Le temps… Le temps qui passe, le temps que cela prend ; le temps d’un regard, le temps est venu… Le temps est passé. A la recherche du temps perdu, il nous faudrait gagner du temps… Dans le temps… Le bon vieux temps…
Que de choses différentes dans un seul mot ! Différentes non seulement en termes de compréhension générale, mais aussi en termes de vécu individuel et particulier.
Bien sûr, il y a le temps « chronos », celui qui se mesure montre en main, au rythme de la trotteuse, seconde après seconde. C’est un temps linéaire : on n’y revient pas en arrière. Il y a aussi le temps « kaïros » qui est un temps de l’ordre de la qualité, une perception particulière d’un moment qui peut influencer une décision, comme si ce temps véhiculait un niveau d’énergie propice à un changement de parcours. Ce temps-là est de l’ordre du ponctuel, de l’événementiel. Et puis, il y a le temps biologique : celui des saisons, des croissances et des mûrissements ; c’est un temps cyclique, qui revient et repart sans jamais s’arrêter vraiment. Même la fin, même la mort y prend une place de recommencement… Et encore le temps légal, qui pèse tellement sur nos vies occidentales, les délais, les dates limites, ce temps qui ne tient aucun compte des réalités biologiques de nos existences… Dans nos Églises, nous avons les temps liturgiques, qui sont des référents cycliques, des repères récurrents. Quelquefois récupérés de fêtes païennes liées aux saisons, ces temps nous permettent de structurer nos vies communautaires, ils entretiennent le sentiment de l’attente, de l’inaccompli et de l’accompli, la nécessité d’un passage, le sentiment de l’éternité…
Le temps linéaire, dans l’Église, nous confronte à la dualité entre « hier-demain », tendant à nous faire oublier l’« aujourd’hui » ! Nous avons des héritages à gérer, des traditions et nous sommes invités à puiser dans ces racines la force de constamment nous mettre en route vers l’avenir. Mais ne nous trompons pas, la manne, au désert, nous invite avec insistance à penser et à vivre le temps présent, l’aujourd’hui, en termes de confiance : pas de prévision, pas de provision ! Sachant que confiance ne veut pas dire immobilisme, statisme, attentisme ! Notre temps est rempli de ces discordances entre passé et avenir. Le christianisme est d’ailleurs présenté comme la religion de la nouvelle alliance, d’emblée comme une nouveauté, alors que c’est au plus profond de ses racines juives que Jésus puise l’essentiel de son message. Pour nos jeunes, les notions de racines et d’héritages sentent la poussière ! Eux qui sont habitués à un monde submergé de technologies aussitôt développées aussitôt dépassées, ils n’ont plus cette conscience du produit solide, durable, ni du réparable, récupérable… Que reste-t-il, pour nos jeunes et jeunes adultes, de ce qui a ponctué leur enfance ? Tout a changé.
Tout ? Pas le temps biologique, ni le temps liturgique… Et loin de subir passivement ce dernier, le croyant est invité à y insérer ses propres évolutions, ses propres projets, le fait qu’il grandit, vieillit, mûrit ; il est convié à transformer un temps chronologique, composé d’une succession de fêtes liées les unes aux autres dans un ordre établi, en un temps de kaïros, un temps d’opportunité dans la rencontre avec Dieu.
« Le temps passé à s’accorder n’est pas du temps perdu », dit Lanza del Vasto. Cette phrase résume assez bien ce que nous vivons dans l’Église, à la fois dans nos relations communautaires et dans notre relation avec Dieu. Plus nous avons l’impression d’être des gens occupés, actifs, voire surchargés, plus il sera important pour nous de nous assurer un capital relationnel, un réseau social – un vrai réseau, non pas basé uniquement sur nos « amis » de la Toile – et plus il sera important pour nous de pouvoir répondre à des invitations spontanées. Le Nouveau Testament nous rapporte ainsi plusieurs repas improvisés, qui d’ailleurs semblent mieux se dérouler au plus ils sont improvisés ! Ils sont à chaque fois l’occasion d’une révélation ou d’une rencontre particulière.
Aujourd’hui, les communautés ecclésiales sont de riches réseaux sociaux, intergénérationnels, socialement variés, et rassemblés par une foi commune en Jésus-Christ. Le capital relationnel qui s’y construit petit à petit, solidement ancré dans la foi, permet d’affronter les coups durs de l’existence, les deuils, les maladies, le grand âge, les pertes d’emplois… Nos groupes d’éveil, d’école biblique et de caté font partie de ce réseau social, de ce capital relationnel que l’Église peut offrir, et qui, à travers le temps chronos, fera émerger des moments de kaïros, des occasions d’échanges fraternels sous l’égide de Dieu.
« Le temps passé à s’accorder n’est pas du temps perdu… » Nous devons en être conscients, nous devons en être heureusement convaincus, en tant que moniteurs, monitrices, animateurs, animatrices, pasteur, pasteures, et nous pouvons interpeller nos communautés sur l’importance, encore aujourd’hui, de prendre le temps de construire et entretenir ce capital relationnel ancré dans la foi commune en Jésus-Christ…
Crédit : – Point KT