conduit et éprouvé durant quarante ans : « Souviens-toi des marches que Yahvé ton Dieu t’a fait faire pendant quarante ans dans le désert afin de te mettre dans la pauvreté, de t’éprouver, de connaître le fond de ton cœur » (Deutéronome 8,2). Il fait l’expérience de la famine, des morsures de serpents et de toutes sortes de dangers. Le désert, c’est la mort de ses suffisances, la mise à nu de sa pauvreté, le lieu où se reçoit la vie, comme l’eau qui jaillit du rocher, comme la manne tombée du ciel.

  • Lieu de la sollicitude de Dieu

Au pays de la soif, le peuple prend conscience de sa fragilité. « Au désert » écrit Jean-Yves Leloup, « deux certitudes : la soif et la poussière. Entre ces deux certitudes : un doute, un désir => l’eau ». Les Hébreux réalisent qu’ils ne subsistent que par le bon vouloir et la sollicitude de Dieu (manne, cailles, eau => cf. Ex 16 et 17). Ils découvrent, au bout de leur longue traversée, véritable marche initiatique, qu’en Lui se trouve l’oasis où ils peuvent se désaltérer, l’eau indispensable à leur survie et source de leur vie : « Je les fis sortir du pays d’Égypte et je les menais au désert. Je leur donnais mes lois et leur fis connaître mes coutumes, qui font vivre l’homme qui les pratique… Mais mon œil eut compassion d’eux, je ne voulus pas les détruire ; je ne les exterminais pas dans le désert » (Ézéchiel 20, 10ss).
Dans sa grande fidélité, Dieu n’oublie pas son peuple et lui fait voir sa miséricorde. Malgré les murmures de mécontentement, il donne de quoi survivre au désert : l’eau jaillissant du rocher, les cailles, la manne… Par contre, il fait périr ceux qui refusent de sortir de leur endurcissement (Nombres 14, 29). Mais au bout de la route, pour ceux et celles qui ont tenu le coup, la terre promise apparaît. A partir de ce moment, l’image du désert est aussi bien celle d’une terre d’épreuve que le lieu de la révélation de la gloire et de la sainteté divine.

  • Lieu de purification
Après avoir conquis le territoire palestinien et s’y être installé, Israël se laisse rapidement séduire par les divinités des peuples qui l’entourent. Le désert est alors devenu le symbole d’une relation privilégiée entre Dieu et son peuple. La tradition a retenu l’époque de sa traversée comme celle d’une épuration de sa foi. Cela prend la forme de formidables appels à la conversion. Même si le désert est un lieu sans vie, où règne la mort, le peuple l’a traversé sans périr. Pourquoi ? Parce qu’il se laissait guider par Dieu. L’avenir d’Israël ne se trouve-t-il pas alors en lui ?
  • Le désert, lieu privilégié de la rencontre avec Dieu

Le désert, espace insolite, sans repère et sans frontière, est un lieu d’épreuve, certes, mais en même temps un refuge : pour Ismaël et sa mère, pour David, pour Moïse qui y reçoit sa mission, pour les prophètes qui viennent s’y ressourcer et s’y purifier. C’est donc un lieu privilégié de la rencontre avec Dieu. « Au désert, Yahvé, ton Dieu, te soutenait comme un homme soutient son fils, tout au long de la route que vous avez suivie jusqu’ici » (Deutéronome 1,31). Le désert devient le lieu de la bienveillance de Dieu puisqu’en ce lieu, le peuple comme les prophètes (Élie, etc.), bénéficient de la protection mais aussi de la nourriture que Dieu fournit. C’est aussi le lieu de l’amour et de la miséricorde de Dieu. En bref, c’est l’endroit où le mal est concentré, mais aussi et surtout, l’endroit où Dieu se manifeste pleinement par son amour et sa miséricorde qui purifie les cœurs blessés.

