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Le massacre des innocents

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La violence est omniprésente dans la Bible.  Matthieu à partir de trois versets d’une très grande dureté (Matthieu 2, 16-18) livre un exemple de violence absolue dans un cadre : la naissance de Jésus, que l’on imagine volontiers rose.

  •  Le contexte littéraire : les évangiles de l’enfance

Présents seulement chez Luc et Matthieu (sans compter les évangiles apocryphes), ils sont très différents. Chez Matthieu, qui ne raconte pas la naissance elle-même, c’est Joseph qui est le personnage principal. On note l’importance des songes, communication semi directe avec Dieu, et l’importance de l’appellation, et par là des questions d’identité. L’évangile de Matthieu commence par une généalogie de Jésus depuis Abraham (donc juive) qui ne peut pas ne pas évoquer, pour le lecteur averti, l’histoire chaotique du peuple d’Israël, ses guerres, ses souffrances… Puis vient l’annonce à Joseph et la simple mention de la naissance de Jésus. Le chapitre 2 est consacré à la visite des mages (sages mais étrangers et païens) et au massacre des innocents, encadré par la fuite en Egypte de Joseph et sa famille, et son retour.On fait ensuite un bond de 30 ans, avec le ministère de Jean-Baptiste, prélude à celui de Jésus. Il est remarquable que chez Matthieu l’évangile de l’enfance se termine sur le récit tragique d’un massacre.

  • L’histoire littéraire du texte Jean Daniélou dans son livre « Les Évangiles de l’enfance » (Seuil 1967), propose quatre strates dans l’histoire de la rédaction

 Une base historique Les indications de date, le personnage d’Hérode le Grand, roi puissant, demi juif mal accepté par son peuple, mais reconnu par Rome, soupçonneux, retors et très violent ; il a fait massacrer une partie de sa descendance qui aurait menacé son pouvoir ! En dehors de Matthieu on ne sait rien sur la visite des mages et sur le massacre qui en découle. On pense aujourd’hui que ces textes sont plus théologiques qu’historiques. On peut seulement dire que l’épisode du massacre est vraisemblable.

Un travail midrashique Cette forme de développement littéraire consiste d’une part à développer le merveilleux, d’autre part à établir des correspondances entre des textes différents par reprise de mots et d’expressions. Autour du récit du massacre, des correspondances entre Matt 2,13 et Ex 2,15, entre Matt 2,20 et Ex 4,19 suggèrent que Jésus est le nouveau Moïse ou le nouvel Israël.

L’apport de « testimonia » Les testimonia sont des recueils entiers de fragments de textes de l’Ancien Testament prouvant la messianité de Jésus ou montrant qu’il accomplit l’alliance. Il circulait des listes de ces textes. Matthieu a dû en utiliser. Le testimonium de notre récit est une citation libre de Jérémie 31, texte écrit en situation de crise. Le verset 11 cité rappelle le tragique et la désolation , mais il se trouve dans un chapitre de restauration qui annonce l’espérance pour le futur. Libération, salut, espérance ne s’annoncent pas sans que la souffrance et la violence soient rappelées.

 Les choix rédactionnels de Matthieu On comprend les mages, cela signifie l’élargissement de la Bonne nouvelle de la naissance de Jésus, le signe de l’ouverture de l ‘Évangile au monde d e la science et aux autres religions païennes. On comprend la fuite en Égypte (Jésus nouveau libérateur), Mais pourquoi un massacre, et pourquoi en parler si brièvement ? Quel est le sens symbolique du meurtre des enfants ?
Aucun des deux récits à forte charge théologique (la reconnaissance de Jésus par les païens, le séjour de Jésus en Égypte) ne nécessitaient un massacre. Y avait-il une tradition à son sujet ? Matthieu, en tout cas a jugé nécessaire de rapporter cet événement à propos duquel Hébert Roux parle de « mystère de l’iniquité » en finale du récit de la naissance de Jésus.
La violence doit être racontée, démasquée et non voilée ou niée.

  • La forme du texte (travail en groupe) Concision, concentration, dépouillement caractérisent notre récit. Comme si l’on était devant l’irracontable… ou comme si l’on voulait exprimer le caractère bref de la violence. Seule la « longue plainte » de Rachel rappelle la souffrance qui dure… bien au-delà de l’acte de violence. Le lecteur peut se poser bien des questions sur les circonstances journalistiques du massacre (nombre de soldats, d’enfants, durée de l’opération). C’est le fait brut et lui seul que le texte transmet. Quel titre pour notre bref passage ? Parmi ceux qui ne se contentent pas de nommer l’événement mais qui donnent un début d’interprétation, on peut noter celui-ci : « Échec au roi ».
  • Présenter le récit aux enfants C’est ce que propose Marguerite Rosenstiehl dans le dossier de la Société des Ecoles du Dimanche: Une Nouvelle Étoile, Pour quel Roi ? » Les notes bibliques indiquent bien que « Jésus entre dans un monde cruel et violent, face à des tyrans qui n’hésitent pas à provoquer des massacres pour conserver leur pouvoir, dans un monde de haine qui lui est hostile dès le départ et qui cherche à se débarrasser de lui. Un monde auquel le Christ n’échappera pas et qui finira par le clouer sur une croix. Il vient bien dans notre monde, dans sa réalité 1a plus difficile ». Le jeu cruel du pouvoir est bien indiqué, la relation avec la passion mise en évidence. Les pistes de réflexion nous indiquent que « le massacre des enfants est (dans l’ensemble de Matthieu 1 et 2) la seule initiative uniquement humaine. De ce projet Dieu est absent ». Cependant Dieu laisse faire, il laisse chacun face à ses choix et responsabilités dans l’exercice du pouvoir (pas seulement politique). La proposition de narration faite dans ce document à propos du massacre des innocents parle de colère, de jalousie, de soif du pouvoir à propos d’Hérode. Comme le texte biblique, elle ne donne aucun détail sur le massacre lui-même. Le fait que Jésus échappe à la mort n’est pas présenté comme miraculeux, mais mis en rapport avec sa mort bien plus tard sur la croix. Elle parle d’espérance et de vie nouvelle.

En résumé, on pourrait dire démasquons la violence, sans nous laisser submerger par elle.