« Jonaze et le grand poisson d’Avril » est un sketch proposé par Frédéric Gangloff (UEPAL) d’après Matthieu 12, 38-42.
Deux narrateurs se placent, si possible, de chaque côté. Il faut laisser un espace vide au milieu pour l’entrée de Jonaze. Les narrateurs auront, au préalable, un poisson d’avril accroché dans leur dos, mais que le public ne verra pas en face. L’un des narrateurs est plus sérieux et posé, tandis que le second est plus facétieux, voir caustique…
NARRATEUR 1 : (Très pastoral) Alors quelques scribes et pharisiens prirent la parole…
NARRATEUR 2 : (l’interrompant, ironique…) Une fois de plus, il a fallu que les scribouillards et les parisiens ramènent leur fraise !
NARRATEUR 1 : (il poursuit sans se laisser démonter) « Maître, nous voudrions que tu nous fasses voir un signe » !
NARRATEUR 2 : (sarcastique) Farpaitement ! Un signe de reprise économique ; de croissance retrouvée ; de sécurité assurée ; de privilèges sauvegardés… Un signe qui déchire grave !
NARRATEUR 1 : (Assez mystique) Un signe céleste de la venue du royaume ! Tiens… Décroche-nous la lune et met-nous des étoiles plein les yeux !
NARRATEUR 2 : (ironique) Comme ça, plus besoin d’engager notre foi, nous aurions enfin confirmation !
NARRATEUR 1 : Bon, nous savons à peu près lire les signes du temps à la couleur du ciel…
NARRATEUR 2 : Tu parles ! Sacrés experts ! Même la météo fait des siennes ! Trois flocons de neige et les parisiens sont en alerte rouge !
NARRATEUR 1 : Admettons ! Mais pourquoi Jésus ne fait-il jamais ce qu’on lui demande ? C’est pourtant pas sorcier ! Un méga-signe de la fin des temps qui ferait sensation !
NARRATEUR 2 : (Dans le tragique-comique) Johnny revient parmi les siens !
NARRATEUR 1 : Pire ! Plus de famine ; de guerre ; plus de maladies ; plus d’inégalités sociales…
NARRATEUR 2 : (très ironique) ça veut dire aussi plus de spéculations boursières sur les produits alimentaires, plus de marchands d’armes et du chômage, plus de profit pour les grands groupes pharmaceutiques, plus de lobbies d’influences…
NARRATEUR 1 : Plus de nucléaire ; plus de fanatismes ; plus d’émissions de gaz à effet de serre…
NARRATEUR 2 : (Toujours ironique) Retour dans les grottes et dîners aux chandelles, plus de religion, une autre manière de consommer ! Tu es prêt à changer le monde et à opter pour la décroissance ?
NARRATEUR 1 : Moi ? Euh… Ben… J’attends le déclic… Le signe sensationnel retransmis en direct sur toutes les caméras des chaînes d’info, en prime time…
Les narrateurs chantonnent, sur la musique de Jean Jacques Goldman, « Il suffira d’un signe… » … Il suffira d’un signe, un matin ! Un matin tout tranquille et serein. Quelque chose d’infime, c’est certain. C’est écrit dans nos évangiles, en nos mains… Pendant ce temps, entre Jonaze avec un énorme poisson d’avril accroché au dos ; il n’a pas l’air très frais et peut traîner avec lui un morceau d’épave…
NARRATEUR 2 : (mort de rire) Il sort d’où lui ? De Koh-Lanta ? Snif ! Snif ! Il sent le poisson pas très frais ! (Il le regarde avec son morceau d’épave) Trop cool, on dirait un rat d’eau !
NARRATEUR 1 : Monsieur… Vous faites tache, on croirait une épave humaine ! Circulez svp ! Quand tout sera terminé, on vous fera signe !
JONAZE : Justement ! Je le suis… Le signe… Le seul qui vous soit vraiment donné !
NARRATEUR 2 : Vu sa dégaine, ce serait plutôt la mort du signe !
NARRATEUR 1 : Et qu’est-ce que vous avez accompli de si extraordinaire pour nous aider à croire que vous êtes bien le seul et unique signe ?
JONAZE : Mon nom est Jonaze !
NARRATEUR 2 : Pauv’naze ?
