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Les deux Europes de la religion à l’école

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Image La religion à l’école publique

La laïcité demeure une particularité curieuse de la majeure partie des écoles publiques françaises. Les autres écoles publiques d’Europe proposent un cours de religion. Il évolue cependant différemment dans les pays catholiques et dans les pays protestants.

Cet article a été publié en 2001 par Pointkt (version « papier »). Il fait référence à des évènements de cette époque.

 

L’Allemagne fournit deux exemples caractéristiques de ces changements. Le premier concerne « l’affaire des crucifix » dans le land fédéral, majoritairement catholique, de la Bavière. L’école publique devait retirer les crucifix accrochés dans les salles de classe au nom du respect de la pluralité religieuse. Ce fait, par ailleurs anodin, illustre la conception romaine de la religion à l’école : elle n’est pas envisagée en dehors de l’Eglise. La situation en Slovénie fournit un autre exemple l’Eglise catholique désire faire de la catéchèse paroissiale une des matières optionnelles de l’école.

L’autre exemple allemand nous vient du land protestant de Berlin/Brandenburg. Le service public d’éducation y a créé un enseignement de « éthique, étude des religions, philosophie de l’existence ». Ce cours, obligatoire pour tous les élèves, est conçu par l’école sans aucune participation des Eglises. Cette nouvelle matière montre l’évolution de la religion à l’école dans les pays protestants : elle peut être enseignée sans l’intervention d’une organisation confessionnelle. Le canton suisse protestant de Berne fournit un exemple semblable : c’est l’école (c’est-à-dire l’état et non l’Eglise) qui définit le contenu de la religion à l’école.

Ces deux options sont compatibles avec les principes fondamentaux d’une école publique démocratique mais chacune révèle une façon de comprendre la religion à l’école. L’école d’une démocratie respecte les convictions intimes des élèves, reflète le pluralisme de la société, et prépare l’avenir des jeunes en leur donnant des outils pour comprendre le monde. Les états européens répondent à ces trois impératifs en prenant une certaine distance avec la religion dominante. Mais les modalités de cette prise de distance diffèrent entre les sociétés protestantes et catholiques.

En pays catholique pluralisme égal diversité

En pays catholique les élèves peuvent être dispensés d’enseignement religieux si celui-ci ne correspond pas à leurs propres valeurs (ou à celles de leurs parents), voilà pour le respect des convictions individuelles. D’autre part l’état affirme la diversité religieuse en reconnaissant plusieurs cultes. Les religions ayant un enracinement notoire dans la société peuvent organiser, pour leurs fidèles, un enseignement religieux à l’école. L’esprit des lois locales en Alsace et en Moselle reflète bien cette conception des sociétés majoritairement catholiques : les protestants, les juifs et les catholiques organisent ce cour et en déterminent les contenus. En Belgique les musulmans bénéficient également de cette possibilité, comme d’ailleurs en Espagne. Ces pratiques sont celles d’une école respectant le pluralisme, chaque élève étant éduqué dans la tradition religieuse à laquelle ses parents font confiance. La capacité des élèves à comprendre les dimensions religieuses du monde qui les entoure dépend exclusivement des organisations confessionnelles organisant le cours de religion.

Affirmation à nuancer car d’autres matières telles l’histoire, les arts ou la littérature peuvent aborder les questions religieuses. Même la France non concordataire qui présente la particularité d’une absence théorique de religion à l’école publique, se soucie de l’inculture religieuse des élèves et des enseignants. Cette infiltration du religieux à l’école, par le biais d’autres matières, n’est cependant pas totalement satisfaisante car la religion n’est pas un phénomène humain éclaté. La littérature, l’histoire, les arts mais également la psychologie, la sociologie, la géographie, sont des composantes d’un tout, « le religieux », qui possède sa propre cohérence.

En pays protestant pluralisme égal objectivité

C’est ce qui est pris en compte dans le modèle développé dans de nombreux pays protestants. La création précoce de l’étude scientifique des religions, indépendamment des organisations confessionnelles, y a permis l’élaboration d’un savoir sur les religions indépendant du message des confessions. Le pluralisme est respecté parce que l’école, institution indépendante des communautés religieuses, s’est penchée sur le fait religieux, d’abord dans les universités puis, petit à petit, dans l’ensemble des niveaux du service public d’éducation. Les méthodes pédagogiques sont les mêmes que celles utilisées dans les autres matières. Les capacités de l’enfant à comprendre le religieux sont développées avec la même rigueur que ses compétences linguistiques ou mathématiques.

Certes, l’école risque alors d’instruire l’enfant sur des formes religieuses qui ne correspondent pas à celle de sa propre tradition. Mais un enfant n’a-t-il pas le droit de comprendre les formes de religions dominantes de la société au sein de laquelle il vit ? Le respect de chacun et du pluralisme est garantit ici par l’objectivité de l’enseignant, le fait religieux est appréhendé comme tous les autres faits historiques et philosophiques. Cette conception implique cependant l’idée qu’une religion peut s’étudier en dehors d’une communauté croyante, ce qui n’est pas le cas dans les pays de culture catholique ou l’école à tendance à pratiquer une neutralité passive.

Deux philosophies différentes

Ces deux évolutions de la religion à l’école infèrent deux philosophies différentes sur la nature du fait religieux et sur sa place dans la société. S’il est l’apanage des religions constituées, il se décline comme une façon de comprendre les questions ultimes. Les formes concrètes de religions s’étudient alors pour permettre aux élèves de structurer leurs pensées sur « Dieu » ou « les principes régisseurs du réel ». Le cours est alors fortement dépendant des options dogmatiques, éthiques et philosophiques de l’instance enseignante.

S’il s’étudie de l’extérieur, comme une autre science humaine il donne des outils pour comprendre les comportements religieux. Le travail sur les formes concrètes de religion permet aux élèves de se situer par rapport aux diverses manifestations des phénomènes religieux. Il est alors fortement dépendant des options historiques et littéraires, sociologiques et psychologiques des enseignants.

Entre le confessionnalisme et le scientisme

Les options de l’Europe protestante permettent une bonne harmonie entre les contenus de l’enseignement religieux et ceux des autres matières. En pays catholique le protestantisme se doit de valoriser sa conception de la religion à l’école : une éducation de culture religieuse utilisant les méthodes des sciences humaines et ouverte à tous. Elle permet de développer l’autonomie de l’individu et, dans le cas particulier de la France, de sortir du conflit séculaire entre l’école publique et l’Eglise catholique. Ce modèle n’est cependant pas totalement neutre car le religieux n’est jamais neutre. Croire dans l’objectivité totale dans ce domaine c’est tomber dans le scientisme. C’est pourquoi, en pays catholique, les protestants devraient promouvoir un enseignement de culture religieuse qui soit clairement d’inspiration protestante, tout en étant ouvert à tous. Cela remet en cause le retrait des protestants de l’école publique et surtout leur soutien aux dogmes laïcs.

L’erreur des sociétés catholiques est de considérer les faits religieux comme exclusivement confessionnels, donc totalement subjectifs, et celle des pays protestants est de considérer le religieux comme un objet d’étude détachable des lieux où il se vit, c’est à dire les communautés religieuses.

© Claude Demissy, Eglises Protestantes d’Alsace et de Lorraine, 2001.