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Babel, éloge de la différence ?

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Le récit de la tour de Babel à lire en Gen 11 : 1 à 9, est souvent compris comme un récit moralisateur.
Est-ce la seule lecture possible ?

Un texte « différent » …
Le récit de la tour de Babel à lire en Gen 11 : 1 à 9, est souvent compris comme un récit moralisateur. Il illustre alors la réaction d’un jaloux, Dieu, prêt à tout pour défendre ses prérogatives divines, face aux prétentieux que sont les hommes, qui de leur côté, veulent « se faire un nom »… Est-ce la seule lecture possible ? Nous vous en proposons une autre, plus positive : le récit de Babel comme une éloge de la différence.
Notre réflexion est soutenue par la traduction de [J.N. Darby]
Et toute la terre avait une seule langue* et les mêmes paroles.
2 Et il arriva que lorsqu’ils partirent de* l’orient, ils trouvèrent une plaine dans le pays de Shinhar ; et ils y habitèrent.
3 Et ils se dirent l’un à l’autre : Allons, faisons des briques, et cuisons-les au feu. Et ils avaient la brique pour pierre, et ils avaient le bitume pour mortier.
4 Et ils dirent : Allons, bâtissons-nous une ville, et une tour dont le sommet [atteigne] jusqu’aux cieux ; et faisons-nous un nom, de peur que nous ne soyons dispersés sur la face de toute la terre.
5 Et l’Éternel descendit pour voir la ville et la tour que bâtissaient les fils des hommes.
6 Et l’Éternel dit : Voici, c’est un seul peuple, et ils n’ont, eux tous, qu’un seul langage*, et ils ont commencé à faire ceci ; et maintenant ils ne seront empêchés en rien de ce qu’ils pensent faire.
7 Allons, descendons, et confondons là leur langage, afin qu’ils n’entendent pas le langage l’un de l’autre.
8 Et l’Éternel les dispersa de là sur la face de toute la terre ; et ils cessèrent de bâtir la ville.
9 C’est pourquoi on appela son nom Babel*, car là l’Éternel confondit le langage** de toute la terre ; et de là l’Éternel les dispersa sur la face de toute la terre.
– v. 1, 6, 9** : litt.: lèvre. — v. 2 : ou : vers. — v. 9* : confusion.
Ce français plus rêche est proche du texte hébreu de la Biblia Hebraïca Stuttgartensia. Il est exempt des ponctuations, certes expressives mais ajoutées, de la traduction « Parole de vie » en français fondamental, souvent utilisée avec les enfants.

La première « différence » qui se présente est celle du texte en lui-même : il est écrit dans un passé lointain, pour un public autre, dans un contexte particulier, et nous devons aujourd’hui faire l’effort de l’accepter tel qu’il est ! Faire fi des interprétations déjà entendues, mettre de côté les symbolismes qui lui ont été accolés.
Nous devons relire le texte avec un regard d’explorateur, de découvreur et nous laisser interpeller par cette première particularité : celle des mots anciens.

Mais qu’est-ce qu’il fait là ?

ImageMais qu’est-ce qu’il fait là, ce texte ?
L’histoire est autonome. Elle semble ne dépendre ni de ce qui précède, ni de ce qui suit… Mais elle coupe, comme une erreur de copier/coller, les générations des fils de Noé (Gn 10 et 11 : 10 à 32) jusqu’à Abram !
Est-on devant une gaffe de copiste ?!? Colette Briffard (professeur de lettres, formatrice en lecture- écriture, assure des formations dans le domaine biblique, notamment auprès d´enseignants de l´éducation nationale en France. Article « Sem, une clé de lecture pour Babel » Etudes Théologiques et Religieuses Tome 75, année 2000/3.) met en avant, au contraire, la subtilité d’avoir placé ce récit précisément à cet endroit. Suivons son raisonnement…

Relisons Gn 10 : les générations des fils de Noé ont fait « la répartition des îles des nations… » v5, chacune selon sa langue, dans leurs familles, dans leurs pays, dans leurs nations. On est ici, avant Babel, dans la situation opposée au v1 de Gn 11. Sont cités, dans l’ordre : Japheth, Cham, puis Sem.
Or Sem est l’aîné des fils de Noé, il aurait dû, nous signale C. Briffard, être placé en premier dans la liste !

Encore une gaffe de notre copiste ?!?

