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Ouh, le chauve ! Monte, le chauve !

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Élisée est un personnage magnifique de la Bible, il parcourt Israël, parlant et faisant le bien, il purifie une source, secourt une veuve, ressuscite un enfant, il transforme une soupe immangeable en une soupe délicieuse et multiplie du pain pour nourrir un peuple affamé, il guérit des lépreux, et il aide même miraculeusement un bûcheron à retrouver le fer de sa hache. C’est très bien, cela nous encourage à faire le bien en toute occasion et à être source de bénédiction pour ceux que nous rencontrons.Mais il serait un peu facile de picorer dans la Bible uniquement ces jolis textes qui nous encouragent et de sans cesse sauter pudiquement par-dessus des textes qui nous gênent.

Il y a texte un particulièrement choquant dans la saga d’Élisée, d’autant plus choquant qu’Élisée est par ailleurs l’exemple d’un homme qui est une bénédiction pour ceux qu’il rencontre…42 enfants déchirés par des ourses. Ça ferait un gros titre dans nos journaux, car c’est épouvantable. Nous nous refusons à penser que ça puisse être Dieu qui ait envoyé cette mort pour punir ces enfants de leurs moqueries.Nous nous refusons de penser qu’il serait juste et bon de maudire qui que ce soit.Nous refusons évidemment cette lecture du texte, car elle est contraire à ce qu’il y a de plus essentiel dans l’Évangile : Jésus-Christ nous dit et nous montre que Dieu aime, bénit et cherche à faire du bien à tout homme, même à ses ennemis, même à ceux qui se moquent de lui.

D’ailleurs le nom même d’Élisée signifie littéralement « Dieu est sauveur », Élisée est ainsi en lui-même comme une confession de foi en Dieu comme source de vie et de salut, pas de malédiction et de mort.

Que faire alors d’un tel texte ? Nous pouvons le passer et continuer notre lecture de la Bible vers des textes plus faciles. On a le droit, et l’on fait ce que l’on peut. Mais il est bon parfois de prendre le temps de creuser, de chercher s’il n’y aurait pas quelque chose de bon à découvrir dans ce texte qui nous dérange. Ça ne marche pas toujours, mais on peut essayer. Ne maudissons trop vite les textes qui nous dérangent, mais prenons le temps de les respecter. Comme Élisée le fait par ailleurs, essayons de purifier la source de la lecture biblique (pour nous et pour nos proches), essayons de guérir la théologie, de ressusciter la foi, de nourrir la réflexion…

Que peut-on tirer de ce texte ? D’un point de vue moral, il est évidemment fou d’exécuter un coupable de moquerie, surtout si c’est un enfant, et cette idée même est tout à fait contraire à ce qu’est Dieu.

Mais, malheureusement, les malédictions que nous portons contre quelqu’un sont efficaces, comme cette malédiction d’Élisée contre les enfants et comme la moquerie des enfants est source de régression même pour un grand prophète comme Élisée.

Élisée montait le chemin vers Béthel, littéralement il montait vers « la demeure de Dieu », si le texte prend la peine de nous dire cela c’est pour suggérer une démarche spirituelle, un cheminement, une élévation vers Dieu qui le rend capable d’être ordinairement une extraordinaire source de bénédictions. La moquerie de quelques petits le détourne de ce cheminement, il est alors orienté vers le bas et non vers le haut, il est tiré vers le bas, par sa blessure, par son humiliation, sa colère, et il se laisse aller à vouloir abaisser, maudire ces petits qui sont source de mépris. Élisée qui devrait incarner le salut de Dieu devient source de malédiction et de mort !

Dieu n’est certainement pas aux ordres de qui que ce soit pour maudire un de ses enfants ! Lui qui est la source de la vie ne peut de toute façon pas devenir source de mort en aucune circonstance que ce soit. Mais toute parole mauvaise que nous portons est comme une arme qui blesse et même parfois qui tue.

On peut reconnaître dans cette histoire une vérité : la moquerie est, en elle-même, source de mort, se moquer de quelqu’un, mépriser quelqu’un, ou pire, maudire quelqu’un, c’est à dire le mépriser au nom de Dieu, c’est relever précisément sa faiblesse au lieu de relever ce qui fait sa valeur : c’est un peu tuer cette personne. C’est la tuer dans l’estime que nous avons d’elle. C’est parfois diminuer l’estime que d’autres personnes ont ou auraient eu pour cette personne ? C’est même parfois la blesser et la tuer dans l’idée que la personne se fait d’elle-même.

