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Judas, un chemin qui s’arrête

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ImageJudas est un homme qui a marché pendant environ trois ans sur le même chemin que Jésus-Christ, l’homme qui se révèle comme Parole de Vie. Comment cet homme a-t-il été emmené sur le chemin de la mort, entraînant Jésus et lui-même ? Y a-il un sens à sa destinée, à ce chemin qui s’arrête ?
Les textes bibliques (évangiles et Actes) sont très sobres sur ce personnage. Nous pouvons néanmoins en dégager quelques éléments éclairants.

Judas est un des douze apôtres.

Il est choisi par Jésus comme les autres. On retrouve la liste des apôtres dans Matthieu10/ 1-4, Marc 3/ 13-19 et Luc 6/ 12-16.

Sur les trois listes, il apparaît en dernier : et Judas Iscariote, celui-là même qui le livra (Matt, Marc) / ou bien : qui devint traître (Luc) : nous avons trois éléments pour décrire l’identité du personnage.

–    Le nom « Judas » est le même qu’un des fils de Jacob, dans l’Ancien Testament, qui a donné son nom à la tribu de Juda, dont le territoire se situe au sud du pays.

–    Le surnom « Ish Karioth » signifie l’homme de Karioth, un nom de lieu. Cela pourrait signifier qu’il ne vient pas de Galilée comme Jésus et d’autres disciples, mais du Sud du pays.
On a aussi rapproché le surnom d’Iscarioth au mot « sikarios » = poignard, qui est un dérivé du mot latin sicarius = porteur de poignard. Ce surnom pourrait alors faire de lui un zélote, un juif pratiquant la résistance armée pour libérer Israël. A cette époque-là, le nationalisme anti-romain et la ferveur messianique alimentaient toute forme de résistance à l’occupant.

–    Celui-là même qui le livra / qui devint traître : Judas, comme les onze disciples a reçu de Jésus le pouvoir de guérir et de transmettre son enseignement. Pourtant la mémoire ne retiendra de lui que son geste dramatique et incompréhensible pour les autres disciples et pour les lecteurs que nous sommes.

Jésus dévoile l’intention de Judas

–    Pendant son dernier repas, Jésus annonce qu’un des douze va le livrer :
Matthieu 26/ 20-25, Marc 14/17-21, Luc 22/ 14-23

L’émotion est d’autant plus forte que ce n’est pas ce que les disciples attendent. C’est sans doute un geste tellement impensable pour eux, qu’ils en arrivent chacun à se remettre en cause : est-ce moi, Seigneur ? Mettent-ils leur confiance totalement en Jésus, sachant qu’Il les connaît mieux qu’eux-mêmes ? Imaginent-ils qu’un de leur geste pourrait être fatal à Jésus  sans qu’ils s’en rendent compte ?
Quand on assiste ensuite au reniement de Pierre, on se dit que cette réaction n’est pas si absurde qu’elle le paraît dans un premier temps.
En tout cas, Judas devra assumer son geste, en sachant que Jésus sait. Est-ce que cette fausse complicité l’a enfoncé dans son erreur ?

Jésus n’a aucune parole de jugement contre Judas, mais il le plaint : malheureux l’homme par qui le Fils de l’homme est livré ! et Matthieu et Marc ajoutent : il eût mieux valu pour lui qu’il ne fût pas né, cet homme-là » !
Jésus ne nomme pas Judas par son nom, il l’intègre à une humanité universelle et libre. Ils se sont rencontrés et côtoyés pendant plusieurs années, mais Judas ne discerne pas qu’il fait le mauvais choix. Jésus le plaint. Et pourtant, Luc soulignera la nécessité de son geste, à la lumière de la résurrection : « il le faut » (Luc 24/7).

Image–  Judas livre Jésus par un baiser (Matthieu 26/45-50, Marc 14/41-46, Luc 22/45-48)
La trahison de Judas s’exprime sans doute le mieux dans ce baiser qui est détourné de son sens affectif. C’est une mise en scène, où ni Judas ni Jésus ne sont dupes. Mais Jésus s’y est préparé par la longue nuit de prière. Il sait que cette traversée est nécessaire et il ne s’enfuit pas. Il sait aussi sans doute que le chemin de Judas ne sera que douleur. Que ce chemin s’arrêtera, alors que le sien fera une percée dans l’impossible.

Le geste de Judas le dépasse lui-même

Matthieu et Luc rapportent la mort violente de Judas : un dans Matthieu 27/1-10 et l’autre dans les Actes (qui est la suite de l’évangile de Luc) : 1/13-26.

Image –   C’est au travers de la mort de Judas qu’on se rend compte que son but n’a pas été atteint, même si on ne peut faire que des hypothèses quant à ce but.