Le nom du fils de Noé, en lettres hébraïques, est « Shem ». En hébreu, le mot « Shem », écrit exactement de la même façon, signifie aussi «nom, renom, réputation ». C’est le même mot utilisé en Gn 11 v4 : « … faisons-nous un nom… ». Ce même mot « Shem », se retrouve juste après le récit de Babel, en Gn11 :10, pour la continuation des généalogies de Sem… Et pour Abram, en Gn12 :2 : « Je rendrai ton nom célèbre ».

La géographie des textes peut donc se laisser explorer avec la « boussole du nom ». Ce curieux enchâssement du récit de Babel dans les généalogies des descendants de Noé, jusqu’à Abram, peut être lu comme un apport pédagogique de Dieu, dans la problématique de l’identité : garder son nom dans et après un déluge, se faire un nom soi-même comme les hommes de Babel, ou recevoir un nouveau nom de Dieu, comme Abram ?

N’importe où, n’importe comment ! En Gn 11, les hommes veulent se faire un nom.
N’importe lequel, n’importe où, n’importe comment !
v 1 : « Et toute la terre avait une seule langue et les mêmes paroles »
Plus qu’une unité, c’est une uniformisation !
V2 : « …ils trouvèrent une plaine… »
C’est un lieu trouvé, par opposition aux lieux pris et donnés par Dieu, lors du déluge et à Abram.
V3 : « Allons, faisons des briques… »
La construction réduit l’altérité du lieu : il devient ce qu’on en fait, il est modelé.
V4 : « …et une tour dont le sommet atteigne jusqu’aux cieux… »
Envahir le lieu de Dieu (les cieux), non pour aller à sa rencontre et voir qui est l’autre, mais pour se faire un nom, ne pas être dispersés… Et pouvoir imposer qui ils sont
V7 : « Allons, descendons, et confondons là leur langage… »
Dieu met le doigt sur le problème originel et agit sur cet aspect, et uniquement sur cet aspect…

Lisons les v. 5 à 9 dans la traduction proche du texte hébreu, en laissant de côté les idées reçues. Dans ces mots, il n’y a pas de jalousie de Dieu, pas de punition, pas de destruction ! Dieu constate « un seul peuple, … eux tous, qu’un seul langage,… ils ne seront empêchés en rien de ce qu’ils pensent faire ».

C’est contraire à Sa Création ! Celle-ci passe par la séparation, la différenciation, l’altérité. Les hommes, à Babel, s’engagent dans un processus de dé-création.
Dieu se fait {tip Analyste::analyser : délier, rendre fluide ce qui est figé}Analyste{/tip}. Loin de sévir, en bon pédagogue, Il rétablit l’altérité de langage, avec pour conséquence, le rétablissement de l’altérité de lieu (v8 et v9). Les hommes renoncent à se faire un nom, Dieu s’en occupera au chapitre suivant, ils renoncent aussi, par la force des choses, à la peur de la dispersion…

Pour aujourd’hui, uniformisation ou Création ? Le récit de Babel peut se lire comme l’éloge de la différence.
Ceux qui travaillent avec des jeunes (et moins jeunes) adolescents connaissent cette question de la construction de l’identité. Chacun veut être unique, mais redoute la dispersion. Alors on suit la mode, on écoute tous la même chanson, on regarde tous le même feuilleton…Quels bâtisseurs serons-nous pour aujourd’hui et pour demain ? Construirons-nous un monde uniforme, qui s’enroule sur lui-même jusqu’à l’étouffement ? Avec une seule langue imposée à tous ? Un monde construit, avec brique pour pierre et bitume pour mortier, modelé à notre souhait, sans aucune place pour la nature et les autres créatures ? Un monde de peureux qui craignent la dispersion, et angoissent face à la différence ? Un monde sans Dieu, où nos tours économiques et consommatrices occupent tout espace laissé libre ? Un monde sans place pour l’altérité allant jusqu’au Tout Autre ?

ImageAujourd’hui encore, à travers ce vieux récit, Dieu notre bon berger descend voir nos villes, et nous met en garde : il n’y a rien de bon dans l’uniformisation. Elle est contraire à la Création.
Nous globalisons, nous mondialisons… Où Dieu va-t-Il pointer son doigt de pédagogue ?

 Michel Quoist nous invite à méditer…

Crédits Marie-Pierre TONNON

 

 

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