La moquerie blesse celui qui est agressé et elle est aussi une source de mort pour le coupable. Dans un sens la malédiction d’Élisée révèle la blessure qu’il a subie, lui, mais aussi que l’attitude des moqueurs est comme la gangrène, une mort qui les menace.

Les petits de cette histoire ne sont pas nécessairement des enfants, mais toute personne qui est par son attitude source de rapetissement, relevant une imperfection de l’autre, ici le fait qu’Élisée soit chauve et concentrant le regard au point de réduire la personne à ce défaut. Pour ces moqueurs, Élisée n’est plus un prophète, il n’est même plus un homme, ni même un homme chauve, mais un chauve tout court. Il n’est plus que cela pour eux et ils veulent témoigner de cette façon de voir auprès de tous.

Ce regard du moqueur est exactement l’inverse du regard de Dieu sur chacun de ses enfants, un regard qui cherche sans cesse à mettre sur le dessus le meilleur de chacun, un regard qui donne la vie. La moquerie dans cette histoire va même plus loin qu’il ne semble, car le chauve, en hébreu, se dit Koré, ce qui est le nom d’un triste personnage dont tous les hébreux connaissaient l’histoire, ce Monsieur Le Chauve voulait s’élever en prenant brutalement la place de Moïse, mais sa tentative échouera et cela tournera très mal.

Les cris d’insulte contre Élisée : « Ouh, le chauve, monte le chauve » peuvent s’entendre aussi bien comme disant « tu es un nouveau Koré, tu cherches à t’élever toi-même en te faisant passer pour prophète, en te faisant passer pour l’incarnation du salut de Dieu ». Cette critique n’est alors plus seulement contre son physique, mais contre sa prétention à être le successeur du prophète Élie qui vient de disparaître.

Élisée, le chauve, est-il comme cela ? Est-il un homme qui veut du pouvoir, comme Koré ? Non, car il n’a pas demandé à être prophète (1 Rois 19, 16). Il n’est pas non plus un homme qui demande à Dieu de frapper à mort ceux qui ne le reconnaissent pas comme prophète. Cela ne cadre pas du tout avec ce que l’on sait d’Élisée.

Élie, lui, était effectivement un homme violent qui n’hésitait pas à faire égorger ou foudroyer des gens pas corrects. Élisée, par contre, incarne en général le salut et la bénédiction de Dieu. Il n’est pas un combattant, à la différence d’Élie, son illustre prédécesseur. Face à un méchant, au lieu de se raidir et d’attaquer comme le ferait Élie, il cherchera à agir par la douceur, la patience, le pardon, et la confiance en Dieu. Le fait d’être chauve va bien avec cette façon d’être d’Élisée, car les cheveux symbolisaient alors la force, comme Samson, ou comme Élie qui était entièrement couvert de poils et de cheveux abondants (1 Rois 1, 8).

Le chauve, c’est donc celui qui est faible aux yeux des hommes. Les enfants de cette histoire se moquent de la faiblesse apparente d’Élisée. Ils disent en se moquant : monte chauve, parce qu’ils pensent qu’il n’a aucune chance de s’élever puisque la force physique de la jeunesse est pour eux l’essentiel. Mais le cours de l’histoire inverse les rôles, et finalement, c’est bien le faible qui s’élève, et ce sont ceux qui font preuve de violence négative qui sont réduits à rien.

Élisée témoignait de la Parole de Dieu avec douceur et humanité, contrairement à d’autres prophètes. Comment comprendre alors ce qui arrive dans cette rencontre avec les moqueurs ? Nous pouvons y voir une régression, une faute d’Élisée, comme je le disais tout à l’heure. La Bible n’a pas peur de nous présenter ses héros comme ayant aussi de graves faiblesses. Mais il y a, comme souvent, une seconde lecture possible, plus positive, de l’action d’Élisée.

1) Agressé par les moqueurs, Élisée commence par « se retourner pour les regarder », cela nous encourage à regarder vraiment en face ce qui nous agresse et menace notre élévation, notre cheminement vers Dieu.