JONAZE : (en mode télévangéliste exalté) Le Seigneur m’a dit : « Pars pour rejoindre cette génération mauvaise, adultère, dévergondée, bourrée de tune, matérialiste ! Et dit lui : Si dans quarante jours, vous ne changez pas de vie, c’est le terminus pour vous ! Je nettoie au karcher la cité ! »
NARRATEUR 1 : Ah bon ! Et… C’est tout ?
JONAZE : Vu que c’est plutôt mission impossible, je me suis barré dans la direction opposée en vitesse de croisière sur le yacht de Bolloré…Euh… Pardon… un yacht que j’ai loué !
NARRATEUR 2 : Et vous avez cru mener Dieu en bateau ?
JONAZE : J’ai bien capté que c’était plutôt cuit lorsque la mer s’est déchaînée et que l’équipage chantait : « Plus près de toi Seigneur, plus près de toi… »
NARRATEUR 1 : C’était bien la peine de vous enfuir au loin ! Et ensuite, qu’est-ce que vous avez fait ?
JONAZE : J’ai vomi à cause du décalage horaire !
NARRATEUR 2 : Vous voulez dire : A cause du mal de mer !
JONAZE : Oui, j’en avais plein le naze…Enfin de tout ça ! Et j’ai crié…
NARRATEUR 1 : Maman !
NARRATEUR 2 : Aline ! Pour qu’elle revienne !
JONAZE : Mais non ! (Les regarde comme s’ils étaient devenus fous) Mea Culpa – c’est du latin, c’est toujours classe de le placer- ça veut dire : « qu’est-ce que je suis con, tout est de ma faute ! » Et avant qu’ils me jettent à l’eau, je me suis dit : Ma foi, c’est assez ! J’me cache à l’eau ! Et il est arrivé le gros cabillaud ! Faut dire qu’il y en avait qu’un à avaler !
NARRATEUR 2 : (amusé) Qu’un et re-quin !
JONAZE : Et me voilà dans le ventre de la baleine, dont l’haleine ne sent pas vraiment pas la rose. Il faisait noir et j’avais de l’eau jusqu’au cou. J’aurai bien eu besoin de baleines pour soutenir ma gorge ! J’étais quasi mort et j’ai rencontré un tas de monde ! Des pneus de voiture, des sachets plastiques, le capitaine Achab, Gepetto et Pinochet…
NARRATEUR 1 : Hmmm, plutôt Pinocchio ! Encore un qui a désobéi à son papa !
NARRATEUR 2 : Trop fort ! Jonaze rencontre gros naze !
JONAZE : Après trois jours et trois nuits dans le bide du grand poisson, je trouvais la friture un peu salée…
NARRATEUR 1 : Vous voulez dire : la facture trop salée ! Tu vois (en s’adressant à l’autre) il reconnaît enfin le poids d’son péché !
NARRATEUR 2 : (fait semblant de mal entendre) Comment ? le poisson péché ?
JONAZE : Et j’ai crié (regarde pour voir si les autres n’ajoutent rien) « Mon Dieu, donne-moi une deuxième chance, une renaissance sur le mode : Jonaze le retour ! Et je pêcherai…Euh prêcherai ton message comme un SOS jeté dans une bouteille à la mer ! » Et le grand poisson m’a vomi là où j’avais pied !
NARRATEUR 1 : Ah oui ! La Baleine au boss pleine de bleus…
NARRATEUR 2 : Il a dû lui rester sur l’estomac ! Elle a nettoyé ses tuyaux !
JONAZE : (En mode télévangéliste exalté) Fini de rire, banc de pêcheurs, si dans quarante jours, vous ne changez pas de vie…
NARRATEUR 1 : C’est bon là ! Ils ont compris ! (S’adresse au public) Hein que vous avez compris !
NARRATEUR 2 : Et tu t’imagines que ça va marcher, sans signe puissant, juste parce qu’ils vont te croire sur parole ?
JONAZE : En tout cas, les Ninivites ont changé de vie. Du plus grand au plus petit ! Du roi au Ouistiti ! Si même Dieu change d’avis et qu’on ne peut même plus compter sur un bon vieux déluge venu du ciel, je laisse tomber ! Je suis très contrarié. Vous voulez quelque chose ! Faites-le vous-mêmes ! Vous allez voir que bientôt Dieu, tellement bon et lent à la colère, va encore nous préparer une de ses surprises ! En attendant que vous décidiez, je m’en vais bouder jusqu’à ce que les méchants morflent pour ce qu’ils méritent !
