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Esther

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Connaissez-vous Esther ? Peut-être pas, car c’est un livre qu’on raconte rarement aux enfants et pourtant il a tous les éléments d’une belle histoire : un roi, une reine, un méchant, un gentil, du suspense… Voici donc quelques explications pour vous aider à découvrir ou redécouvrir ce livre.

La disgrâce de Vasti (chapitre 1): Introduction générale
L’action se déroule sous le règne du roi Xerxès (ou Assuérus), période où la Perse domine le Proche-Orient. Pour les Juifs, c’est le temps de l’Exil : les royaumes d’Israël et de Juda ont été vaincus et une partie du peuple d’Israël a été déporté en Perse. En 538 avant Jésus-Christ, l’édit de Cyrus a permis à une partie des Juifs de retourner en Palestine, mais il reste une diaspora juive nombreuse en Perse. Cette diaspora est confrontée au défi et à la difficulté de vivre au milieu d’un peuple païen, en bons sujets du roi tout en conservant sa foi : c’est dans ce contexte que se déroule l’histoire d’Esther. L’action se déroule à Suse qui est une des trois capitales de Perse. L’essentiel de l’histoire a lieu au sein même du palais royal.

Au cours d’un grand banquet où hommes et femmes festoient de leur côté, le roi envoie chercher Vasti : son objectif n’est pas de faire honneur à la reine en lui accordant le privilège d’assister à une fête réservée aux hommes, le roi la fait venir pour exhiber sa beauté, c’est-à-dire probablement pour la faire paraître nue ou presque. Vasti refuse de venir : le roi la traite comme un objet qu’on exhibe, dont chacun peut contempler la beauté, sans oublier d’envier son propriétaire, donc elle résiste, provoquant la colère du roi. Le roi prend conseil auprès de ses ministres : comme la désobéissance de Vasti fait craindre une insoumission généralisée des femmes, on conseille donc au roi une punition exemplaire. Vasti est déchue de son titre de reine, elle est promise à une vie recluse dans le harem sans aucun contact avec le roi.
La disgrâce de Vasti entraîne la recherche d’une nouvelle reine : on rassemble pour le roi des jeunes filles très belles et qui doivent se plier à des soins du corps pour plaire le jour venu au roi.

L’ascension d’Esther (chapitre 2) :
–    Mardochée et Esther :
Esther étant orpheline, elle a été élevée par Mardochée, son cousin. Elle entre au harem et s’attire tout de suite la sympathie d’Hégué, l’eunuque royal gardien des femmes. Cela nous indique qu’Esther était probablement très belle. Comme Mardochée le lui a dit, elle ne dit pas qu’elle est juive : il ne semble pas qu’à l’époque où se situe le récit les Juifs aient été persécutés, mais ils ont toujours été une entité un peu à part à Babylone : mis à part par leur mode de vie (règles alimentaires en particulier) et leur monothéisme, visible notamment par leur refus de s’incliner devant des hommes (roi y compris). C’est probablement ce qui conduit Esther à se taire.

–    Destin de femme au palais royal de Suse (2/12-14) :
1. La jeune fille reste un an dans le premier harem. Cette période d’attente permettait de s’assurer que la jeune fille n’était ni enceinte, ni malade et de la préparer par des soins du corps à plaire au roi. 2. Elle était présentée au roi et passait la nuit avec lui. 3. Elle s’installait dans un second harem, distinct du premier (c’est pourquoi elle devait emmener ses affaires), avec les autres jeunes filles qui ont déjà passé la nuit avec le roi, sans devenir la favorite. Elles sont considérées comme sacrées : aucun autre homme ne doit pouvoir les toucher après le roi.

–    Esther et le roi (2/15-18) :
Quatre années se sont écoulées depuis la disgrâce de Vasti, lorsqu’arrive le tour d’Esther. Le roi tombe amoureux d’elle et la fait reine. Pour fêter l’événement, il donne un banquet, fait une remise d’impôt et un don aux provinces.

–    Le complot (2/19-23) :
Deux eunuques, parmi ceux attachés aux appartements du roi, projettent d’assassiner le roi. Mardochée apprend le complot et en avertit Esther qui transmet au roi. Ce fait en l’honneur de Mardochée est consigné dans les Annales royales, mais va tomber dans l’oubli et jouera un rôle plus tard.