Matthieu exprime clairement que Judas met fin à ses jours volontairement : ce geste témoigne du drame qu’il est en train de vivre. Il s’est trompé de façon dramatique et ne supporte plus de vivre avec l’idée d’avoir envoyé son maître à la mort. Son geste avait visiblement une autre intention de (au) départ. A-t-il été tenté de provoquer un événement à la hauteur de son attente messianique ? Pour un juif, le Messie ne peut pas mourir. Il doit se révéler pour libérer le peuple.
A moins que Judas ait voulu provoquer une confrontation avec les tenants du pouvoir religieux, choqués des provocations de Jésus vis-à-vis de l’obéissance à la loi. Peut-être Judas avait-il une confiance totale en Jésus et savait qu’il leur était bien supérieur ? Il ne pensait pas possible qu’il soit condamné à mort.

Sur l’intention de Judas, les évangiles ne disent rien. Mais ils disent autre chose.

–    Tous les évangiles utilisent le mot « livrer » et non pas trahir, au moment de l’arrestation. Comme si Judas n’était qu’un pont ténébreux entre ceux qui cherchent à tuer Jésus et Jésus lui-même. Pourquoi fallait-il qu’un homme se trompe à ce point ? Les chefs religieux ne pouvaient-ils pas trouver Jésus eux-mêmes en pleine nuit dans ce lieu habituel de prière ? Fallait-il que la solitude de Jésus apparaisse dans un abandon le plus total, et même dans la trahison ?

L’expression « est livré » va se retrouver à plusieurs reprises dans les évangiles, avec des sujets différents : un verbe au passif évoque le plus souvent l’action de Dieu (Marc 9/31). Jésus est livré par les juifs aux païens, et par Pilate à la mort (Marc15/15).
Les sujets différents de ce verbe dont Judas se fait l’acteur déclenchant montre bien qu’autre chose est en jeu dans ce geste de trahison. Cela entre dans un sens plus large qui va échapper à la compréhension de Judas (en tout cas dans Matthieu, les autres évangiles n’en parlent pas)

–    Le sens s’ancre dans les Écritures

Les textes bibliques sont écrits après coup, ils éclairent ce geste par petites touches pour l’englober dans la volonté de Dieu. Cette volonté, ce plan d’amour, s’ancre dans l’Ancien Testament dans lequel il s’annonce. Ce qui arrive n’est pas l’effet du hasard, et même si Satan est parfois cité, il y a une place pour le geste de Judas dans le plan de Dieu.

Je ne citerai qu’un seul exemple : celui de l’argent. On a souvent mis sur le compte de la cupidité l’acte de Judas. Pourtant le montant de trente deniers n’est pas vraiment attrayant pour un tel geste. C’est à peine le mois d’un petit salaire. À quoi cela correspond-il ?
Dans l’Exode (21/32), c’est la compensation donnée au maître pour la mort accidentelle d’un esclave tué par la faute d’un animal.
Mais c’est surtout dans Zacharie 11/12 qu’on trouve un parallèle possible avec Judas : la colère de Dieu se déchaîne contre les bergers d’Israël, ceux qui sont censés conduire le troupeau. Dieu veut y mettre son propre berger, mais il est rejeté et son travail est estimé à trente deniers. Cette évaluation digne du prix d’un esclave appellera la malédiction sur le peuple par Dieu.
Dans les évangiles ce sont les grands prêtres qui évaluent la somme d’argent à donner à Judas. Une somme d’argent en échange de Jésus, esclave ou berger rejeté  par Israël ?

 Conclusion :

judas desespoirLa figure de Judas a inspiré de nombreux auteurs, à commencer par les écrits apocryphes, composés en général après les textes du Nouveau Testament. Dans la littérature du XX ème siècle on trouve des auteurs comme Claudel ou Marcel Pagnol.
Judas incarne la figure de tous les traîtres, son nom est même passé dans la langue courante : un « Judas » ou « le baiser de Judas ».

Il incarne en tout cas tous les errements humains à choisir encore et toujours de désobéir au commandement de la Genèse : « tu ne prendras pas du fruit de la connaissance du bien et du mal ». Judas a voulu décider ce qui était bien, et il a malheureusement assisté aux conséquences contraires à ce qu’il attendait.

Judas a livré Jésus et Pierre a renié Jésus. L’un n’a pas supporté de vivre après son acte, l’autre a pleuré, s’est repenti et a pu revivre avec le pardon de Jésus. Judas n’a pas imaginé d’être pardonnable. Pierre a traversé l’épreuve de l’humiliation, mais a vécu pleinement en lui-même la joie de la résurrection et du pardon.

Cette réflexion s’est inspirée du dossier théologique du CBOV (Camp Biblique Œcuménique de Vaumarcus) 1998 (www.cbov.ch).

(Credit : Laurence Berlot)