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Marie : de l’annonciation au magnificat

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 Après Zacharie, c’est Marie qui reçoit une visite des plus surprenantes : un ange, l’ange Gabriel qui lui annonce qu’elle va mettre au monde le Messie. Voici quelques notes explicatives pour lire et relire le récit de ces événements qui préparent et annoncent la naissance du Christ. 

I. L’annonciation (Luc 1/26-38)

Marie est fiancée à Joseph : leur engagement est aussi fort que le mariage mais ils ne vivent pas encore ensemble. Dans le peuple juif, à l’époque, avant le mariage, étaient célébrées les fiançailles : on faisait un contrat en présence des familles et de deux témoins  et on fixait la somme que le fiancé devait payer au père de sa future femme. A partir de ce moment-là, les deux jeunes gens étaient considérés comme mariés, mais la jeune fille vivait encore pendant un an chez ses parents avant d’aller vivre avec son mari. Dans cette situation, la grossesse de Marie est un déshonneur pour sa famille.
Pourtant, Marie semble accepter sa situation : « Je suis la servante du Seigneur. Que tout se passe pour moi comme tu l’as dit », même si elle s’interroge sur la mise en œuvre concrète de cette grossesse : « Comment cela sera-t-il possible puisque je suis vierge ?» ou « … que je ne connais pas d’homme » (« connaître » dans la bible implique souvent une connaissance très intime et le terme est souvent utilisé pour parler à mots couverts des relations sexuelles). Elle pose des questions mais ne doute pas (contrairement à Zacharie, elle ne demande pas de preuve). Lorsque l’ange lui annonce la grossesse de sa cousine Elisabeth, elle accueille les annonces des deux naissances : il est clair que pour elle, rien n’est impossible à Dieu et que Dieu a le pouvoir de faire ce qu’il dit. Marie ne fait pas part des ses craintes éventuelles, mais ne dit pas sa joie non plus.

Le genre littéraire de l’annonciation :
L’annonce à Marie de la naissance de Jésus appartient au genre littéraire de l’annonciation, dont on trouve plusieurs exemples dans la bible. Ces récits suivent un même schéma : ils annoncent la naissance d’un « héros » (quelqu’un qui aura un rôle, une mission particulière devant Dieu) à une femme qui ne peut avoir d’enfant (pour différentes raisons). Les récits d’annonciation présentent un Dieu réparant les injustices de manière surprenante. Le destin des humains peut toujours basculer positivement. Car à Dieu, rien n’est impossible. Ces naissances miraculeuses rappellent aux humains que la détresse peut toujours faire place à l’espoir et que Dieu est derrière les événements. Dans ces différents récits, les protagonistes n’agissent pas toujours de la même manière : les humains exercent leur liberté et réagissent en fonction de leur personnalité. Pour Luc, utiliser ce genre littéraire biblique est probablement une façon littéraire de montrer l’enracinement de la naissance et du ministère de Jésus dans l’histoire d’Israël, et dans le meilleur de l’histoire d’Israël. Cela dit, dans les autres récits d’annonciation, Dieu met fin à la stérilité ; avec Marie, c’est la seule et unique fois dans la Bible où il est question d’une naissance « virginale » : cela signifie avant tout que l’initiative de cette naissance appartient à la volonté de Dieu et à sa puissance de Dieu.

« Je suis la servante du Seigneur » (v. 38) : la formulation peut nous déranger parce que pour nous la notion de serviteur ou de servante n’est pas très positive et pourtant dans cette formulation de Marie (que Marie reprend dans le Magnificat), il y a une revendication de dignité. Dans la société de l’époque, une femme est toujours soumise à un homme (son père, puis son mari) à qui elle doit obéissance. Et la notion de serviteur de Dieu est plutôt utilisée pour les hommes (les prêtres au temple de Jérusalem en particulier). En se définissant comme « servante du Seigneur », Marie bouscule quelque peu ces conceptions : elle ne sert que Dieu.