Haman et les Juifs (chapitre 3):
Haman est un haut personnage, il fait partie des proches du roi. En Perse, existait la coutume de se prosterner devant le roi et devant certains hauts fonctionnaires, ce qui était une manière de reconnaître à ces personnages un caractère divin. Pour Mardochée, le problème est double : en tant que Juif, il ne peut reconnaître à aucun homme un caractère divin. Cela ne pouvait pas passer inaperçu parmi les courtisans dont les questions conduisent Mardochée à révéler qu’il est juif : de deux choses l’une, soit est reconnu aux juifs un droit particulier qui les dispense de se prosterner (comme ce sera le cas sous l’Empire Romain), soit ce n’est pas le cas et tout dépend de la volonté de Mardochée d’aller ou non jusqu’au martyre. Mardochée choisit sans ambiguïté d’obéir à la Torah plutôt qu’au décret royal, dénonçant ainsi le pouvoir royal au nom d’un pouvoir qui lui est supérieur, celui de Dieu. Haman même s’il ne le fait pas immédiatement, ni lui-même, est disposé à s’en prendre à Mardochée et aux juifs en général.
Haman fait procéder à un tirage au sort pour déterminer un jour favorable à l’extermination des Juifs avant même d’avoir l’autorisation du roi. Puis Haman demande au roi l’extermination des Juifs de Perse. Le roi livre à Haman un peuple dont il ignore tout, même le nom : il a une attitude plus que désinvolte par rapport au prix d’une vie humaine, mais sa volonté a force de loi.

Esther et son peuple (chapitre 4) :
Lorsque l’édit royal est connu, Mardochée agit comme tous les autres juifs qui l’apprennent, par le deuil et le jeûne : c’est leur façon d’appeler Dieu au secours. Mardochée se rend au palais royal sans qu’on sache très bien s’il veut tenter d’approcher le roi ou Esther. Esther l’apprend, elle lui envoie un eunuque qui sert de messager : elle ne peut pas sortir, ni le faire entrer pour le voir et lui parler directement. Mardochée lui demande d’intervenir. Dans la réponse qu’elle lui adresse, on peut avoir l’impression qu’Esther hésite à intervenir pour son peuple. En fait, sa réponse fait apparaître les difficultés de sa situation : bien qu’épouse du roi, elle ne peut l’approcher librement quand elle le souhaite, elle est à sa disposition, il n’y a pas parité dans la relation. Les paroles de Mardochée lui font sentir l’urgence de la situation, lui rappellent sa solidarité avec son peuple, et suggèrent que si elle est devenue reine c’est peut-être par la volonté de Dieu et pour servir ses desseins pour son peuple. Esther choisit d’intervenir malgré sa peur et s’appuie pour cela sur son peuple : elle demande que tous les juifs de Suse prient et jeûnent en même temps qu’elle. C’est aussi une façon d’impliquer Dieu dans sa démarche, pour qu’il la soutienne et lui accorde la réussite. Mardochée suggère qu’elle a été choisie par Dieu pour une tâche spécifique, Esther reconnaît que Dieu est seul capable de mener à bien sa mission : sauver son peuple de la mort.

Esther, le roi et Haman (chapitre 5):
Esther « endort » la méfiance d’Haman par la première puis la seconde invitation, elle le met également hors course provisoirement : occupé par les festins, il ne peut pas travailler à son complot. Esther se montre très discrète et soumise face au roi (à l’inverse de Vasti). Le roi semble attaché à elle puisqu’il ne s’offusque pas de son initiative et choisit de lui tendre le sceptre, il semble même être inquiet pour elle : il lui demande deux fois quelle est sa vraie requête.
Haman se croit parvenu au sommet de sa gloire, il pense être le favori de la reine puisqu’invité seul avec le roi à un premier, puis à un deuxième festin chez la reine. Il s’en vante même et décide que le temps est venu d’obtenir la mort de Mardochée. Il fait donc dresser un gibet qu’il destine à Mardochée avant même d’avoir demandé l’accord du roi.

Le rêve du roi et ses conséquences (chapitre 6):

Le roi a du mal à trouver le sommeil : on lui lit le livre des Annales. Le hasard fait bien les choses, ce qui d’un point de vue biblique signifie que Dieu est à l’œuvre : le passage lu lui rappelle que Mardochée lui a sauvé la vie et qu’il n’en a pas été récompensé. Alors qu’Haman venait demander au roi la mort de Mardochée, le roi lui demande comment honorer une personne : Haman ne doute pas un seul instant que ce soit de lui dont le roi parle à mot couvert (quel orgueil !). Aussi n’hésite-t-il pas à proposer les plus grandes distinctions. On imagine sa stupeur lorsqu’il apprend que c’est de Mardochée dont parle le roi, mais quand il se rend compte que ce n’est pas de lui qu’il s’agit, il est trop tard pour se rétracter. Haman est obligé de gratifier Mardochée d’honneurs qu’il avait suggéré au roi en croyant qu’ils lui seraient destinés. Après avoir été honoré, Mardochée reprend sa place à la porte royale pour y poursuivre son jeûne de protestation : on imagine aisément sa déception, il aurait certainement préféré obtenir comme récompense la vie pour son peuple.

