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Jérôme Berryman et Godly Play

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Recension  du livre de Richard Gossin, Jérôme Berryman et Godly Play, Science et pédagogie en dialogue, Olivétan, 2021, 111 p., ISBN : 978-2-35479-525-2

C’est un bel ouvrage que vous tenez entre les mains, dense et concis à la fois, utile et nécessaire pour qui s’intéresse à la pédagogie religieuse et au paysage devenu incontournable de la méthode Godly Play en francophonie.

Richard Gossin brosse le portrait de l’homme à l’origine de cette méthode, Jérôme Berryman, puis nous présente la méthode pédagogique sous-jacente à Godly Play, et nous emmène de manière originale aux origines chrétiennes des pédagogies religieuses durant les deux millénaires du christianisme à travers trois personnages clés de la catéchèse.

Tout commence pour le petit Jérôme au Kansas (États-Unis) où l’enfant ne cesse de se poser des questions sur tout ce qui l’entoure, et grandit avec ce questionnement. Si « un théologien est une personne qui s’interroge sur son rapport avec le monde, avec les autres, avec Dieu et avec lui-même » (p. 21), alors tous les enfants sont des théologiens ! Cette conviction, Jérôme Berryman ne va pas la lâcher et y travailler toute sa vie… Il se forme en théologie, et s’engage dans une recherche pour redéfinir une théorie de l’éducation chrétienne. De là naîtra la méthode Godly Play.

C’est tout d’abord en famille que Théa (l’épouse de Jérôme qui va participer activement au développement de la méthode) et Jérôme Berryman, dont les filles sont inscrites à l’école Montessori, expérimentent Godly Play. Là, ils découvrent une école où l’enfant apprend par lui-même, et l’intuition de Berryman est que cette méthode peut aider l’enfant à s’approcher par lui-même de Dieu… Ainsi Berryman obtient un diplôme d’études montessoriennes, en Europe. Plus tard, il rencontrera Sofia Cavalletti, élève de Maria Montessori, et qui a développé la « pédagogie du Bon Berger ». C’est autour de cette méthode qu’une nouvelle étape du développement de Godly Play va voir le jour, la famille Berryman étant de retour aux États-Unis.

Ce qui caractérise le travail acharné de six décennies de Jérôme Berryman, c’est l’interdisciplinarité : médecins, psychiatres, pédagogues, théologiens, psychanalystes… L’intuition de départ se confirme en exigeant des adultes une révolution dans leur manière de percevoir l’enfant en Église : l’enfant est le présent de l’Église, et « en l’accompagnant dans sa croissance, l’adulte et l’Église grandissent et se recentrent sur leur raison d’être » (p. 47). Godly Play aura dès le début une dimension holistique, afin de tenir compte de la complexité de l’univers de l’enfant. En aucun cas, la méthode ne peut se réduire à un enseignement de culture religieuse et une transmission de savoirs et de pratiques rituelles.

Par le langage religieux, Berryman propose de se centrer sur le récit : « le récit biblique, le récit des paraboles et le récit liturgique. Le récit biblique déploie la vaste palette des situations humaines qui vont du comique au tragique. Le récit des paraboles pose des énigmes. Le récit liturgique ponctue le temps et nous transporte dans des actes, des gestes, des touchers, des images, des sons, bref : des rites » (p. 56).

Une séance Godly Play se déroule en cinq étapes : l’accueil, le récit (et les questions d’émerveillement), les activités libres, le festin et la bénédiction mutuelle. Pour décrire ces moments et les mots-clés de la méthode, Richard Gossin nous emmène dans un joyeux « dictionnaire amoureux de Godly Play » ; il a sélectionné pour nous des mots, des expressions, des comportements et des objets signifiants de Godly Play. Laissez-vous simplement porter par les mots…

Richard nous introduit ensuite à une réflexion sur la méthode elle-même, sur la formation et l’utilisation du matériel, de « l’orthodoxie » à une pratique nocive, tout en préservant la créativité qui est au cœur de la méthode… un exercice d’équilibre qui mérite une solide formation pour vivre au mieux ce que Berryman décrit comme « a playful orthodoxy », une « orthodoxie espiègle » faite de jeux, de créativités, de concepts…

Le chapitre le plus original, à mon avis, est celui où Richard Gossin situe Jérôme Berryman dans la lignée des grands pédagogues qui ont marqué le christianisme. Ainsi, depuis les origines du mot « catéchèse », dans les épitres de Paul et dans les évangiles, en passant par la Didachè (fin du 1er siècle), Gossin nous montre la naissance du catéchuménat. Celui-ci s’établit au 3e siècle, tout autour de la Méditerranée, et se ritualise. Augustin, évêque d’Hippone (354-430), en apporte une vision renouvelée parfois proche de ce que Berryman a déployé, mais qui ne se développera pas… On passe par-dessus l’époque médiévale pour retrouver Martin Luther, les réformateurs et le développement de leurs « Catéchismes ».

Pour Gossin, ce qui caractérise la recherche de Berryman, c’est la crise de la post-modernité qui plonge la catéchèse dans l’obligation de se renouveler. Et ce renouveau s’opère par un retour vers l’oralité. Il se caractérise également par des avancées pédagogiques fondées sur des investigations expérimentales. Enfin, il se frotte à la réalité des différences ecclésiales qui obligent à penser « au contraire un apprentissage à un langage commun et universel par lequel l’enfant comme l’adolescent et l’adulte peuvent penser, s’exprimer, communiquer, communier, faire silence » (p. 102).

Au terme de l’ouvrage, Gossin s’interroge et nous interpelle sur la pertinence de cette méthode pour un renouveau européen de la catéchèse, en particulier en francophonie. Il aborde sans détour les difficultés que la méthode impose et qui en découragerait plus d’un. Mais… c’est sans compter la « révolution copernicienne » (terme de Jérôme Berryman) qui déplace la communauté lorsque celle-ci « accueille l’enfant en le plaçant non pas en marge de ses activités mais au centre, au cœur même de sa vie et de sa vocation » (p. 107).

Au terme de cette recension, je remercie Richard Gossin d’avoir mis à notre disposition, en français et dans un langage clair et accessible, un ouvrage pour mieux comprendre la pensée et la pédagogie de Jérôme Berryman développée dans la méthode Godly Play. Souhaitons que ce livre permette un développement significatif de Godly Play en francophonie, et qu’il suscite parmi les catéchètes et les acteurs de la transmission chrétienne des vocations pour « jouer avec le langage et le peuple de Dieu »…

Pour aller plus loin…

Crédit : Etienne Jeanneret, Point KT, 2022