Une série de 6 articles écrits par Hervé OTT autour des émotions que la Bible évoque avec constance car elles nous parlent de Dieu et sont au cœur de notre condition humaine. Ils sont diffusés ici avec l’autorisation de www.reforme.net
Première d’entre elles : la honte.
La honte est la première émotion mentionnée dans la Bible avant la peur et la colère : « Or tous les deux étaient nus, l’homme et sa femme, sans se faire mutuellement honte. » (TOB). « Parce qu’ils respectent l’interdit de Dieu… [Adam et Eve] assument ensemble “eux deux” une existence traversée par un mal dont ils acceptent de ne rien connaître » écrit Lytta Basset dans Le pardon originel, de l’abîme du mal au pouvoir de pardonner. Ce n’est qu’après la désobéissance à l’interdit de Dieu et l’acquisition de la connaissance du bien et du mal, bref du jugement des autres, qu’ils auront besoin de cacher leur nudité et qu’ils rentreront en rivalité. Par sollicitude, YHWH Dieu leur fera des tuniques de peau pour renforcer la protection faite de feuilles de figuier. C’est l’apparition de la honte qui est la marque d’un changement de statut de la créature humaine. Comme en écho, la honte est aussi évoquée dans le dernier livre de la Bible : « Et que ne paraisse pas la honte de ta nudité » (Ap 3,18). Cette honte de la nudité est donc bien symptomatique de la condition humaine coupée de Dieu. Jamais dans toute la Bible il n’est fait mention de la honte de Dieu, et pour cause !
Non-condamnation
Jésus a dû expérimenter la honte pendant son procès et son exposition sur la croix. Il a gardé toute confiance en son Père dont il se sent totalement aimé. Lui-même a été confronté à la situation d’une femme (Jn 8,1-11) « prise en flagrant délit d’adultère », « mise au milieu du groupe » et qui ne dit rien. J’imagine qu’il a immédiatement identifié la honte de cette femme, qu’il compatit à cette émotion et le signifie physiquement en se baissant lui-même en avant. En écrivant sur le sol, il envoie probablement un message codé aux scribes et pharisiens, sans les humilier à leur tour devant le peuple. Peut-être cite-t-il Jérémie : « Tous ceux qui t’abandonnent seront honteux et ceux qui se détournent de toi seront inscrits dans la terre [leur nom sera vite effacé, oublié] » (17/13) ?
Péché, honte, non-condamnation. Voilà sans doute la réponse de Dieu : il n’y a plus de condamnation du péché, car la honte est déjà la condamnation de l’acte par soi-même, sert déjà de processus de réparation à condition de l’accueillir, de la reconnaître, de (se) l’avouer. Dieu a de la compassion pour ceux qui ont honte. Comme si la honte était l’inscription en nous que la rupture de confiance avec soi-même (identité), les autres (communauté) et avec Dieu (foi, fidélité) est une rupture de relation dont seul l’amour, comme acceptation inconditionnelle parce que non jugeante, peut nous protéger.
Les sources bibliques
Les sources identifiées de la honte sont nombreuses : raser la barbe d’un homme (2 Sm 10,5), maltraiter une personne affaiblie (Jb 19,3), manquer de courage (2 Sm 19,4), se prostituer (Jr 3,3), commettre des « fautes » (Es 43,10) comme le meurtre (Ab 10), l’idolâtrie (Es 42,17 ; Jr 51,47 ; Mi 3,7), les sacrifices (Os 4,19), faire confiance à l’Égypte, pays de l’esclavage (Es 30,3 ; Jr 2,36). À l’inverse, celui qui fait confiance en YHWH (Ps 25,2 ; 71,1) sera protégé de la honte (Ps 22,6 ; 50,7). Le salut est lié à la fin de la honte (Ez 16,62 ; Es 65,13 et Jl 2,21). À quoi fait écho : « Demeurez en lui, afin que lorsqu’il paraîtra nous ayons pleine assurance et ne soyons pas remplis de honte loin de lui, à son avènement. » (1 Jn 2,28).
Protéger les enfants
La honte est une émotion, c’est-à-dire une réaction corporelle, physiologique, spontanée et très fugitive. Elle se manifeste universellement par des rougeurs sur le visage, des yeux dirigés vers le bas et la tête penchée en avant. Ces manifestations du visage pourraient signifier aux autres une atteinte dans son intégrité et une demande de ménagement : la honte rassure l’entourage et peut provoquer de l’indulgence et nous protège de l’exclusion. Elle témoigne d’une expérience d’infériorité, comme la nudité ou le dénuement économique ou social. Elle résulte de la transgression d’une norme du groupe d’appartenance qui fonde l’identité, ou d’une de nos propres valeurs (manque de courage). Elle provient d’un jugement prononcé par les autres (surtout si nous sommes « pris sur le fait ») ou par nous-mêmes, lequel atteint notre idéal d’être, voire notre toute-puissance.
Plus l’enfant fera l’expérience de la honte, moins il aura d’estime de soi. Les parents devraient faire très attention aux remarques qu’ils font aux enfants, ou sur eux, notamment quand ceux-ci ont une expression spontanée : leur rire peut être perçu par l’enfant comme un jugement, un « foutage de gueule », qui provoque leur honte. Dans sa spontanéité l’enfant a livré une part d’intimité (de nudité !) qu’il voit ridiculisée. Les enseignants et autres éducateurs peuvent être amenés à provoquer aussi de la honte quand ils dévalorisent un enfant devant ses camarades. Il faut être vigilent car le sentiment de culpabilité peut s’installer durablement, quand la honte n’a pas pu être exprimée et reconnue. Il importe de pouvoir avouer (à soi comme aux autres) sa honte, sinon elle nous « remord » et peut resurgir en maladie.
Des écrivains célèbres comme Sartre, Camus et, plus récemment, Pennac, entre autres, ont su montrer combien leur carrière d’écrivain s’appuie sur une expérience de « honte originaire ».
À lire :
La force des émotions, amour, colère, joie… François Lelord, Christophe André, éd. Odile Jacob, 2001.
Les sources de la honte, Vincent de Gaulejac, DDB, 1996.
Lire la suite :
- émotions dans la Bible : 2) La peur
- émotions dans la Bible : 3) la colère
- émotions dans la Bible : 4) la tristesse
- émotions dans la Bible : 5) la joie et l’humour
- émotions dans la Bible : 6) la compassion et la solidarité