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La Réforme, matin du monde moderne

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90 pages pour renouveler son regard sur le protestantisme, tel pourrait être le sous-titre de La Réforme, Matin du monde moderne par Michel Grandjean, professeur d’histoire du christianisme à la Faculté de théologie de Genève, Éditions Cabédita, 2016, 91 pages.

Publié dans la perspective du 500e anniversaire de l’affichage par Luther de ses thèses contre le trafic des indulgences sur la porte de l’église de Wittenberg en octobre 1517, le livre de Grandjean, écrit pour un public large, séduit par son honnêteté. En effet, l’historien se refuse à toute apologétique, il critique même sa propre tradition religieuse, l’analyse de l’affaire Servet en est un des exemples.
Davantage encore, l’auteur évite tout anachronisme et nous indique finement en quoi la Réforme est le Matin du monde moderne et en quoi elle ne saurait l’être : « Il est vain de chercher à identifier sans autres formes de procès la cause de la Réforme et la modernité (…). Les réformateurs ne sont pas modernes en tout point ; on ne peut par exemple les créditer d’avoir inventé la démocratie ou les droits de l’homme. Et pourtant. L’Europe moderne n’aurait pas eu le visage ni la trajectoire qui ont été les siens sans le discours que les réformateurs ont tenu sur la valeur de l’humain face à Dieu, sur la responsabilité de l’individu qui ne doit pas agir contre sa conscience, sur le sacerdoce universel qui abolit la frontière entre les clercs et les laïcs, sur la nécessité de traduire la bible dans les langues que parlent les peuples, sur le droit de résister au souverain injuste ou encore, avec ce marginal de la Réforme qu’a été Castellion, sur la liberté des consciences ».
Je relève la pertinence de l’analyse que Grandjean propose à propos de Luther en insistant, davantage que sur l’affichage de 1517, sur la position éminemment moderne du réformateur qui condamne l’image « d’un Dieu qui juge et envoie les coupables à la mort » lui opposant celle d’un « Dieu qui aime l’humain en dépit du fait qu’il n’est pas aimable ». Dans les pages intitulées Pas d’indulgence pour les indulgences, nous trouvons cette belle exhortation : « Accepter d’être accepté, en dépit de ses fragilités, de ses défaillances, de ses échecs, tel est probablement l’un des plus grands défis de l’existence humaine, au XVIe comme au XXIe siècle (…) Accepter de tenir sa place dans le monde et dans la société indépendamment de ses performances personnelles et malgré les diktats de la sacrosainte compétitivité (…) c’est tout cela que Luther n’a eu de cesse de rappeler à ses étudiants quand il commentait l’Écriture ».
Je relève enfin deux points qui témoignent de la finesse du travail de Grandjean. En premier lieu, ce qu’il dit au sujet de l’immense dette que les langues modernes de l’Europe actuelle doivent à la Réforme : « En traduisant la Bible, Luther donne à l’allemand une cohérence et donc à l’Allemagne un début d’identité. En publiant en français, et non seulement en latin, l’Institution de la religion chrétienne, Calvin joue dans la naissance du français moderne un rôle que les historiens de la langue sont unanimes à relever ». Même reconnaissance pour le travail des réformateurs anglais et l’engagement du Roi Jacques 1er qui « contribuera par cette Bible, davantage encore que Shakespeare par toute son œuvre, à façonner la langue anglaise que l’on parle aujourd’hui ».
En second lieu je pointe les lignes consacrées au rapport au pouvoir politique et au « droit à la résistance ». L’auteur y relève le lien qu’il y a entre la foi d’un Calvin ou d’un Théodore de Bèze, autres grands réformateurs, et la Déclaration des États généraux des Provinces Unies (futures hollandaises) de 1581 à La Haye. « C’est de là que naîtra une pensée politique constitutionnelle. Nul n’est au-dessus de la loi, pas même le souverain. S’il la viole, il devient tyran ».
Pour conclure, La Réforme, Matin du monde moderne est un livre qui décrit avec pertinence le génie du protestantisme dans ce qui le différencie des autres religions, dans son rapport au monde, à la culture, à la science et au pouvoir politique. Je me prends à souhaiter -on peut rêver !- que ces pages soient diffusées aux enseignants ou parmi les adeptes d’une laïcité d’exclusion de la foi hors du champ politique. Si la lecture de ces pages pouvait les aider à dépasser leurs clichés, La Réforme, Matin du monde moderne aurait rempli un signalé service au protestantisme et à la société des hommes…
Daniel Neeser, pasteur retraité, Genève

(Crédit: Daniel Neeser)