II. Marie et Elisabeth (Luc 1/39-45)

Peu de temps après l’annonce, Marie se met en route pour aller voir sa cousine Elisabeth : à l’époque il est surprenant qu’une jeune fille seule ait entrepris ce voyage car les routes n’étaient pas toujours sûres et qu’il n’est pas dans les usages qu’une jeune fille sorte sans chaperon. Avait-elle besoin de se confier à une autre femme, enceinte elle aussi d’une grossesse « surprenante » ? (Elisabeth était considérée comme stérile et trop âgée pour être enceinte).
Lorsque Marie arrive chez Elisabeth, celle-ci reconnaît en Marie celle qui porte le Messie : « la mère de mon Seigneur » (v. 43), « Seigneur » est un titre donné au Messie. Pourtant Marie arrive seulement et n’a donc pas encore eu le temps de raconter à Elisabeth ce que l’ange lui a annoncé. Le texte prend soin de préciser qu’Elisabeth est « remplie du Saint-Esprit », autrement dit : cette révélation ne vient pas d’elle-même, mais de Dieu. En fait, à travers sa mère, Jean commence déjà son rôle de précurseur du Seigneur (celui qui d’après la tradition juive devait préparer le peuple à la venue du Messie), d’ailleurs il bouge dans le ventre de sa mère. Elisabeth prononce une double bénédiction : adressée à Marie et à l’enfant qu’elle porte ; en même temps, comme toute bénédiction, c’est une prière adressée à Dieu. C’est l’interpellation d’Elisabeth qui semble conduire Marie à exprimer sa joie dans le chant.

III. Le magnificat (Luc 1/46-55)

Contexte littéraire et culturel : le cantique que prononce Marie peut faire penser à un psaume, en fait, il appartient à un genre traditionnel chez les Juifs. Il rappelle celui chanté par Anne, la mère de Samuel : il n’est pas seulement personnel mais s’élargit et généralise pour chanter la confiance et la joie de tout un peuple. La grossesse de Marie, événement personnel s’il en est, prend une dimension universelle : l’émerveillement s’élargit sur l’espérance d’un monde reconquis par la grâce de Dieu. Il est question de justice, de paix, de la puissance du Seigneur…

Eléments d’explication :

  • « Dieu mon sauveur » (v. 47) : c’est un titre souvent donné dans l’Ancien Testament. La suite donne un contenu à ce titre : Dieu est sauveur tout d’abord pour sa faveur envers celle qui chante (il lui a donné de prendre part à la réalisation de sa volonté de salut pour l’humanité, ce n’est pas rien !). Affleure le thème du renversement des situations : une humble femme est choisie pour entrer dans le plan de salut de Dieu. Au delà de la situation personnelle de Marie, le cantique s’élargit pour chanter Dieu comme sauveur puisque c’est ainsi qu’il s’est manifesté (allusions à des passages de l’AT). Ce regard vers le passé est en même temps tourné vers l’avenir : le rappel de l’action passée de Dieu constitue l’annonce de ce qui doit s’accomplir dans les ministères de Jean-Baptiste et surtout de Jésus.
  • « Il a porté le regard sur son humble servante » (v. 48) : Marie reprend la formulation qu’elle avait déjà utilisée pour répondre positivement à l’ange.
  • « Toutes les générations me proclameront « bienheureuse » (v. 48) : pas en raison des ses qualités propres puisqu’elle n’a rien fait de particulier pour mériter cette « mission », mais en raison de celui qu’elle porte et met au monde.
  • « Saint est son nom » : La sainteté de Dieu n’est pas tant un état ou un attribut divin (qui le sépare et le distingue du profane), c’est avant tout une action de Dieu en faveur de son peuple, action de délivrance qui comporte à la fois la force et la puissance dont Dieu fait preuve contre les ennemis de son peuple et à la fois la miséricorde pour ceux qui sont écrasés.

IV.  Epilogue (Luc 1/56)

Luc précise que Marie reste environ trois mois chez Elisabeth avant de rentrer chez elle, donc au moment où sa grossesse va commencer à être visible : il n’est ainsi pas possible penser que Joseph et Marie auraient conçu l’enfant après l’annonce de l’ange. C’est Dieu qui a toute initiative.

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