2) Élisée, ensuite, « les maudits au nom de l’Éternel ». Il y a un vrai verbe « maudire » en hébreu, mais ce n’est pas lui qui est utilisé ici mais un verbe plus général qui signifie « abaisser » ou « dédaigner ». Élisée n’adresserait donc pas une malédiction de mort à ces enfants. C’est évidemment pas en maudissant qui que ce soit que l’on risque d’être fidèle à Dieu, ce « Dieu qui sauve ».

En proie à la méchanceté, Elisée se retourne d’abord pour la regarder en face, sans la nier, et ensuite il la méprise au nom de l’Éternel, il considère justement que ce qui lui arrive est peu de chose à côté de l’importance de Dieu lui-même, de son salut, de sa présence, de sa vie. La conséquence de ce regard et de cette parole c’est que la méchanceté est comme réduite en miettes, elle cesse d’être nuisible quand on la place devant Dieu, et nous laisse libre de continuer notre marche vers le haut.

L’arme d’Élisée c’est le regard et la parole, sa force c’est de s’en remettre à Dieu pour réduire ses ennemis spirituels. Quant aux 2 ourses, le fait que l’histoire prenne la peine de nous dire qu’elles soient 2 fait penser qu’il s’agit de la parole de Dieu, car elle est toujours représentée par le chiffre 2 dans la Bible, d’autant plus que les ourses sont ici des femelles. La Parole de Dieu est comparée à une épée à double tranchant qui coupe le bien du mal, ordinairement si mêlés l’un à l’autre. C’est bien la Parole de Dieu seule qui peut réduire à néant nos ennemis spirituels de la meilleure des façons.

La violence d’Élie peut marcher aussi, dans un sens, mais les dommages collatéraux (comme on dit maintenant) sont très lourds, faisant bien du mal, tuant et blessant aussi. Élisée nous apprend plutôt à réduire le mal en le plaçant devant Dieu, en le remettant à Dieu.

Comment agissent les 2 ourses de cette histoire ? Il est impossible d’imaginer que Dieu voudrait déchirer un enfant pour le punir de son insolence. Cela, c’est ce que nous avons parfois envie de faire, ours furieux que nous sommes quand nous nous laissons conduire par la colère, la haine ou la peur, quand nous méprisons les autres, quand nous disons du mal des autres. Mais rien ne prouve que les ourses ont déchiré chacun des 42 enfants, le texte peut aussi bien vouloir dire que les ourses ouvrent un passage pour Elisée au milieu du groupe des 42 moqueurs, comme Dieu ouvre la mer Rouge devant le peuple hébreu pour le libérer de l’esclavage (Exode 14, 21).

D’ailleurs le nombre même de 42 n’est pas là pour rien. Quarante-deux (6 fois 7) évoque le passage du 6e jour au 7e jour de la création de l’humain par Dieu, la transition entre le 6 de la création simplement animale et le 7 de la création bénie par Dieu. C’est justement la Parole qui nous montre la différence entre l’un et l’autre, et qui nous fait passer de l’un à l’autre. C’est la parole qui bénit et non pas la parole qui maudit qui est créatrice de l’humain. La malédiction et la violence, elles, tirent vers le bas, vers l’animal et même font retourner au chaos des origines.

Littéralement la moquerie et la malédiction sont « diaboliques » : elles éparpillent au lieu de créer. Alors que la bénédiction de Dieu, au 7e jour, reconnaît dans l’autre ce qui est très bon, elle élève et appelle à grandir encore et à multiplier le bien autour de soi, à l’image de Dieu.

Élie est très typique d’une certaine idée de Dieu qui existe dans l’Ancien Testament, celle d’un Dieu violent et vengeur. Par contre, Élisée annonce clairement la nouvelle alliance fondée sur l’amour inconditionnel de Dieu, alliance entrevue par bien des prophètes et des psaumes (en particulier les psaumes dits « des fils de Koré », qui sont de dignes successeurs d’Élisée), cette nouvelle alliance se réalise avec le Messie, le Christ. Le prophète Malachie a donc raison de dire qu’Élie doit précéder le Messie, il nous faut en effet passer de la théologie et de la façon d’être d’Élie à celles de son successeur Élisée, c’est comme cela dans le regard et la parole que l’on peut participer au salut que Dieu offre en Christ.

Reproduit ici avec l’autorisation du pasteur Marc PERNOT