Les symboles, moyens de communication
Il existe deux catégories de phénomènes religieux : les croyances et les rites. Les croyances relèvent de l’abstraction, ce sont des discours sur Dieu, sur l’humain et sur leurs relations. Les rites relèvent de l’action, ce sont des comportements codifiés où l’humain et le divin sont mêlés. L’un est pensée, l’autre est mouvement.
La séparation n’est cependant pas aussi franche. Le mouvement rituel est pensé et l’expression de la pensée est ritualisée. A l’époque de la Réforme, Zwingli combat le rite parce qu’il s’est transformé en superstition. Le mouvement se vit alors sans être réfléchi. Il veut, par la pensée (la Parole de Dieu), libérer le rite des comportements irrationnels, autrement dit de la superstition. A l’époque de Zwingli, elle est tellement répandue que le mouvement réformé va très loin dans la lutte contre l’obscurantisme en matière de rites. Il fait de ces derniers une simple béquille liée à l’imperfection de l’humain, incapable de saisir le divin dans toute sa plénitude. Au bout du compte, dans le protestantisme le discours écrase le rite.
Or la pensée n’est pas en mesure d’aborder pleinement tous les aspects des choses ultimes. Il ne s’agit pas d’une imperfection de l’humain, mais d’un trait inhérent aux réalités qui nous surpassent. Rite et pensée se complètent mutuellement. Le rite n’est pas une béquille mais l’une des deux jambes de l’être religieux. Parallèlement, la pensée s’exprime de façon ritualisée. Tout discours, s’il veut être efficace, prend une forme rituelle. Cette forme permet au destinataire du discours de voir que le message lui est destiné. Il repère ainsi plus facilement le fonctionnement du discours. La presse, qui reproduit quotidiennement la même forme de présentation de l’information, en est le meilleur exemple.
Notre société utilise de plus en plus le langage indirect des symboles pour exprimer des pensées, décrire des réalités ou susciter des désirs. Le langage symbolique retrouve une légitimité que l’hégémonie cognitive avait mise à mal. Or le rite est le lieu par excellence du langage symbolique. Le rite peut, à notre époque, redevenir pleinement Parole de Dieu.
Les rites ont plusieurs fonctions
D’abord, le rite fédère les membres d’un même groupe qui se reconnaissent entre eux et vis-à-vis des autres. Les symboles doivent être spécifiques aux membres du groupe, pour qu’ils se reconnaissent.
Par ailleurs, le rite relie les participants à une vision du monde qui les surpasse. Il rappelle le sens du monde et de l’existence. Grâce au rite, l’humain faible, au destin incertain et au raisonnement limité, participe au divin. La symbolique doit être ici relativement universelle pour être signifiante.
Le rite constitue en effet également une réponse au trouble devant l’inconnu. Les rites de passages en particulier, aident à gérer l’angoisse devant un avenir nouveau et inconnu.
L’évolution des rites et le développement de nouveaux doit tenir compte de leur fonction et du sens symbolique des éléments qui les constituent.
L’Eglise doit offrir des rites de passage
Le baptême peut fonctionner comme le premier rite de passage de l’existence. Un rite de passage efficace se prépare et se célèbre pour des individus et pour leurs proches. Si le baptême faisait l’objet d’une célébration particulière comme le mariage et le service funèbre, son importance serait valorisée aux yeux du public. En organisant des célébrations pour le mariage et les services funèbres en dehors des célébrations habituelles, l’Eglise renforce leur importance aux yeux du public. En célébrant Baptême et Cène pendant les cultes réguliers, l’Eglise diminue leur importance aux yeux du public. Exemple typique où la pratique n’exprime pas la théologie !
Le moment de l’adolescence pose problème puisque ce n’est plus un moment mais une longue période. Elle commence en effet assez tôt, vers 12 ans, c’est-à-dire à l’âge où, en général, les jeunes entrent au catéchisme. Elle se termine très tard. Il y a au moins deux périodes d’adolescence : la période « juridique » et celle « d’autonomisation ». La période juridique concerne les jeunes entre 14 et 18 ans. Ils acquièrent petit à petit des droits et des devoirs. Le droit de rouler en scooter et celui de conduire une voiture balisent cette période. Ensuite arrive la période où, en phases successives, le jeune quitte le foyer familial. Il s’installe avec un conjoint mais peut continuer à amener, tous les samedis, son linge chez ses parents. La fin de cette longue période, l’entrée dans « la véritable période adulte », n’est guère balisé par un événement précis. D’une manière humoristique disons qu’elle se termine… lors du baptême du premier enfant !
Dans beaucoup d’Eglises protestantes, le catéchisme se situe au moment où les enfants entrent dans l’adolescence, de 12 à 14 ans. Le catéchisme, dans son ensemble, peut constituer ainsi un rite de passage entre la période de l’enfance qui se quitte de nos jours vers 11-12 ans et l’entrée, vers 14 ans, dans la longue période des diverses phases amenant à « la période adulte », dont baptême du premier enfant, pourrait constituer le rite de passage idéal !
Si la confirmation marque l’entrée dans « la véritable période des adolescences » (c’est ainsi qu’en réalité elle est vécue de nos jours) quel sens lui donner ? Traditionnellement au cours de cette célébration le catéchumène « confirme les vœux du baptême » et confesse sa foi, devant Dieu et devant l’assemblée. En général, il promet de vivre en chrétien car il est désormais considéré comme responsable de ses actes. Or sa mentalité ne fait que commencer à évoluer, toute affirmation ne peut, à cet âge, qu’être révisable. La confirmation ne peut de ce fait que prendre un autre sens. Elle devient la célébration où l’Eglise annonce que Dieu confirme la promesse qu’il fait, à chaque être humain, lors de sa naissance. La catéchèse de l’adolescent peut prendre appui sur le rite. Cette pratique est conforme à celle de la Bible où la participation au rite précède la catéchèse. Voir par exemple Exode 13.11 à 16 ; Deutéronome 6.20 ; Josué 4.4 à 7.
Pour créer de nouveaux rites
L’Eglise délaisse deux autres passages très importants : le divorce et le départ à la retraite. La création de rites adaptés à ces deux passages serait une tâche importante mais difficile.
Un rite comprend toujours des éléments visibles. Il est vécu avec les cinq sens. Un rite a une signification si les objets et les gestes utilisés évoquent tout ou une partie de ce que le rite doit exprimer. Le rite chrétien est accompagné de paroles compréhensibles par tous même par ceux qui n’ont pas été initiés. Ceci exclut du rite toute formule obscure du type “Nous sommes ici pour attester la grâce prévenante de Dieu”. Un rite chrétien est célébré par une ou plusieurs personnes mandatées par l’Eglise, dans un cadre correspondant à une pratique d’Eglise. Tout repas où du pain est partagé et du vin circule n’est pas sainte Cène. Quelle que soit sa fonction, le rite chrétien est conçu pour exprimer la Parole de Dieu. Tous les éléments constitutifs d’un rite participent à cette expression.
Il n’existe pas encore à l’heure actuelle de grammaire du rite qui permettrait de faire évoluer la pratique pour l’adapter aux nécessités du temps. Le christianisme possède cependant une source d’inspiration tout à fait remarquable : la Bible. Le livre d’Alfred Marx et de Christian Grappe, Vocation et subversion du sacrifice dans les deux Testaments (Labor et Fides, Genève, 1998, 98 pages) prouve, s’il en était besoin, toute la richesse de la Bible dans le domaine du rite et du langage symbolique.
© Claude Demissy, Eglises Protestantes d’Alsace et de Lorraine, 1999