NARRATEUR 2 : C’est ça, dégage avec ta planche de salut ! Encore une histoire qui va finir en queue de poisson ! Jonaze sort en trainant son épave derrière lui !
NARRATEUR 1 : Non, mais honnêtement, ce Jonaze ne fait pas très sérieux. C’est une caricature de prophète. Le genre de gars qui se prend pour Moïse ou Elie et qui est de mauvaise humeur parce qu’il avait prévu le happy end de l’histoire alors que lui avait condamné les Ninivites dès le début !
NARRATEUR 2 : Je me demande si annoncer la Parole que Dieu nous confie, même si nous sommes convaincus du contraire, ne peut pas opérer de grands changements qui, heureusement, ne dépendent pas de nous !
NARRATEUR 1 : Attends ! Tu nous l’as fait sur quel mode là ? T’as bu la tasse ? C’est le monde à l’envers ! Cela voudrait dire qu’il faut qu’on réagisse pour le remettre à l’endroit ! Mais je suis contre la précipitation ! Réfléchissons : Ni trop lentement ni-nivite !
NARRATEUR 2 : Trop tard ! Il nous a pris de vitesse ! Dieu ne se laisse plus enfermer dans les convictions, les dogmes, les Eglises, les shows d’exorcisme ou de guérison… Fini la manipulation ! Si Dieu se remet en question jusqu’à se repentir. Cela veut dire qu’il pourrait aller jusqu’à…
NARRATEUR 1 : Aimer à en mourir… Alors c’est pour cela que Jésus concède le seul signe improbable ! Un signe de ouf ! Je me demande si les scribouillards et les parisiens vont gober la référence à Jonaze !
NARRATEUR 2 : Eux qui ont du mal à ouvrir leurs yeux et à reconnaître la puissance de Dieu dans les miracles et les guérisons de Jésus risquent bien de passer à côté de la faiblesse de la croix et sa mort…
NARRATEUR 1 : A ceux qui pensent savoir de quoi Dieu doit avoir l’air et ce qu’il doit faire, Jésus répond par son silence durant les trois jours au cœur du tombeau…
NARRATEUR 2 : Comme Jonaze englouti par le monstre des eaux mortelles…
NARRATEUR 1 : A ceux qui réclament à corps et à cris des signes extraordinaires comme nous, il laisse sa parole et sa Bonne Nouvelle !
NARRATEUR 2 : Si Jésus ne fait pas dans les signes grandioses c’est peut-être pour que d’autres ne mettent pas la main sur lui pour en faire un atout commercial ou pire… Un produit dérivé !
NARRATEUR 1 : Mais alors le seul signe que nous ayons, pour le moment, c’est de proclamer sa mort sur la croix ? Mais cela ne peut tout de même pas finir ainsi ! C’est un aveu de faiblesse qui ressemble à un échec…
NARRATEUR 2 : Attends ! Tu n’as pas lu les Dernières Nouvelles De Jérusalem ce matin dans la rubrique « faits divers » (lit un article de journal) : « Tôt, ce Dimanche matin, un groupe de femmes s’est rendu au tombeau de Jésus, dit le Christ, pour l’embaumer. Quelle ne fut pas leur surprise, lorsque la grosse pierre d’entrée avait été roulée et que le cadavre de Jésus s’était envolé ! Ces femmes, en état de choc, tétanisées et certainement peu fiables, parlent d’un jeune homme avec une robe blanche qui leur a déclaré que Jésus de Nazareth, le crucifié, est ressuscité ! A l’heure actuel, un bilan de santé est en cours pour évaluer leur état mental ! »
NARRATEUR 1 : (Au fur et à mesure, il s’enthousiasme de plus en plus) Et si la vie était encore plus redoutable que la mort ? Si c’était le premier matin d’une nouvelle création ? La pierre est roulée ! Le chemin est libre ! l’impasse devient recommencement ! Si c’était vrai, cela remettrait tout en cause. Ce serait le ménage de printemps de notre foi ! La pierre roulée devient la peur ôtée ! Jésus serait vivant, jamais là où l’on voudrait qu’il soit, mais toujours ailleurs. Il est en avant ! Il compte sur nous ! Il est ressuscité ! Il est vraiment ressuscité !
NARRATEUR 2 : (d’un ton moqueur) Ha ! Ha ! Ha ! « Poisson d’Avril » !
A ce moment les deux narrateurs repartent chacun dans la direction opposée et on voit un poisson d’avril accroché dans leur dos !