 La chute d’Haman (7/1-8/2) :
Commence donc le deuxième banquet organisé par Esther où sont conviés le roi et Haman qui projette de demander au roi la mort de Mardochée. Le roi redemande (pour la 3ème fois) à Esther ce qu’elle souhaite et lui redit son amour. Cette fois, elle va lui répondre avec précaution et respect : elle demande d’abord à ne pas être tuée et ensuite elle demande que son peuple soit sauvé ; elle suscite d’abord l’intérêt du roi en faveur de sa propre vie, parce qu’elle sait qu’il est très attaché à elle, avant de demander la vie sauve pour son peuple. A la demande du roi, Esther cite le nom du comploteur qui se trouve de fait accusé d’avoir voulu la mort de la reine, ce qui n’était bien sûr de sa part qu’un dégât collatéral et involontaire puisqu’il ignorait tout autant que le roi qu’Esther est juive. Haman est bouleversé : on imagine assez bien, ce personnage vaniteux se décomposer à vue d’œil en voyant sa vie et ses ambitions s’écrouler. Le roi sort, pour contenir sa fureur, fureur qui est probablement à la hauteur de son attachement pour Esther, mais aussi de son mécontentement de découvrir qu’il a été manipulé par Haman : celui-ci lui a demandé la mort d’un peuple soit disant dangereux et rebelle et voici qu’il découvre que sa femme en fait partie et qu’elle n’est ni dangereuse, ni rebelle. Pendant que le roi se calme, dehors, Haman supplie la reine.  A son retour, le roi trouve Haman effondré sur le divan d’Esther, il interprète mal cette proximité physique, puisqu’il pense qu’Haman essaie de violer la reine. Et là tout va très vite : la jalousie du roi, son amour pour Esther, son mécontentement d’avoir été manipulé se mêlent pour conduire à l’arrestation et la pendaison de Haman.
Esther révèle qui est Mardochée pour elle : le roi l’établit premier ministre à la place d’Haman (il lui donne le sceau qu’il reprend à Haman) et Esther lui confie la gestion des biens d’Haman que le roi vient de lui donner.

Le peuple juif est sauvé (8/3-9/4) :
La chute et la mort de Haman et l’élévation de Mardochée ne signifient pas que les mesures prises par Haman et en particulier les mesures anti-juives soient tout bonnement annulées : une décision marquée du sceau royale est définitive. Esther obtient du roi la promulgation d’un nouvel édit qui donne aux juifs le droit de se défendre le 13 du mois Adar, c’est-à-dire le jour précis où l’édit précédent avait prévu le massacre des juifs. Autrement dit : les juifs peuvent se défendre, pas anticiper les attaques (la veille), ni conduire d’actions punitives (le lendemain). Au jour dit, le 13 du mois Adar, il ya lutte entre les juifs et leurs ennemis. On aurait pu penser que les deux édits auraient constitués une sorte d’équilibre de la terreur, que puisque les juifs avaient le droit de se défendre, ils n’auraient pas été attaqués. Et pourtant, ils subissent des attaques et se défendent avec succès, puisque le texte mentionne que « personne ne tenait devant eux ». Dans l’optique biblique, Dieu y est pour quelque chose, et puis il y a bien sûr le soutien de l’état perse obtenu grâce à la position importante et décisive de Mardochée (à travers qui Dieu lui-même agit). Les juifs instituent une fête pour remercier Dieu de les avoir secours : c’est la fête de Pourim.

Quelques conseils pour raconter :
Dans la manière de raconter, il est important que les enfants puissent comprendre :
–    Les difficultés des juifs en Perse : l’empire de Perse regroupait de nombreux peuples très divers (langues, cultures…) et il était habituel de déporter et disperser dans l’empire un peuple vaincu (exactement ce qu’on connut les juifs). Leurs difficultés tiennent à leur particularité : ils n’ont qu’un seul Dieu et des règles de vie qui les mettent à part et peuvent donc les faire apparaître comme « suspects » aux yeux de ceux qui ne connaissent pas et donc ne comprennent pas leur foi. Pourtant, ils veulent vivre tout à fait paisiblement : Mardochée sauve même la vie du roi !
–    La chance d’Esther : Elle est choisie parmi des centaines de jeunes filles pour entrer dans le harem royal, tous ceux qui l’approchent font preuve de bienveillance vis-à-vis d’elle, le roi tombe amoureux d’elle… Dans l’Ancien Testament, cette chance veut dire que Dieu veille sur elle et qu’il la conduit là où il aura besoin d’elle. Attention cependant à ne pas donner l’impression que nous sommes des pantins entre les mains de Dieu : Dieu veille sur nous, mais il ne nous contraint pas. Esther a le choix, nous aussi !

Il est important aussi de veiller à la manière dont on parle de Vasti et d’Esther : il faut faire attention à ne pas présenter la soumission des femmes comme normale, souhaitable, ou pire encore comme voulue par Dieu. Il ne faut donc pas idéaliser celle qui choisit d’être soumise (en apparence), c’est-à-dire Esther, et critiquer celle qui refuse de se soumettre (Vasti). En refusant d’être traitée comme un objet, Vasti revendique son droit à la dignité, elle fait preuve de courage et mérite le respect. Esther revendique aussi sa dignité et la liberté d’être ce qu’elle est, mais elle s’en sort mieux car elle sait, mieux que Vasti, utiliser les seules armes que son époque laissait aux femmes : la séduction et la ruse. Elle n’avait pas le choix qu’ont légitimement les femmes aujourd’hui.

Crédit : Claire de Lattre-Duchet (UEPAL) Point KT