Dans l’immensité et l’immobilité du désert, Dieu se révèle comme libérateur et sauveur, fidèle et miséricordieux. Il parle au cœur de son peuple et lui fait découvrir sa vocation. Le prophète Osée va jusqu’à évoquer le désert comme un lieu de fiançailles, d’intimité profonde entre Dieu et les siens (Osée 2), un lieu de salut.
Le désert rend ainsi possibles de nouveaux commencements, une proximité plus intense avec Dieu.

  • Lieu de dépouillement

C’est un lieu de dépouillement. Installé en terre sainte, Israël se remémore les jours passés au désert et essaie d’en comprendre la portée. II fait des comparaisons avec sa situation actuelle et prend conscience du caractère simple et dénudé du culte à cette époque. En devenant sédentaire, le peuple s’adonne à des cérémonies de plus en plus élaborées, avec tous les excès que cela suppose. Le prophète Amos dénonce ces excès en ces termes : « Des sacrifices et des oblations, m’en avez-vous présentés au désert, pendant quarante ans, maison d’Israël ? » (5, 25). Le désert est devenu le symbole de la pureté cultuelle. Les prophètes l’intègrent à leurs appels à la conversion en rappelant le sens véritable du culte : celui-ci doit refléter la paix et la justice régnant dans la société.
Au retour d’exil, le trajet menant de Babylone à Jérusalem est parcouru sur un air de fête, car il sonne un nouveau départ pour Israël (Ésaïe 43, 19-20). « Le désert et la terre de la soif, qu’ils se réjouissent ! Le pays aride, qu’il exulte et fleurisse, qu’il se couvre de fleur des champs, qu’il exulte et crie de joie ! On verra la gloire du Seigneur, la splendeur de notre Dieu » (Ésaïe 35, 1-2).

NOUVEAU TESTAMENT

  • Lieu ambivalent

Dans le Nouveau Testament, le désert se présente également comme un territoire ambigu, lieu de face à face avec Dieu et véritable creuset de purification. Jean-Baptiste parait dans le désert et accomplit la prophétie d’Isaïe : « À travers le désert, une voix crie : Préparez le chemin du Seigneur » (Marc 1, 3-4). Jésus s’y retire pour prier, y découvrir les choix à faire et la route à suivre. Si, dès son baptême, il est conduit durant quarante jours pour être tenté par le diable, c’est bien pour vérifier sa vérité d’homme et être configuré à son Père. Car le désert révèle l’homme à lui-même, à la fois dans sa solitude et la nudité de son être, mais aussi en tant que créature façonnée par la grâce.
C’est au désert que Jésus renouvelle le miracle de la manne, multipliant le pain pour la foule qui le suit, tout en annonçant un autre pain : « Au désert, vos pères ont tous mangé de la manne, et ils sont morts ; moi, je suis le pain vivant descendu du ciel si quelqu’un mange de ce pain, il vivra éternellement » (Jean 6, 49-51).

  • Lieu de ressourcement

De prime abord étrange et étranger, le désert est donc un prodigieux lieu de ressourcement et de contemplation, d’où on ressort autrement, grandi, renouvelé. Ce qui fera dire au Petit Prince : « Ce qui embellit le désert, c’est qu’il cache un puits quelque part. On ne voit rien, on n’entend rien, et cependant quelque chose rayonne en silence ».
Le désert, avec ce qu’il a de douloureux ou de torride, n’est-il pas cet espace, réel ou symbolique, où chacun peut découvrir à la fois son manque et la source cachée qui se révèle quand il démasque les mirages et se laisse conduire à de nouvelles oasis ?

  • Le désert représente l’itinéraire spirituel qui permet le retour à Dieu

S’opposant à la terre cultivée, fertile, son aridité et sa stérilité n’empêche pas la puissance de Dieu de se manifester. C’est un lieu de transformation possible où l’être passe de l’inachèvement à l’accomplissement, du dépouillement à la quête de l’absolu.
Le désert symbolise l’espace infini qui sépare l’homme de Dieu, distance franchie à travers un cheminement purificateur ; passage de l’esclavage à la liberté, marche vers la terre promise.

Crédits : Édith Wild